Contre la fadasserie et les coulures pop excessives, contre l’imbécile heureux et tous les cons de ce genre, il y a des remèdes. Le français Jessica 93 fait partie de ces élixirs précieux qu’on ne trouve que dans de vieilles caves désaffectées. Armé de sa noirceur musicale, il vient te remettre les idées en place, te donner un coup de pied dans les entrailles. Et tu verras, tu en redemanderas.
Pierre angulaire sonore qui rassure autant qu’elle récure, sorte de cold shoegaze aux guitares qui grincent, Jessica 93 vient te chercher là où la vie t’a salement laissée : sur le bord d’un trottoir en train de siroter ta grenadine, lunette visée sur le nez, car « Here comes the sun ! ». Mais toi, le badaud des temps modernes, tu as tort, à mille, à cent. Et Jessica 93 vient te le rappeler. Ce petit gars du nom de Geoffrey Laporte dont l’entreprise musicale date en gros de 2010, tire son projet avec fougue puisqu’il vient tout juste de lui donner un premier album dénommé Who Cares, sur Teenage Menopause, qui logent déjà de bons gros lucifériens comme JC Satan ou Jack of Heart, Et Mon Cul C’est Du Tofu? (label au caractère bien trempé), et Music Fear Satan (disquaire parisien). Vous l’aurez noté, ils sont tous lieux de marque de la noirceur. S’il fait du bien à l’esprit, c’est parce qu’il le débroussaille d’un trop plein de notes, d’un trop plein de fioritures d’une musique ambiante parfois lisse à mourir. La voix traînante de Geoffrey se perd dans ses lacérations de guitare quand cette dernière ne finit pas par gagner la partie, bataillant seule avec le chaos. C’est le cas dans Sweet Dreams par exemple, morceau qui t’ensorcèle, fumée noire s’infiltrant en toi, 9 minutes durant, le supplice imbriqué à la délectation.
Le lancement de l’album, court de six titres, se fait sous l’autorité du titre Away, combinant lourdes rythmiques avec des basses et des guitares plaquées dessus. L’Apocalypse semble proche, tu l’attends à découvert, le rire noir, satanique. Quant à lui, sa voix traîne à la dérive, donnant ampleur et densité à l’épopée des riffs. A la langue anglaise vient parfois s’entrechoquer du français qui en perd les pédales, comme dans Origines. Quelques paroles jugulaires sont attrapées à la volée, venant ponctuellement rompre le vicieux ensorcellement pour mettre des mots là où ça fait mal. Sinueuse, la route que dessine l’album de Jessica 93 est sans fin, éternelle, perpétuelle, plus encore. Et tout cela aurait presque le trait et la force expressive d’un Munch, une piquante association entre l’effroi du « Cri » et la sinistre route de « Neige fraîche sur l’avenue ». Exactement. Mais c’est un autre morceau qui accroche, Poison. Le mignon porte bien son nom car ses modulations sonores font battre le cœur à des rythmes incontrôlés. C’est d’ailleurs ici que la voix, cette voix, se développe au mieux et prend partiellement autorité sur le fatras shoegaze. Laissés à vif, agréablement dévastés par ce « remue-méninges » qui a de la gueule, on se dit que la noirceur dissimule bien des saveurs …
Par Emilie Jouan