Pigalle, mi octobre, des êtres étranges arpentent les rues arborant autour du cou un énorme badge portant leur nom. Non, ils ne sont pas perdus mais participent au MaMA Festival et convention.
180 artistes dont Jeanne Added, Fils Cara, Chien Noir, Ysé ou Alice et Moi, 170 conférences proposées pendant la convention, plus de 400 intervenants, 7000 professionnels venus de 54 pays… Au-delà de cette avalanche de chiffres, Le MaMA est surtout l’occasion de jeter une oreille sur une sélection des talents émergents au cours de showcases débutants à 10 H 45. Étrange sensation de se retrouver dans le noir face à un artiste devant montrer son talent aussi tôt dans la journée…
Nous avons donc mis nos meilleures skets car, on le sait, suivre le MaMA nécessite de longues marches entre les différents lieux. Direction Ma Cabane à Paname, initiative de six festivals québécois qui fêtent ses 10 ans. Point d’orgue de cette édition 2023 est la forte présence d’artistes canadiens. Du Pacifique à l’Atlantique, 15 artistes de la Colombie-Britannique, de l’Ontario, du Québec et de la Nouvelle-Écosse nous ont fait découvrir toute l’effervescence de la scène musicale canadienne actuelle.
C’est l’occasion de croiser Frédéric Poulin, directeur du festival La Noce (trois scènes, une cinquantaine de groupe, des mariages comme à Las Vegas pour la modique somme de 15 dollars), mais aussi gérant (Manager, NDLA) du groupe Bon Enfant mais pas que. « Ma structure, c’est Ambiances Ambiguës, qui est une structure de management. » Mais, cela ne s’arrête pas là. Il a fondé avec Éric Harvey, deux labels (Duprince et Pop-Up, ce dernier dédié exclusivement à la musique instrumentale). « Il y a une effervescence depuis quelques années de musique au Québec, au Canada. On a réussi enfin à sortir un peu des Céline Dion, Garou, Isabelle Boulet… Autant au niveau de la musique francophone qu’anglophone. The Weeknd, Drake, Justin Bieber sont canadiens, de Toronto. Je pense qu’on fait de la musique de qualité. Il y a une effervescence. Beaucoup de musiciens sont dans plusieurs projets. Même s’ils sont jeunes, ils deviennent rapidement pros scéniquement. Le marché québécois ou canadien, pour aller plus large, n’est pas suffisant. Le marché français est plus grand que nous. Donc c’est sûr qu’on fait des efforts pour faire découvrir nos artistes ». Nous quittons Fred avec des images de son Festival, éco-responsable où la programmation est paritaire et qui se déroule prés d’une rivière où le bois arrivait par la rivière et était traité pour la pulpe. Avant de quitter cette belle cabane, nous allons écouter Grand Eugéne, quintet indie rock aux sonorités dream pop de Montréal, qui réussira à réveiller le public.
Plus tard dans la journée, nous retrouvons Fernie, juste avant son concert intense à la Cigale. Nous l’avions découvert il y a environ un an au Point Ephémère pour son premier concert en France. Nous essayons d’en savoir plus sur son deuxième album prévu pour la mi 2024. « Aurora, mon premier album est vraiment colorful, super positif. Mon prochain album est un peu plus mélancolique et dépressif… Des histoires d’autres personnes, de familles, de mes amis. Donc, c’est pas juste un album pour moi, c’est un album pour eux aussi. Et… j’essaie de ne rien dire… » Nous n’en saurons pas beaucoup plus sur le moment. Depuis, nous venons d’apprendre qu’il vient d’intégrer Secret City Records. Mais revenons au 11 octobre dernier, parlons de la France « »Oh my God », le son ici, à Paris, en France est tellement bon… Bien mieux qu’à Montréal. Jeremy, mon attaché de presse, fait un incroyable travail. J’ai reçu beaucoup de compliments sur mon travail. J’adore la France ».
La France, deuxième pays du jazz, une des influences de Fernie, en sus de la soul. « J’ai découvert le jazz quand j’ai intégré les Kids From the Underground (collectif d’artistes canadiens indépendants de différentes scènes, NDLA), tout le monde adorait le jazz. Nous faisions des petits shows dans différents bars de jazz. C’est là que j’ai commencé à apprendre la culture du jazz, même si à cette époque la musique pop et le rap étaient à leur highlights. Et je pense que beaucoup de ça a été incorporé dans la musique que je fais maintenant (…) Je suis une personne queer, j’écris sur la douleur et les expériences de la perception queer ». Un de ses modèles : Frank Ocean. « Il est très transparent avec ses émotions, il est noir, il fait partie de la communauté queer. La façon dont il s’exprime en musique que ce soit heureux ou triste, c’est juste si beau. »
Le dialogue se poursuit autour de la difficulté de se construire en tant que personne queer. « Pendant un moment vers 15-16 ans, je ne savais pas très bien où j’en étais, tu ne sais pas qui tu es, c’est plus facile pour toi de t’éloigner, de te cacher. Quand j’ai fait mon coming-out, j’étais en paix avec moi-même. J’ai un immense respect vers la communauté parce qu’ils luttent vingt fois plus fort que moi et particulièrement les trans. Nous nous battons pour les droits universels et cela tous les jours. En tant qu’artiste queer, c’est bien de porter cette parole. » Et l’Amour dans tout ça ? « Je ne suis pas mentalement prêt. Comment c’est d’aimer quelqu’un ? Comment c’est de s’aimer moi-même ? C’est compliqué. Je vais tout expliquer dans mon prochain album (on y revient finalement). Je pense que c’est le moment parfait pour parler des vrais problèmes alors que je suis au début de ma carrière. Écrire la tristesse, la douleur, c’est quelque chose dont je ne suis pas étranger, c’est donc plus facile. » Nous laissons Fernie rejoindre la Cigale sur une note plus optimiste. « Je suis très honnête et je craignais que cela bride certaines possibilités. En fait, c’était juste une peur personnelle. Je suis très fier d’être queer. Je suis très heureux. Tout s’aligne. »
Entre deux verres (peut être trois finalement) et rencontres sur les terrasses des bars de Pigalle, nous allons croiser Charlie et Emma, qui compose le duo féminin montréalais MayFly, aux sons életro pop et indie. Ces deux là se sont rencontrées au Collège, dans un programme intitulé Creatice Art. Leur passion commune : la musique. Elles décident de partager un appartement à Montréal, s’équipent de matériel, composent et s’enregistrent. Bien que francophone de langue maternelle, elles chantent en anglais, ce qui fait débat. « Le Québec est vraiment la seule province au Canada qui parle français, ça nous bloque de beaucoup de façons au Québec, mais on ne va pas non plus changer l’essence du projet pour la province dans laquelle on vit », nous dit Charlie. Mais il arrive qu’elles mixent les deux langues. « Comme disait Charlie, quand on s’exporte, au contraire, c’est vu comme une belle chose, surtout aux États-Unis », complète Emma. « Si tu veux vraiment devenir plus grand au Québec, il faudrait peut-être que tu en sortes un peu pour pouvoir revenir par la suite. Si tu parles en français, c’est vraiment plus facile de grandir dans l’industrie plus rapidement. Mais au-delà de ce débat, si tu présentes une nouvelle proposition, différente, cela peut susciter un intérêt. A la longue, tu vas te démarquer et ça va donner quelque chose. C’est ça qu’on essaie de faire, justement », reprend Charlie.
L’actualité des Mayfly est deux EP tous les deux intitulé HIDEWAY. « Le volume 1, c’est vraiment plus sur l’introspection. C’est un volume qui est plus électro, un peu plus dance. Le deuxième, il est plus varié : R&B, pop, trap un peu. » indique Chloé. Un choix assumé de présenter la même année deux EP. « C’était aussi un choix de carrière. Quand tu es émergent et que tu demandes de découvrir 13 nouvelles chansons. C’est un peu… je pense que c’est trop. » précise Chloé. Un autre album est déjà prêt, ce qui permet à Mayfly de tourner.
« Le live, avec la musique qu’on fait, c’est tellement maudit, c’est difficile à traduire le sentiment qu’on a envie que les gens sentent en live. On a passé, sans blague, des mois et des mois à se dire comment on est capable de transmettre. Notre musique est beaucoup basée sur l’émotion. Donc, on a essayé des choses différentes, pas le classique : les deux filles en avant. Nous avons cherché comment on pouvait justement se déplacer sur scène, comment avoir chacun nos moments séparément, nos moments ensemble aussi, je pense qu’on a vraiment essayé plein de choses. Même sur l’éclairage. Par exemple, lors de notre dernier concert à Montréal, les gens ne nous voyaient pas avant la quatrième, cinquième chanson. Nous voulions vraiment baser ça sur la musique », nous dit Emma.
Concerts plus rares pour le duo qui privilégie la qualité au détriment de la quantité. Autre exigence des filles, que chacune puisse trouver sa place, dans la vie comme sur un plateau. «Les gens me disent beaucoup, que nous sommes très complémentaires, on est comme les deux opposés. On a des énergies très différentes mais qui s’assemblent. » conclut Emma.
Il est temps pour nous de prendre la direction des concerts, non sans avoir avalé une galette bretonne, et de vivre pleinement la musique dans les salles.
To be continued…
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Photo en couverture Leon Geoni (Sierra)