Artiste protéiforme par excellence, PJ Harvey a toujours su se renouveler. Souvent là où l’on ne l’attend pas, Polly Jean prouve avec son huitième album qu’elle n’a rien perdu de son inspiration. Délaissant l’intimité tout en piano de White Chalk, elle s’attaque avec Let’s England Shake à la politi- que, notamment celle de son pays. Si la musique n’est pas en reste, elle a choisi de privilégier l’importance des textes. Toujours accompagnée du fidèle John Parish, elle signe aussi des compositions profondes et résolument humanistes. Nous sommes allés la rencontrer à Londres pour tâcher d’en savoir un peu plus.

La première chose étonnante sur ce disque, c’est qu’il est moins introspectif que tes précédents albums…

J’ai été beaucoup plus rigoureuse dans l’écriture, mieux organisée. J’ai senti qu’il était temps que mon langage soit plus précis, plus clair d’une certaine manière, afin d’aborder des interrogations sur le monde actuel. J’ai toujours été affectée par les problèmes qui touchent l’humanité, les problèmes du monde d’aujourd’hui. Je ne peux pas faire autrement que de me sentir concernée par la politique et la manière dont les choses tournent… C’est important pour moi. il y a quelques années, je n’aurais pas su bien aborder ces sujets délicats, parce que je ne me sentais pas dans cette position d’écriture. J’étais davantage une observatrice, attentive, ouverte aux autres. J’ai toujours aimé expérimenter la relation entre les textes et la musique, mais c’est réellement la première fois que j’ai trouvé la confiance en moi pour m’essayer à ça : écrire des chansons sur ma vision du monde actuel.

C’est très humaniste…

Oui, exactement ! L’écriture, c’était pour moi la seule manière de partager mon questionnement, mes interrogations, en prenant un point de vue sensible, une forme humaine. Je ne m’y connais pas assez en politique ou autres et je ne voulais pas non plus tenir de grands discours moralisateurs… Je voulais utiliser un vocabulaire à la fois simple et fort émotionnellement.

Tu parles également beaucoup de l’Angleterre, de l’Afghanistan et de la guerre notamment… C’est ton album engagé ?

(sourire) Oui, les thèmes sont assez politiques. Les mots choisis sont clairs, même dans les titres, je fais référence à la politique, à la manière dont elle nous relie les uns aux autres par les désillusions ou par l’incompréhension qu’elle provoque. Let’s England Shake parle des questions que la politique soulève en nous et montre à quel point celle-ci nous affecte tous. J’ai pris le parti de présenter les choses comme elles sont, comme elles m’apparaissent.

Tu as enregistré cet album dans une église du Dorset, c’était un geste symbolique ?

En fait, ce n’était pas intentionnel. Je voulais au départ enregistrer cet album à Berlin ! C’est une ville tellement pleine d’énergie que j’ai eu envie de chercher des studios là-bas, mais rien ne correspondait. Par une pure coïncidence, une de mes connaissances s’occupe d’une église près de ma maison, enfin une église un peu particulière, c’est plutôt un lieu artistique où il organise des expositions de peinture et des concerts classiques. il m’a proposé d’y enregistrer si je le souhaitais. Ce que j’ai fait.

On a pu t’apercevoir, il y a maintenant neuf mois, interpréter « Let’s England Shake » dans une émission télé anglaise. Tu as composé ces nouvelles chansons depuis longtemps ?

Oui, ces chansons m’ont pris du temps. Surtout les textes. Mais le processus d’écriture a toujours été un exercice difficile pour moi. J’ai travaillé dessus pendant deux ans. Quand les mots m’ont paru assez puissants, j’ai commencé à les chanter sans instruments, puis dans les mois qui ont suivis, j’ai crée ce nouvel univers.

La chanson que tu as interprétée dans cette émission parle de l’Angleterre. Justement Gordon Brown était présent sur le plateau. C’était volontaire de ta part?

Non, je ne savais pas qu’il serait là… Et je ne sais pas ce qu’il en a pensé (sourire), mais de toute façon, c’était important pour moi de jouer cette chanson à une semaine des élections anglaises ! C’était le meilleur moment pour la chanter.

Penses-tu que l’Angleterre est en bonne voie ?

Les choses changent et bougent constamment. En ce moment, c’est une période charnière, et donc c’est excitant. il y a eu beaucoup de turbulences au pouvoir ces dernières années, dans d’autres pays aussi. il reste encore beaucoup de problèmes à régler. Artistique- ment, ces changements m’inspirent. Je crois que les périodes agitées ont toujours constitué une fabuleuse matière à travailler pour tout artiste. Les change- ments et les interrogations nourrissent la créativité.

Il y a également beaucoup de références à la nature dans cet album…

Oui, dans le sens où elle continue de vivre après nous, longtemps après nous. notre sol a été foulé et dévasté par des guerres et aujourd’hui la nature a lissé les choses, a continué à pousser, provenant du même sol, témoin du temps qui passe. C’est cette image que je cherchais à évoquer.

Tu fais aussi de la sculpture : as-tu de nouveaux projets de ce coté là ?

En ce moment, mon travail est plutôt tourné vers la peinture, ce qui est nouveau pour moi. J’ai toujours dessiné mais je n’avais encore jamais peint. Je suis en train de travailler sur un livre qui collecterait des textes, des dessins, des photos et de la poésie. Ces travaux ont été réalisés durant toute ma carrière. Chacun de tes albums est différent, tu es toujours en mouvement.

Comment vois-tu ta discographie ?

C’est très naturel pour moi de changer. Ce n’est jamais calculé. Je cherche sans cesse à apprendre. Mon travail m’emmène là où je n’ai jamais été avant, c’est comme ça qu’il se développe. J’ai toujours voulu renouveler mon langage, en trouvant une nouvelle manière de dire les choses pour chaque album. Je pense que si tu réussis à faire ça pour chaque album, tu ouvres l’esprit de l’auditeur, tu le stimules… C’est trop facile de faire ce que tu sais faire ! J’aime me renouveler constamment. A chaque album c’est un nouveau départ, je redeviens novice. Comme pour White Chalk, je n’avais jamais joué de piano avant d’enregistrer ce disque. C’est aussi plus honnête, plus immédiat selon moi comme démarche. Je vois ma discographie comme une progression.

Et musicalement, a-t-il été facile de trouver cette nouvelle direction ?

J’avais déjà les textes, la structure des chansons et les mélodies avant de travailler avec John. Je savais que je voulais créer une atmosphère de mouvement, d’énergie. Quand John est arrivé, nous avons d’abord joué les chansons live, c’était très enthousiasmant de suivre l’énergie qui découlait de mes textes.

Il y a aussi beaucoup de références à l’histoire anglaise, à son folklore…

Oui, il y a son fantôme en toile de fond. Mais le disque ne parle pas que de mon pays. Cela pourrait se passer en Russie ou en Bosnie… il n’y a pas seule- ment des références à l’Angleterre, mais à la Première Guerre mondiale, ou encore à cette guerre en Afghanistan. Je voulais traverser le temps et l’Histoire.

Es-tu pessimiste quant à l’avenir ?

Non, je ne suis pas quelqu’un de pessimiste. Je crois en l’espoir, à la faculté de changer et en la capacité qu’ont les gens de se sentir responsables, de prendre conscience. Les gens ont toujours voulu dénoncer les injustices, particulièrement pendant des périodes de troubles comme aujourd’hui.

Tu as toujours composé seule. As-tu aussi ressenti ce besoin pour cet album ?

J’ai besoin d’espace pour écrire. Je dois être concentrée. Quand je suis à l’extérieur de chez moi, il y a trop de distractions, trop de gens. Même si je travaille très bien en communauté, comme avec John Parish. nous avons une relation très critique et cela permet de se remettre en question. On a beaucoup de respect l’un envers l’autre. C’est merveilleux d’être aussi complémentaire ! Et c’est la même chose avec Mick Harvey. Nous sommes comme une famille. C’est dur à décrire mais, il y a quelque chose d’inexplicable qui se passe entre nous. Un quelque chose qui fait que je travaille avec John depuis que j’ai 17 ans.

Et comment vois-tu ton précèdent album avec lui, A Woman A Man Walked By ? C’était comme une récréation pour vous entre White Chalk et Let’s England Shake ?

C’est très différent pour ce disque. John est produc- teur et musicien, et lorsqu’on travaille sur un de mes albums, il est au service de ma vision artistique en quelque sorte. Pour A Woman A Man Walked By, c’était comme une récréation, un souffle.

As-tu entendu parler d’Anna Calvi ? Beaucoup trouvent que sa démarche musicale se rapproche de la tienne…

Je l’ai vue seulement quelques secondes un soir tard à la télé anglaise. Je n’en sais pas plus, honnêtement (sourire).

Tu es aussi connue pour tes tenues de scène. Tu as pensé à celles que tu porteras pour la prochaine tournée ?

Oui. nous parlions de peinture tout à l’heure, et de la même manière, je me suis toujours intéressée de près à l’aspect visuel de ma musique et de mes concerts. Je pense que c’est très important. Depuis longtemps, je travaille avec Angelina Miuster, une créatrice belge. Elle et moi avons choisi les vêtements ensemble, on a essayé de trouver ce qui conviendrait le mieux pour la scène. Je pense que pour cet album il s’agira de tenues très simples, afin de laisser plus de place à la musique.

Pour White Chalk, tu avais un coté très Virginia Woolf…

Oui, c’était exactement l’idée. C’était un album très intime et parfois sombre… nous avions d’ailleurs essayé de recréer une sorte de chambre sur scène pour accentuer d’avantage cet effet.

PJ Harvey, Let’s England Shake (Island/AZ/Universal)
www.myspace.com/pjharvey
www.pjharvey.lucidwebs.co.uk

Propos recueillis par Guillaume Cohonner
Photo Taki Bibelas