Elle fait marcher les filles et bouger les têtes du public en frontrow, c’est la musique ! Comme chaque saison elle a rythmé les Fashion Weeks. Pour embellir les défilés, les DJ veillent sur le son. En effet, ce sont eux qui ont la charge de ne pas uniquement contenter les invités en vêtements mais également de leur offrir un art de vivre, un univers à part entière. Peu à peu, DJ Leomeo a réussi à se faire un nom aux côtés du géant Michel Gaubert, chef d’orchestre tout puissant. Depuis sa première prestation avec une créatrice japonaise, il enchaîne les collaborations et brille aux défilés d’AZZARO.
Qui êtes vous ?
Je m’appelle Leomeo, je viens de Philippines, Je suis arrivé à l’âge de deux ans en France. J’ ai grandi en Normandie et je suis arrivé à Paris en 1990, j’avais à peine 17 ans. J’ai été baigné directement dans les clubs du Palace et les nuits parisiennes. Tout a alors commencé… Puis, ça s’est accéléré en 2002 quand on a m’a projeté dans ce milieu.
Comment avez-vous rencontré les directeurs artistiques de la maison Azzaro ?
Je travaille pour la boîte d’événementiel VIDI Agency qui fait appel à des illustrateurs sonores pour notamment faire des after shows pour des défilés comme j’ai beaucoup fait. J’ai réalisé mon premier vrai défilé pour Yumi Katsura, une créatrice japonaise qui fait des robes de mariée haute-couture. Et c’est par hasard, il y a deux ans, que j’ai eu la chance de rencontrer les représentants de la marque Loris Azzaro.
Quelle a été votre première expérience en tant que DJ des défilés de mode ?
Ce premier défilé pour Katsura était pour moi une expérience très difficile car déjà je devais remplacer Michel Gaubert. Il fallait trouver une musique différente pour chaque robe. Un style particulier pour chacune d’elles ! Cette créatrice était très carrée et tout était prédéfini. C’était magnifique : cela se passait dans l’immense hall du café de l’Opéra. Magnifique mais aussi ultra stressant. Trouver un morceau de 15 secondes pour chaque pièce -sachant qu’il y avait à peu près 25 modèles- était un défi quasiment impossible à relever. Ce défilé n’était donc pas du tout du genre classique. J’ai beaucoup enduré durant cette expérience mais cela m’a été très fructueux pour la suite !
Décrivez-nous votre relation avec l’équipe Azarro ?
Avec Azzaro, tout a coulé de sources dès notre première rencontre. On avait la même approche des défilés. J’ai vu leurs collections en avant-première, ils m’ont donné des indices en m’expliquant la fluidité et la légèreté des matières. J’ai alors commencé à construire un fil directeur de musiques en sélectionnant quelques morceaux qui me semblaient coller parfaitement avec l’idée majeure de cette collection. J’ai utilisé toutes mes ressources et mes références pour traduire les vêtements en son.
Est-ce la première fois que vous mixez pour Azzaro ?
Non, ça fait trois saisons que je compose la bande-son de leurs défilés à Paris. Dans les défilés Azzaro précédents que j’ai mixés, la musique se rapprochait plus de la deep house, il y a avait un « pied » et beaucoup plus de rythmes électro. Les mannequins marchaient vraiment sur une mélodie qui les guidaient dans leurs pas. J’ajoute toujours ma petite note, ce lien essentiel entre les morceaux pour créer un fil conducteur -par exemple le vent dans le désert qui va et vient. J’ai voulu faire résonner les pas de talons.
Quelle robe d’Azzaro de la collection A/W16 a été l’élément déclencheur de votre inspiration musicale ?
C’est celle qui a été réalisée avec des cristaux Swarovski. J’ai tellement aimé cette robe avec son style contemporain qui laisse entrevoir une partie de la silhouette féminine. La traîne cassait le côté classique léger pour une allure moderne. A partir de ce moment là, j’ai voulu réinterpréter la musique classique avec des sons électroniques sur les traces de Daft Punk ! J’ai aussi beaucoup aimé les bottes longilignes magnifiques aux motifs du logo Azzaro ! J’aime le génie de ces créateurs tout en subtilité et le remix que je voulais leur offrir devait leur ressembler !
Pour ce défilé Azzaro, pourquoi avoir choisi de remixer le Lac des Cygnes ?
En effet, ce choix n’était pas du tout anodin ! Pour ce défilé Azzaro AW16, les créateurs m’ont dit de faire tout l’inverse des précédents. Alors que les deux anciens défilés étaient accompagnés d’une musique électronique et pointue, les créateurs voulaient que les mannequins ne soient guidés par aucun rythme ! D’autant plus que cette fois-ci il y avait beaucoup de modèles. Ils m’ont proposé alors de m’orienter vers la musique classique. A partir de là, j’ai travaillé sur les différents styles de pas, des bruits de rue, des klaxons et des chants d’oiseaux. J’aimais l’idée de ce contraste sonore. J’ai sélectionné le morceau le plus connu du ballet du Lac des Cygnes puis j’ai créé une boucle et ensuite j’ai mis le tout sur les platines.
Avez-vous vu le ballet de danse classique du Lac des Cygnes ?
Bien sûr ! Durant l’un de mes voyages à Prague. J’aime tellement cette ville où l’on peut écouter un concert à n’importe quelle heure de la journée ! Ce genre d’expérience m’a permis de découvrir quelque chose qui sommeillait en moi. J’ai trouvé la sensibilité dont j’avais besoin pour pouvoir créer des mix pour ce genre de défilé.
Comment se passe le Jour J du défilé ?
L’équipe du son et des lumières est présente dès 3 heures du matin pour créer un véritable univers éphémère qui va accueillir la collection Azzaro jusqu’à tard dans la matinée ! Puis, on fait des répétitions. C’est primordial que les mannequins soient présentes pour les tests de la bande sonore car il y a toujours une fille qui ne marche pas droit, trop vite ou trop lentement… Par exemple, quand on a fait le filage avec les mannequins, on avait calculé le temps au millimètre près. Le live arrive enfin ! Et là, c’était assez stressant car elles ne défilaient pas à la même cadence et restaient 2 ou 3 secondes devant les photographes qui leur demandaient de rester… J’ai dû gérer ces contre-temps comme je pouvais !
Mais que s’est-il passé au moment du final Azzaro ?
Lors du final, il y a un infime moment d’hésitation. Pour moi, c’était un léger retard. Mais en réalité, les invités n’y ont vu que du feu ! Vous ne pouvez pas imaginer toute l’effervescence qui existe derrière le rideau quand vous êtes assis sur les bancs du catwalk. Cette obsession pour la coordination et l’harmonie entre la mode et la musique est quelque chose qui me tient très à cœur. J’aime tellement « illustrer la mode en musique » !
Qu’ appréciez-vous le plus : être « illustrateur de son » ou DJ dans les night clubs ?
C’est une autre adrénaline et c’est tellement différent que je télescope constamment ces univers. Pourtant, dans la mode, j’ai une certaine reconnaissance qui fait plaisir et qui m’aide à continuer dans ce milieu. J’ai la chance de travailler pour Azzaro car ces créateurs sont très attachés à tout ce qui relève de l’émotion et de la sensibilité -contrairement à certains créateurs qui présentent des défilés avec une musique totalement déstructurée qui interprète d’une autre façon la beauté des pièces haute-couture. Avec Azzaro, j’aime révéler la mélancolie, la nostalgie et la beauté à travers les instruments à vents et à cordes. La puissance du piano et du violon est inestimable et me permet de réinterpréter des morceaux classiques.
Quel est votre compositeur classique de prédilection ?
Sans hésitation : Gabriel Fauré ! La Pavane m’a complètement bouleversé quand je l’ai écouté pour la première fois -j’étais encore un adolescent. Pendant la période de ma vie où j’arrivais tout juste à Paris et où je passais mes nuits dans les clubs, je rentrais chez moi et je me mettais à écouter Fauré ! Le bonheur ! Toute sa musique m’inspire un sentiment intime et profond de douceur et de mélancolie. Fauré m’accompagne depuis très longtemps et encore aujourd’hui. J’écoute aussi des musiques de films pour m’aider à trouver l’inspiration comme la prestation de l’orchestre philharmonique de Dracula de Bram Stoker.
Quelle est votre touche personnelle ?
Ma particularité vient en fait de la très grande variété de références que j’utilise à chacune de mes compositions. Ma culture me permet de proposer quelques chose d’unique qui brasse tous les styles de musiques. J’aime créer une rythmique et mélanger l’électro, les sons d’aujourd’hui avec des nuances de violon !
Que pensez-vous de David Guetta ?
Je pense que c’est un bon DJ et producteur qui a mixé quand je sortais en boîte dans les années 90 ! Je l’ai vu évoluer. Ce n’est pas vraiment mon style de musique actuelle mais j’admire sa capacité à s’adapter aux goûts et aux attentes de la génération d’aujourd’hui. Et surtout, je salue son énergie -il mérite son succès ! Pourtant, je m’éclate autant à travailler sur d’autres directions musicales et à composer des défilés de mode !
Que pouvons-nous vous souhaiter pour la nouvelle année ?
Je souhaite continuer à m’exprimer à travers mon travail dans la musique aussi longtemps que possible. J’espère aussi que 2016 ouvrira de nouveaux horizons car je commence depuis peu à composer de la musique pour les pièces de théâtre présentées par Les Lucioles. C’est un nouveau challenge qui se présente à moi et je suis très excité !