Après avoir été célébré tout l’été par une exposition retraçant sa carrière (Never Again au ICA de Londres) c’est à Paris, au concept store Adidas No42 que Judy Blame a fait escale pour présenter le fruit de sa collaboration avec la marque aux trois bandes : un t-shirt et le superbe fanzine Riot De-Luxe, revenant sur ses plus belles heures. Rencontre avec une légende vivante du punk, qui croit encore à la Révolution.

Quelle a été votre réaction quand le ICA (L’Institute of Contemporary Arts de Londres) vous a approché afin de vous consacrer une exposition ?
D’abord, je leur ai demandé « vous êtes sûrs ? » parce que c’était la première fois que le ICA consacrait une exposition à un artiste pour qui la mode a eu tant d’importance. Gregor Muir (directeur du ICA) pensait que c’était une bonne idée car j’ai évolué dans la mode, mais aussi la musique et d’autres formes d’art. La difficulté a été de choisir quoi montrer pour que les visiteurs comprennent ma démarche, mon travail.

Comment s’est faite cette sélection ?
J’ai eu de très bons conseils d’une amie, directrice de galerie. Elle m’a dit de bien réfléchir à ce que je voulais montrer, à ce qui symbolisait au mieux l’esprit « Judy Blame » et de laisser de côté le superflu. De cette manière les gens passent du temps à observer les œuvres exposées. Quand il y a trop de choses partout, ils passent sans regarder. Ce processus – enlever des œuvres, en ajouter d’autres – nous a pris une année entière !

Vous avez déménagé à Manchester à tout juste 17 ans. Comment vous êtes vous fait un nom si rapidement, à une époque où tous les outils auxquels les jeunes ont aujourd’hui accès n’existaient pas ?
La raison pour laquelle j’ai appelé mon exposition Never Again, ce n’est pas parce que je ne veux plus jamais exposer, mais parce que c’est impossible de trouver aujourd’hui des personnes au parcours similaire au mien. Je n’ai rien contre la façon dont les jeunes créent, mais je voulais leur montrer une autre façon de faire. Pour moi, c’est un plaisir de créer avec mes mains, je suis un vieux punk-rocker ! On faisait nos vêtements nous-mêmes ! Les meilleures critiques que j’ai reçues viennent d’ailleurs d’étudiants. Je me souviens d’une jeune fille très funky, très cool qui est venue me voir après le show pour me dire « je suis inspirée, je n’ai qu’une envie c’est de rentrer chez moi et créer quelque chose. »

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Au cours de votre carrière, vous avez côtoyé et collaboré avec quelques-uns des artistes les plus influents de leur génération : Leigh Bowery, Jean-Baptiste Mondino, Björk, Neneh Cherry… Y a-t-il une collaboration qui vous a marqué en particulier ?
Dans la musique, la personne avec qui j’ai le plus travaillé est Neneh Cherry et j’adore ce qu’on a fait ensemble à la fin des années 80, les vidéos, les photos. L’équipe que l’on formait tous les trois, avec Jean-Baptiste Mondino, était incroyable. Même si toutes les personnes avec qui j’ai travaillé occupent une place spéciale dans mon cœur, Neneh a réellement marqué ma vie et ma carrière. L’époque à laquelle on s’est rencontré était tellement fertile pour la musique que cela invitait forcément à la création.

Comment avez-vous rencontré Neneh ?
Dans une boîte de nuit ! On évoluait dans le même milieu et avec les mêmes personnes, mais on n’avait jamais été présenté. Un soir, je me suis retrouvé dans un club et elle était là, sans se connaître on s’est mis à danser ensemble sur un morceau de reggae génial et cela a continué toute la nuit. C’est seulement après que l’on s’est parlé ! On a dansé avant de se dire un seul mot. Ensuite, quand Neneh préparait son premier album (Raw Like Sushi, sorti en 1989) elle cherchait quelqu’un pour l’aider à construire son image, garder un œil sur tout l’aspect visuel de sa carrière et c’est là que notre collaboration professionnelle a débuté. Neneh est une femme forte, qui a des choses à dire. Elle ne voulait pas être considérée comme une énième bimbo.

Et Björk ?
Comme Neneh, Björk est une femme intelligente, qui sait ce qu’elle veut. Lorsque je l’ai rencontré, elle m’a demandé si je connaissais Jean-Baptiste Mondino, qui allait photographier la pochette de son premier album (Debut, sorti en 1993), et si je voulais bien l’aider. La créativité attire la créativité, et j’ai toujours eu beaucoup de chance à ce niveau.

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Quel a été le rôle d’Adidas dans la conception de Never Again et du fanzine Riot De-Luxe ?
Au départ, c’est pour un projet de chaussure qu’Adidas a pris contact avec moi. On en est venu à parler de l’exposition et Gary Aspden (consultant pour Adidas) m’a tout de suite proposé de m’aider, donc quand il a été question de créer notre fanzine je me suis tourné vers lui. Adidas a toujours soutenu l’art et la collaboration fait partie de son ADN, c’est grâce à eux que Riot De-Luxe a pu être produit.

Qu’est-ce que l’on trouve dans Riot De-Luxe ?
Le plus important était de conserver cet aspect fanzine. Cela représente vraiment ma jeunesse, quand j’ai quitté ma petite ville et que l’on communiquait par le biais de fanzines. Dans celui-ci, il y a des photos qui n’ont jamais été publiées, des images d’archives, des storyboard, mais aussi de nouvelles œuvres créées spécialement pour l’occasion !

Vous avez choisi de reverser tous les profits issus de la vente du fanzine à l’hôpital St. Mary’s. Pourquoi ?
L’hôpital St. Mary’s à Paddington a le meilleur département de pédiatrie du sud de l’Angleterre. Un de mes filleuls est né prématuré et a dû passer du temps dans un incubateur. Il est resté à St. Mary’s pendant trois mois. Le second, Nelson, a des besoins spéciaux qui nécessitent en permanence les soins qu’offrent cet hôpital. La sécurité sociale en Angleterre a très peu de moyens, c’est pour cela que j’ai proposé à la mère de Nelson – qui fait partie du conseil d’administration de St. Mary’s – de reverser les fonds récoltés par la vente du fanzine au département pédiatrique de l’hôpital. J’aime que mes actions servent aux autres.

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Ces derniers temps, de plus en plus de créateurs tentent de bousculer la mode, de se rebeller contre son système. Est-ce que cela vous rappelle le mouvement punk, d’une certaine manière ?
À l’époque c’était justement une attitude qui constituait le mouvement punk, on voulait changer les choses. Aujourd’hui, la mode ce n’est qu’un look, on garde l’aspect visuel d’une sous-culture, mais pas les idées qui la composent. Mais je suis un grand fan de la jeunesse, que l’on critique tellement. Tout le monde dit que les jeunes sont trop imbus de leur personne, mais pas tous et je pense que c’est grâce à eux qu’une révolution peut avoir lieu. 

Que reste t-il du punk aujourd’hui ?
Moi ! J’en ai encore l’attitude ! J’ai peut-être changé, mais l’attitude est toujours là. J’en rigole quelquefois avec Paul Cook (batteur des Sex Pistols) et Paul Simonon (bassiste de The Clash). On était des gamins en colère, on voulait foutre le bordel. Cela arrivera à nouveau, mais la mode ne peut pas le faire seule. Chaque mouvement a besoin d’une bande son, dans le cas du punk ce n’était peut-être que du bruit, mais c’était notre bruit.

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Crédit Images : Shehan Hanwellage