Comme toute histoire, celle du rap français est tumultueuse. Il y eut l’âge d’or des années 90, qu’on retrouvera en tournée française cette année, suivi de l’âge ingrat des piètres années 2000. Puis l’avènement des réseaux sociaux nous apporta un rap nouveau, celui du tout à l’image, celui qui aujourd’hui prévaut. Un rap qui remplit les salles, fait les unes des magazines et occupe les têtes d’affiche des festivals. De IAM à Laylow, itinéraire d’une ascension éclatante.
Un article à retrouver dans notre #51 Futur.

Des débuts timides

Le rap débarque en France en 1982 à l’initiative de Bernard Zekri, qui exporte le mouvement hip-hop new-yorkais, et crée avec Europe 1 la première tournée de hip-hop au monde, le New York City Rap Tour, regroupant street artists, DJs, danseurs et rappeurs, passé par Paris, Lyon, Belfort, Mulhouse, Strasbourg, Londres et Los Angeles.
Mais il faut attendre le début des années 90 pour que ce qui devait n’être qu’une simple mode de Parisiens branchés devienne le phénomène d’une génération grâce à MC Solaar et Jimmy Jay, avec leur album Qui sème le vent récolte le tempo en 1991. On citera également les deux formations phares de l’époque qui s’ensuivra : IAM et NTM, qui démocratisent le rap avec leurs victorieux singles « Le Mia » et « La Fièvre ». Positif et festif au départ, le rap prend néanmoins rapidement une tournure politique, dans un climat de plus en plus tendu ; IAM parle de la fin de leur monde, NTM met Paris sous les bombes. Le propos se durcit dans un rap qui gagne pas à pas du terrain. C’est d’ailleurs ce rap-là que les rappeurs francophones actuels citent comme déclencheur de leur passion. Georgio, jeune débarqué et garant d’un rap plutôt référencé, situe son déclic vers 2006 : « J’ai vraiment commencé à écouter du rap lorsque j’ai découvert Salif, Sefyu, NessbealToute la belle époque Hostile 2006 », tandis que la jeune suisse KT Gorique, révélée dans le film Brooklyn de Pascal Tessaud explique : « J’ai fait mes premiers pas dans le hip-hop dès mon enfance, mais par la danse. Ce n’est que vers l’âge de 15 ans, alors que j’écrivais déjà du rap en français que j’ai eu mes premiers coups de cœur. Les deux premiers albums que j’ai achetés étaient ceux de Sniper et Keny Arkana. » Nouveaux venus, estampillés relève, Sniper, le 113, Keny Arkana, et bien d’autres distillent inlassablement un rap contestataire dont le propos est de plus en plus engagé. Le rap se centre sur lui-même et les textes sont bien souvent crachés à la première personne. Le rap des années 2000 en France continue pourtant de s’inspirer de son grand frère américain, c’est donc tout naturellement qu’il se teinte de Crunk et de Dirty South, chapeauté par Lil Jon et ses collègues : grosse voiture, bijoux, Booba, Rohff et consorts pimp(ent) leur musique. Laylow se souvient :

« Ja Rule, 50 Cent, G-Unit, j’ai été très impressionné par le rap US, il sonnait comme une musique globale qui touchait tout le monde. »

Laylow porte un poncho Acne Studios, un trench et un pantalon Dries Van Noten, un t-shirt Marche Milk et des sneakers Diadora

La croisée des chemins

Le rap français prend donc deux chemins différents mais parallèles, l’un contestataire qui devient le prolongement des propos sociétaux disséminés dans le rap des années 90. Il cherche à s’éloigner du rap US, devient politique et se fait le porte-parole des banlieues, du « bruit et de l’odeur » comme le disait Chirac. Ce nouveau-né devient donc voisin d’un rap bling-bling de plus en plus calqué sur le modèle américain, et qui commence alors logiquement à faire son chemin dans les médias généralistes qui y voit là du pain béni pour leurs audiences.
Laylow, 24 ans bientôt, confirme cette percée entreprise par le rap dit commercial : « On fait une musique qui a des codes précis depuis le départ : ce qui plaisait notamment ce sont les egotrips de Rohff ou de Booba, leurs gimmicks qu’on reprenait tous. En mode, ça fait zizir, 92i… »
L’egotrip, défiition parfaite du rap des années 2000. Un rap qui laisse de côté le collectif de la décennie passée pour un individualisme presque déjà suranné, mais qui voit pourtant les majors investir dans ces rappeurs sulfureux. Apparaissent alors les premiers clashs, et les premiers featurings (par studios interposés, il va de soi) inter-atlantiques à l’image de Booba et Akon sur « Gun in my Hand », dernier titre de l’album Ouest Side.

Laylow porte un bombers et un pantaon Dior Homme à gauche et une veste Diadora à droite

Le rap explose

« Le rap peut être perçu de la même manière que la société. En termes d’avancées j’entends, comme le droit des femmes, les avancées raciales. Ce sont des points qui se relient, et décomplexent les choses, il suffit que quelqu’un ose, et les autres se disent : pourquoi pas. » affirme Laylow, qui se trouve justement en plein cœur de cette avancée. Le contenu lyrique du rap a changé, et il en est l’artisan. Le propos, s’émancipant légèrement de l’egotrip, couvre désormais le quotidien des gens auxquels le rap s’adresse : les relations humaines, la musique, la drogue, la société aussi. Laylow ajoute :

« Je trouve dommage que les MCs accordent moins de temps à l’écriture, je suis plutôt partisan du rap à l’ancienne en ce sens, même si j’ai en horreur son ton parfois moralisateur. Alors même si je parle de choses sombres, parfois tristes, auxquelles est confrontée ma génération, j’essaie de le faire avec finesse et une certaine joie. Je ne cherche pas à faire pleurer les gens sur mes sons. Même si une goutte de temps en temps c’est pas mal, pour donner le change. »

Sensible, le rap ? Certainement de plus en plus, l’auto-tune apportant une mélodie dans les voix de Maître Gims, des frangins de PNL, ou même de Laylow. Pour réussir dans le rap, le vocoder est désormais de mise, apportant un grain presque féminin qui suscite de l’émotion chez l’auditeur. Laylow en a fait une arme : « C’est l’ère du digital. On ne peut pas se battre contre l’auto-tune. Mon prochain projet s’appelle d’ailleurs Digitalova, dans lequel je veux traiter de cette période de mutation avec la machine. Pour synthétiser, avant, quand tu allais en studio pour enregistrer ton son, un mec, qu’on appelle ingénieur son, avait toutes les clés, toutes les connaissances et tu ne pouvais que t’en remettre à lui. On a nos ordinateurs et Garage Band maintenant. On a la possibilité de tout moduler si simplement, y compris notre voix, alors on le fait. Les gens n’aimaient pas T-Pain et son vocoder il y a dix ans, souviens-t’en. Mais on ne peut plus lutter maintenant. Il faut seulement l’utiliser à bon escient. »

LAYLOW Modzik
Laylow porte un ensemble Givenchy

La programmation de PNL à Coachella l’été prochain vient sceller la consécration d’un rap devenu vitrine, tout comme la Victoire de la Musique décernée à Jul cette année. « Je trouve ça très bien que des rappeurs comme moi aient un temps de parole médiatique. Ça pousse à l’ouverture et à la mixité. C’est une bonne chose que des gens qui n’habitent pas en ville puissent croiser un petit jeune qui vient parler de sa musique un samedi soir à la télé. 20 ans de contestation ça suffit! On doit changer, comme le monde. »
De là à ce que le rap ait perdu de son esprit de subversion, Laylow relativise :

« Le rap s’est bonifié, et la subversion qui a peut-être quitté les textes se retrouve finalement dans un shooting comme celui de tout à l’heure. Cette subversion est introspective maintenant, elle est en chacun de nous, le ras-le-bol est général et c’est pour ça que le rap plaît autant désormais. »

Le rap est devenu pluriel, et sa branche la plus bankable n’ombre pas pour autant ses autres courants. À Paris, un Davodka hors du système produit un rap littéraire du haut de son 18e arrondissement, Flo the Kid, ou Killason, rappent en anglais pour tenter de conquérir le monde, Georgio fait des plateaux télé et la Suissesse francophone KT Gorique tourne dans un film. Laylow pose pour un magazine de mode.


Photos Yann Morrison
Style Edem Dossou
Direction Artistique Boris Zawodny
Texte Jakob Rajky
Maquillage Lorandy @ Backstage Agency
Coiffure Malou Okumu
Assistants Style Kenny Germé & Christian Boua