Après deux albums grâce auxquels ils se sont sécurisés les faveurs du public indie-pop, les trois Écossais de Chvrches tentent avec leur nouvel opus Love Is Dead de se lancer auprès d’un public plus mainstream en s’entourant de producteurs extérieurs. Le résultat n’est finalement pas si surprenant et l’ADN du groupe est toujours là avec cette collection de hits synth-pop en puissance. Les Chvrches sont bien connus pour leurs déclarations intransigeantes contenant un message viscéral et sans concession et de ce coté-là, rien de changé. Le titre de ce nouvel album est une référence directe à ce que la chanteuse Lauren Mayberry appelle « la mort de l’empathie » dans la société. Mais il semble compliqué de toucher un plus grand public avec un message si connoté indie-pop. Si le premier album nous avait d’emblée convaincus avec ses envolées mélodiques et son audace dramatique, le deuxième avait développé un son encore plus énorme en conservant les codes du DYI avec brio. Qu’en est-il donc de ce nouvel album où ils osent contre toute attente ouvrir la boîte de Pandore des producteurs stars comme Greg Kurstin (Adele, Sia, Beck) ou Steve Mac (One Direction, Ed Sheeran) ?

Rencontre avec la chanteuse et frontgirl Lauren Mayberry.

Qu’avais-tu en tête en démarrant ce nouvel album ?
Il y a de la pression pour chaque album mais celle-ci est surtout auto-imposée. On a toujours envie de faire le meilleur enregistrement possible et c’est sur cela qu’il faut se concentrer. On ne peut pas passer son temps à paniquer sur ce que les gens en dehors du groupe veulent que l’on fasse, sinon notre tête ne sera pas au bon endroit pour vraiment être libres et créatifs. Nous sommes tous les trois une unité étroite à ce stade et nous essayons de nous concentrer là-dessus.

Pourquoi avez-vous décidé de travailler avec de super producteurs comme Greg Kurstin ou Steve Mac alors que vous aviez été plutôt chanceux avec votre autoproduction jusqu’à aujourd’hui ?
Produire les deux premiers albums était vraiment important – et rare car peu de groupes peuvent le faire. Nous voulions établir par nous-mêmes ce Chvrches était et à quoi ressemblerait notre musique sans introduire d’opinions extérieures jusqu’à ce que nous ayons construit cette fondation. Quand nous avons rencontré Greg, nous avons immédiatement senti qu’il comprenait ce que nous essayions de faire et qu’il allait nous aider à développer notre vision créative plutôt que de la changer sans raison valable. 99% des artistes travaillent avec un producteur donc je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas nous mettre au défi. Il y a une différence entre quelqu’un qui produit votre album et quelqu’un qui écrit des chansons pour vous. Cette dernière option, nous ne l’envisagerons jamais parce que nous nous considérons en tant que compositeurs avant tout.

Dans quelle mesure le fait d’avoir quitté votre ville natale de Glasgow pour New York a pu avoir un impact sur votre musique ?
Nous sommes tous les trois partis à New York début 2017 pour commencer à écrire des démos pour le disque. En tant que parolière, je pense qu’il est important de ressentir qu’on se déplace, qu’on change, ressent et vit des expériences. Il m’a semblé que j’avais écrit tout ce que je pouvais sur la vie à Glasgow à cette époque. Je ne pense pas que le disque semble américanisé, je le vois comme un disque très britannique, peut-être parce que Greg a travaillé avec tant d’artistes britanniques (Lily Allen, Liam Gallagher, Paul McCartney) et comprend notre état d’esprit.

Ce nouvel album semble plus pessimiste ; qu’y a-t-il de changé selon toi depuis Open Every Eye en 2015 ?
Avec tout mon respect, je ne suis pas d’accord pour dire que ce disque est plus pessimiste ou plus négatif que nos précédents albums. L’équilibre entre la lumière et l’obscurité a toujours été une partie importante du groupe, des chansons comme « Clearest Blue », « Leave a Trace » ou « Recover all Feel Like » contiennent cette juxtaposition. Je pense qu’il ne faut pas se forcer à écrire une certaine sorte d’émotion. Ce nouveau disque, pour moi, ressemble à quelqu’un qui essaie de trouver l’espoir quand les choses vont mal.

Où as-tu puisé ton inspiration pour ce disque ?
Quand j’écris des paroles, j’essaie d’être honnête, même si parfois cela signifie dire des choses qui mettent mal à l’aise. Il faut être vulnérable dans ses écrits, que ce soit avec des émotions d’amour, de colère ou de tristesse. En tant que musicien, on ne peut pas passer du temps dans le processus d’écriture à se soucier de ce que les autres vont penser de ce que l’on a dit, autrement on finit par ne rien dire du tout – ou du moins rien d’authentique. Je veux croire en ce que je chante.

Penses-tu que la musique – comme votre musique – a un rôle à jouer en dénonçant les problèmes de notre époque, comme ce qui se passe actuellement avec les débordements dans les médias sociaux ?
Je pense qu’il y a un équilibre à trouver entre le divertissement et les messages à faire passer. Il faut avoir des convictions et vivre sa vie d’une manière qui nous convient. Personnellement, j’essaie d’être une bonne personne et de voir le meilleur dans les autres, et si on a une plate-forme pour communiquer avec les gens, il faut l’utiliser à bon escient. Les gens ont dit que notre groupe était « politique » depuis le premier jour parce que nous parlions de misogynie. Je ne pense même pas que cela devrait être considéré comme politique de nos jours – cela devrait être du bon sens – mais je préfère vivre avec cette étiquette qu’avec la tête dans le sable.

Dirais-tu que le groupe a débuté sa propre révolution intérieure avec ce nouvel album ?
Nous avons toujours essayé d’être de bonnes personnes et d’utiliser la plate-forme que nous avons la chance d’avoir pour renvoyer un message positif ou faire quelque chose de constructif. C’est toujours le cas avec ce disque.

Lorsque tu regardes le chemin parcouru depuis vos débuts, que penses-tu de la trajectoire prise par le groupe ?
Je suis très reconnaissante. Nous avons travaillé dur mais nous avons aussi eu beaucoup de chance – ce genre de choses arrive rarement aux gens qui viennent d’où nous venons. Je suis fière d’avoir toujours été honnête et de ne pas avoir eu peur de la musique que nous faisons et de la façon dont nous nous conduisons.

D’après toi, quelle est votre plus grande réussite dans ce disque?
Pour nous, c’est ce que nous avons présenté de plus cohérent à ce jour. Nous n’avions pas peur des moments directs et mélodiques, nous n’avions pas non plus peur des moments plus sombres et plus macabres quand ceux-ci surgissaient. Ces deux éléments résument vraiment ce que Chvrches est, dans mon esprit.

Plusieurs personnes se sont ajoutées à ce projet comme Greg Kurstin, Steve Mac ou encore Matt Berninger ; comment êtes-vous parvenus à maintenir une cohésion avec tous ces apports différents ?
Nous sommes tous les trois le cœur de ce projet et je pense que nous avons de très bons instincts pour savoir ce qui fonctionne ou pas. Au bout du compte, nous avions toujours la possibilité de tout produire nous-mêmes donc chaque fois que nous avons collaboré avec quelqu’un, c’était parce que nous le voulions – pas parce que nous devions le faire.

Qu’y a-t-il dans ton téléphone en ce moment : qui sont les nouveaux artistes que tu écoutes ?
Phoebe Bridgers, Soccer Mommy, Alvvays, Shame, Lo Moon, Let’s Eat Grandma, SZA…

Comment entrevois-tu Chvrches dans le futur ?
J’essaie de ne pas regarder trop loin et de me concentrer sur le présent dans la mesure du possible, ce qui pour nous signifie tourner ce disque et – espérons-le – rencontrer des gens en cours de route. C’est ce que tous les musiciens veulent, je pense : partir à la rencontre et communiquer avec le public.

Ce nouvel album a certainement les défauts de ses qualités : sa recherche constante du hit imparable en acier inoxydable l’empêche de rester humain et proche de l’auditeur. Le groupe s’est-il donc mué en une formidable machine à danser ? La suite nous en dira plus car ce disque nous laisse dans l’attente. Il est dommage qu’une certaine froideur souffle ici mais qu’attendre d’autre d’un album intitulé Love Is Dead ? Le prochain disque s’avérera encore plus décisif pour le futur du groupe qui a encore un potentiel à développer.

CHVRCHES
Love Is Dead
(Virgin Records UK / Mercury FR)