Revoilà l’icône Beth Ditto et ses deux acolytes, le guitariste Brace Paine et la batteuse Hannah Blillie pour un nouvel effort : A joyful noise est leur cinquième album studio. Faisant suite au succès de Music For Men, il confirme le tournant pop du groupe. Rencontre avec le trio atypique dans une suite de l’hôtel Westin, lors de leur passage à Paris.

[Beth étant partie au petit coin, l’interview commence en compagnie de Brace et Hannah]

Bonjour à vous ! Parlons avant tout du nouveau son Gossip, bien plus pop qu’auparavant. Avec quel producteur avez-vous travaillé cette fois-ci ?

Hannah : Brian Higgins, aussi connu sous le nom de Xenomania. Apparemment, il est super réputé en Grande-Bretagne… Nous, on n’avait jamais entendu parler de lui avant !

Brace : Mais si ! Tu te souviens du Believe, de Cher ? C’était lui ! (rires)

Il a aussi produit Kylie Minogue ou les Pet Shop Boys… Mais pourquoi diable ce choix qui, de prime abord, ne vous ressemble vraiment pas ?

Hannah : Beth l’a rencontré à Londres je ne sais plus trop à quelle  occasion. Toujours est-il qu’ils ont discuté musique et production, notamment de la place de la voix dans nos morceaux. Beth a apprécié son approche. Nous l’avons donc tous rencontré, et bien qu’il vienne d’un univers musical différent du nôtre – ce qui était un peu étrange et effrayant pour nous au début –, il a écouté nos chansons et les a appréciées. Et il avait de très bonnes idées pour leur production.

Brace : C’est un mec très chouette et on a aimé travailler avec lui. C’est ce qui compte pour nous.

Pour l’écriture, avez-vous travaillé tous ensemble ?

Hannah : Oui, on a commencé l’année dernière dans notre ville d’adoption, à Portland. On a essayé plein de choses, on a jammé ! Les chansons peuvent provenir d’une ligne de basse, d’un riff de

synthé ou d’une mélodie vocale, peu importe. Elles arrivent assez vite, en général. C’est organique en somme !

Vous êtes réputés pour ce mélange inédit de styles musicaux…

Hannah : Oui ! Il y a des influences punk, disco, de dance music, de pop music, un peu de tout…

Comment parvenez-vous à obtenir un son si facilement identifiable avec un tel millefeuille de styles ? Comment trouvez-vous l’équilibre ?

Hannah [sérieuse] : Cela nous vient assez naturellement. On ne se dit jamais : « Alors là, on va écrire tel type de chanson ». C’est très spontané. Pour chaque album, il n’y a jamais une idée de thème ou de concept qui donne une orientation au disque. On s’en rend compte incidemment ensuite une fois le disque terminé !

Nous sommes interrompus par la très joviale Beth, qui vient d’arriver en fanfare, comme à son habitude.

Beth : Salut beau gosse ! Ça vous dérange si je fume ?

Moi : Heu… Non, pas le moins du monde.

Beth : Ah oui, c’est vrai qu’on est à Paris ! J’adore ! Vous avez du feu, s’il vous plaît ? Maintenant c’est parfait. Ok, on peut y aller !

Je replonge dans mes notes, le sourire aux lèvres.

Beth, nous étions en train de parler du nouveau son Gossip. Par rapport à vos précédents albums, les guitares sont moins présentes, même si elles sont toujours là…

Beth : Oui, on entend moins de RRRRRRR, c’est vrai. Brace a voulu quitter le groupe au moins sept fois !

Brace [stoïque] : Je crois que c’est le jeu de la production plus pop qui veut ça. J’avoue. Je n’étais pas très emballé au départ, mais je m’y suis fait avec le temps.

Beth : Mais oui, bien sûr, c’est la pop… T’as déjà entendu parler de Prince ? (rires)

Brace : Je pense que Brian met plus en avant les basses et les lignes de synthés, tout simplement. Il est vraiment centré sur les synthés.

Il s’agit d’un pari pour vous, non ?

Beth : On n’aime pas faire deux fois les mêmes choses. À quoi bon refaire le même disque ? Faire de la musique pour nous, c’est aussi  s’amuser, prendre des risques, essayer de nouvelles choses !

Vous êtes aussi célèbres pour vos performances live. Est-ce que ça signifie que pour la scène, vous allez changer aussi ?

Beth : Je pense qu’une de nos qualités, c’est d’adapter notre musique à la scène. Déjà parce qu’il le faut bien…

Hannah : Notre formation sur scène est réduite, nous sommes seulement trois. Le seul fait de revenir à une formule plus minimaliste nous oblige aussi à nous réinventer pour le live, c’est une nécessité pour que cela fonctionne. Sur scène, certains éléments, comme notre côté punk, reviennent un peu plus à la surface que sur l’album. C’est complètement normal. Je ne vais pas m’en plaindre, c’est l’univers d’où je viens !

Beth : Il y a un détail très drôle qui me revient en mémoire. On vient de tourner la vidéo de Perfect World et je visualise encore très bien Brace faire semblant de jouer du synthé avec un doigt, cette image me fait hurler de rire à chaque fois que j’y pense ! (rires)

Brace [mi-figue, mi-raisin] : J’ai trouvé ça beaucoup moins drôle que toi, Beth. Mais puisque c’est juste pour le clip, ça va. 

Lorsque vous regardez le chemin parcouru depuis vos débuts, comment imaginez-vous l’évolution de votre groupe et de votre musique ?

Beth : Je me dis que tout cela a été assez naturel et qu’on a su ne pas se répéter. C’est la chose la plus horrible qui aurait pu nous arriver. Enfin, presque. Le plus important, c’est que nous avons réussi à

conserver notre identité. C’est crucial à nos yeux.

Hannah : Nous avons appris plein de choses. Maintenant, on ne fait plus un album en dix jours comme à nos débuts. Nous pouvons bien mieux travailler. C’est important. C’est aussi cela, grandir.

Justement, vous étiez sur un petit label indépendant et maintenant vous avez signé sur une major company du disque. Qu’avez-vous appris ?

Beth : On a surtout appris à dire non ! (acquiescement général du groupe). On a le contrôle artistique complet, c’est simple ! Lorsque Sony est venu à nous, on a été très directs : « On veut le même contrat que Sonic Youth, sinon, ce n’est pas la peine de revenir nous voir ! », leur a-t-on dit. Et on l’a eu ! (« Yeah» collégial)

Vous avez toujours eu une attitude et un discours assez revendicatif pour le droit à la différence, contre certaines injustices… C’est toujours d’actualité pour vous ?

Hannah : Plus que jamais ! Maintenant, on a les moyens de se faire  mieux entendre, de diffuser notre musique sur un spectre bien plus large. C’est primordial pour nous ne pas jeter l’éponge aujourd’hui !

Beth : On poursuit le chemin que les groupes qu’on écoutait quand on avait 15 ans nous ont montré. Nous avons la chance de bénéficier de leur travail. Deux décennies plus tard, il est hors de question de baisser les bras, bien au contraire !

Hannah : Les états-Unis n’ont jamais été aussi conservateurs qu’aujourd’hui. Les mouvements puritains se sont solidifiés. C’est vraiment flippant ! Nous représentons les minorités car c’est de là d’où nous venons. On a un vrai devoir vis à vis d’elles.

Vous remplissez les salles de concerts, vous rencontrez les plus grands designers, vous faites plusieurs fois le tour du globe. Comment  parvenez-vous à garder les pieds sur terre ?

Hannah : On habite Portland, ça aide ! Et nous sommes toujours très liés avec tous ces artistes incroyables qui luttent pour leur survie.

Beth : Dont beaucoup sont bien meilleurs que nous !

Hannah : Ils vivent toujours dans une précarité dans laquelle nous étions il y a seulement dix ans de cela. Ils sont toujours avec nous. On fait toujours partie de la même communauté. Et on se dit que rien n’est jamais gagné.

[L’heure tourne. Il est temps pour moi de prendre congé et de remercier le trio pour ce moment. Brace me tend la main, timide. Avec affection, Hannah me prends dans ses bras. Beth fait de même mais ne peut s’empêcher de conclure d’un sonore : « Mmm! Tu sens bon ! Oh oui, décidément, j’aime Paris ! »].

 

Propos recueillis par Joss Danjean

Photos_ Frédéric Baldo

Réalisation_Frédéric Baldo