Du haut de ses 22 ans, Antoine n’a que faire des petites ambitions. Etudiant en design à la Web School Factory, il exerce la photo depuis maintenant quatre ans. Ses premiers clichés de mode furent pour le webzine Beware en 2012. C’en est suivi des shootings opportuns au quartier de La Haie Griselle (Boissy-Saint-Léger), où il continue d’aller régulièrement, oscillant entre photo et réalisation de clips. Pour savoir comment il en est arrivé là, on a discuté autour d’un café et d’un Coca Zero – même si pour lui, rien ne vaut le lait-grenadine de son enfance…

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Racontes-nous un peu ton parcours personnel.
Je suis né à Nevers (58), rien à voir avec la mode, ni avec la street d’ailleurs (rires). Et j’ai passé mon adolescence dans le 94 à côté de Boissy-Saint-Léger. J’étais au lycée à Sucy-en-Brie. J’habite à Paris depuis mes 16 ans, où j’ai vraiment commencé à m’intéresser à la photo et à la mode.

Comment es-tu arrivé à la mode justement ?
C’est par Beware, qui m’a permis d’assister à mes premiers défilés de Fashion Week. C’était des petits défilés sympas, où j’ai commencé à me faire la main sur cet univers – assez stressant et oppressant l’air de rien. Ça m’a permis de rencontrer quelques personnes, connaître les marques… débuter par la Fashion Week est un bon moyen de comprendre ce système, à mon avis.

Quels créateurs de la Fashion Week t’ont marqués ou pour qui tu as travaillé ?
J’aimais beaucoup Hexa by Kuho, Julius ou encore Allude – où je m’étais retrouvé au backstage parce que l’attaché presse aimait bien mes photos !

Du coup, tu es venu à la photo par la mode ?
Pas tout à fait. Avant ça j’ai commencé par la photo animalière. Quand j’étais au lycée, j’allais tout le temps faire des photos au Jardin des Plantes. Puis petit à petit j’ai fait pas mal de portraits de mes amis. Un jour, un autre photographe, déjà bien inséré dans le milieu, regardait mes photos. Il a apprécié mon travail et m’a mis en relation avec Mademoiselle Agency, pour collaborer avec des mannequins professionnels et étoffer mon book. C’est là que les choses ont réellement commencé à prendre forme.

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Comment as-tu commencé ta série sur la street ?
C’est un pote rappeur ($ COOL JOH, du groupe La Sphère), du lycée, qui m’a présenté son groupe. Ils avaient besoin de clips, je voulais faire de la vidéo et ça s’est fait comme ça : en même temps que mes clips, j’en profite pour faire des photos. La série n’était pas calculée. Les photos sont prises sur le long terme, en même temps que mes tournages ou quand je passe un peu de temps là-bas.

Comment as-tu été accueilli ?
Je crois qu’on m’a pris pour un client la première fois (rires). Non, en vrai j’ai été accueilli normalement. Comme partout, il faut s’adapter à l’univers dans lequel on est tout en restant honnête avec soi-même.

As-tu envie de montrer quelque chose, d’être témoin d’une certaine culture à travers elle ?

On m’a plusieurs fois questionné ou reproché l’apologie des armes et de l’argent « sale », ce que je trouve absurde. Les armes existent, l’argent aussi… je trouve malhonnête de vouloir les cacher, peu importe le prétexte. Ça ne résoudra aucun problème de faire comme si elles n’existaient pas.

Et je ne suis pas là pour prendre partie. Je suis pas forcément d’accord avec tout ce que les gars disent dans leurs chansons ou ce qu’ils veulent montrer dans leurs clips. Je met juste des images sur des paroles, et c’est un univers qui m’inspire, que je connais depuis assez longtemps. C’est une collaboration entre eux et moi, où les clips apportent à chacun.
Mais globalement, je suis témoin d’une certaine culture que la France a encore du mal à comprendre, à accepter et à intégrer (que ce soit les cités ou le rap).

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Tu te sens plus à l’aise dans un univers en particulier ? Plutôt mode ou street ?
Les univers sont différents. La rue tient plus du reportage. On prend les choses comme elles arrivent, c’est rarement organisé. Même pour les clips : certains sont plus préparés que d’autres. Parfois, on m’appelle juste pour me dire « viens, on fait un clip ». On passe la journée là, à faire un tas de choses qui font un clip à la fin de la journée.

Des fois on doit attendre deux heures parce que quelqu’un est en retard, qu’il fallait une moto mais qu’elle est pas là… ou qu’il y a les flics.

La mode, à l’opposé demande beaucoup plus d’organisation même pour un petit shoot. Il faut préparer une équipe, trouver une publication, se faire prêter des habits, etc. C’est compliqué d’improviser car on créé un univers, alors que dans le rap on utilise l’univers qui nous entoure.

Aimerais-tu shooter un autre domaine ?
J’ai fait un peu de reportage, à Haïti et Madagascar en 2012.

Je trouve le reportage très intéressant et j’aimerais apporter ses revendications dans la mode.

Cela se fait déjà un peu dans le sens social du terme, où la mode est utilisée pour revendiquer des droits par exemple. Aujourd’hui on a les questions de genre, l’affranchissement des conventions strictes que la société inflige à l’homme ou la femme. Mais moi j’aimerai donner un caractère plus personnel, aborder de sujets qui me tiennent à cœur et les représenter sous mon point de vue. Je pense qu’on peut faire de la mode quelque chose de beaucoup plus sensé.

Qu’est-ce qui t’a poussé à aller là-bas ?
C’était une sorte de besoin. J’aimerai faire des reportages de guerre encore aujourd’hui. C’était pas possible à 17/18 ans (rires). Déjà quand je suis parti à Haïti, ma mère n’a pas trouvé ça super cool — ceci dit elle a toujours été et est un très gros soutien dans ce que j’entreprends. Malgré les risques, si ça lui plait pas ou qu’elle ne comprend pas, elle m’incitera à continuer.
Je trouve intéressant de témoigner de l’Histoire, montrer ce qu’il se passe ailleurs à ceux qui ne peuvent pas voyager mais qui restent éveillés, et d’autant plus à ceux qui ferment les yeux sur l’Ailleurs. Faut arrêter d’être intéressé que par soi-même et ce qu’on voit dans l’immédiateté de notre environnement. On peut tout voir ! Tout est proche, le monde est petit, faut se sentir concerné par ce qui nous entoure !
Il y a aussi le côté plus personnel : vouloir pousser ses limites, de savoir qu’on peut le faire.

Quels autres pays t’intéresseraient ?
Le Sud Soudan. C’est un pays tout jeune et j’ai envie de comprendre pourquoi après quelques mois à peine d’existence, le pays était déjà en guerre.
Le Costa Rica me fascine également. Dissoudre son armée pour investir dans l’environnement, c’était quand même un pari osé. C’est un pays qui m’apparait comme l’opposé de la guerre.
Le Canada et l’Alaska également, mais au fin fond de la nature, où il n’y a plus vraiment d’humains. Les seuls animaux que tu vois à Paris c’est des pigeons et des rats, c’est déprimant. J’aimerai bien photographier des ours, des loups, des castors etc. C’est stylé ! C’est personnel aussi, une envie d’être complètement libre, en cohésion avec la nature.

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Peux-tu nous parler un peu des clips que t’as déjà filmé ?
Y a deux types de clips généralement : les street clips et ceux qui sont plus préparés.
Pour les street clips, c’est souvent assez ghetto. Ce ne sont pas des clips très recherchés en terme de créativité. Ce sont des clips plutôt faits pour mettre une image sur des freestyles, des petits morceaux. C’est difficile aujourd’hui de sortir de la musique sans visuel pour les petits artistes, et encore plus dans le rap.
Pour les clips plus préparés, on cherche un concept, un message à faire passer de manière indirecte. On s’occupe du repérage, on prépare le scénario, on prévoit tout ce qu’il se passera dans le clip et on essaye de laisser le moins de place possible à l’improvisation, même si elle pointe toujours le bout de son nez à un moment ou un autre.

 

Penses-tu que la mode s’intéresse au rap “ghetto” parce que c’est lucratif, sans intérêt réel derrière ?
La mode est considérée comme un luxe que personne ne peut atteindre, mais ce que fait la mode influe énormément sur toute la société, que ce soit pour les habits/styles à proprement parler ou quand elle décide de prendre partie, de démocratiser de nouveaux usages ou de défendre certaines minorités.

La mode est insolente et c’est ce qui la lie aujourd’hui à la rue et au rap à mon avis. Ce sentiment de « je fais ce que je veux, et je t’emmerde ».

La mode aime ces casseurs de tendance (ou créateurs de tendances, on le voit de l’angle qu’on veut).
Je pense que l’argent y est pour quelque chose aussi. La street influence énormément toutes les cultures plus jeunes aujourd’hui. Quand on voit l’influence de Kanye West, que ce soit sur la musique ou la mode, ou même en France celle qu’a Booba. Ou récemment, la collaboration entre A$AP MOB et GUESS, ça permet aux marques de récupérer du public dans des milieux qu’elles n’avaient pas forcément ciblé au début.

Je reviens sur tes photos. J’ai vu que tu utilisais beaucoup de noir et blanc. C’est une préférence ?
Au début c’était par facilité. Puis petit à petit j’ai appris à le varier à ma manière. Le noir et blanc correspond assez à mon univers, qui est plutôt sombre. Maintenant je maitrise mieux la couleur donc j’en fais plus qu’avant, mais je favorise toujours le noir et blanc, que je trouve plus intemporel.

La manière de gérer les couleurs est assez périodique, j’ai l’impression. Aujourd’hui c’est la mode Instagram, avec un traitement un peu mat, des couleurs ternes.

Un style très identifiable pour lequel je me pose la question de la longévité : est-ce qu’il persistera après Instagram ? Sur de nouveaux médias ? Je trouve la couleur périodique de nos jours, et en fonction de la plateforme où sera publié le travail. Je trouve que le noir et blanc est intemporel, plus personnel. Il y a plein de noirs et blancs différents, mais dans six mois ton noir et blanc sera toujours d’actualité… comme dans dix ans.

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On peut dire que tu te fonds dans le moule de la couleur ?
J’essaye d’apporter ma petite touche personnelle, mais dans l’ensemble plus rien n’est unique. Avant, les « cercles » de travail et découverte étaient très limités, on n’avait pas accès au travail de milliers (voire millions) d’artistes donc on trouvait quelque chose d’unique beaucoup plus facilement. Aujourd’hui, il suffit de passer quelques heures sur les réseaux sociaux et on trouvera un tas de gens qui font des choses similaires.
Mais c’est pareil dans tous les milieux artistiques.

C’est devenu très rare de découvrir des artistes qui amènent quelque chose de nouveau. D’ailleurs, quand quelqu’un fait quelque chose qui se démarque, on est vite au courant, que ce soit dans la musique ou la mode.

Je vais prendre des exemples assez larges, mais Kanye West (dans la musique comme dans la mode) apporte sa touche. Tout le monde copie ensuite. En France on pourrait prendre PNL comme exemple. Tout le monde se met à faire pareil. Très peu cherchent à innover, à se démarquer.

C’est un phénomène purement américain ou tu le retrouves en France également ?
Je pense qu’aux Etats-Unis il y a des équipes bien plus complètes derrière qui travaillent avec les artistes pour veiller à ce qu’ils amènent leur touche. Quand j’ai fait des photos de Tinashe, une dizaine de personnes gravitaient autour d’elle, et elle n’avait pas encore sorti son premier album !
En France, les rappeurs que je connais n’ont aucune structure (pas de label, pas d’association). Ils font juste des sons en espérant percer, certains ont des stratégies un peu mieux ficelées que d’autres mais globalement il n’y a pas d’encadrement.

Aux Etats-Unis j’ai l’impression que ce ne sont pas les mêmes statuts. Certains mecs inconnus le font à l’arrache, mais dès qu’on voit que tu peux faire une audience (et de l’argent), tu pourras trouver une direction artistique pour mener ton projet au bout.

Je ne dénigre pas la France, car on a des artistes originaux ici, mais on copie – la plupart du temps les Cainris. Il manque de personnalisation, de démarcation. Après « Validée » de Booba, tout le monde s’est mit à faire pareil, mais sans se poser de questions. Tout le monde a fait « comme Booba » et bien souvent c’est pas très bon. Il faut savoir utiliser les tendances en se les appropriant.

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Si on fouille ta playlist Spotify, on trouve quoi ?

  • Tiers-Monde, Le Temps détruit tout
  • Skepta, Text Me Back
  • SchoolBoy Q feat. Kanye West, That Part
  • Kery James, N’importe quoi
  • Graya, La Mama

Quels sont tes projets pour la suite ?
J’aimerai bien développer l’aspect personnel des artistes. Ne pas shooter juste un concert mais intégrer leur univers, leurs tournées, leurs heures de studio. Photographier tout le processus créatif d’un album.
En mode, comme je l’ai dis plus tôt, j’aimerai faire des shoots plus « sensés » et plus élaborés. J’ai trouvé un château abandonné, dont je tairais la localisation et c’est de la folie ! J’aurai peut-être besoin d’un petit budget pour réaliser mon idée d’ailleurs… (rires).
Sinon je pars un mois cet été à New-York, j’espère y développer mon réseau et y shooter beaucoup.

Un dernier mot ?
La vie est belle !

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