L’art de ce continent ne s’exporte plus sous la bannière — si généraliste qu’elle en est problématique – nommée « Afrique ». Portait d’une identité davantage visible et enfin reconnue dans sa pluralité.

Du 10 au 12 Novembre se tiendra l’AKAA (Also Known As Africa), la première foire d’art contemporain et de design tournée vers l’Afrique. Elle accueillera au Carreau du Temple, 150 artistes de 28 pays et 38 galeries. C’est la deuxième année que cet évènement — fondé par la franco-américaine Victoria Mann — a lieu. Destinée à visibiliser les artistes du continent, la foire est surtout « une invitation à fuir toutes les formes d’essentialisme », dixit Simon Njami, membre du comité d’AKAA. Récemment, la fondation Cartier ouvrait ses portes au photographe Malick Sidibé. L’exposition « Mali Twist » retraçait l’ivresse des années de l’indépendance du Mali. Outre-Manche, la foire 1.54 African Art Fair prenait ses quartiers à Londres au début du mois d’octobre – et co-organisait l’exposition personnelle du marocain Hassan Hajjaj à la Somerset House. Créée en 2013 par la marocaine Touria El Glaoui, elle est également dédiée aux artistes africains. Elle s’exportera d’ailleurs à Marrakech en Février 2018, à La Mamounia. À cela s’ajoute la création du premier (et du plus grand) musée d’art contemporain en Afrique. Menée par Jochen Zeitz, le directeur de Puma, il y expose sa collection et accueille près de 3000 visiteurs par jour. Sans oublier Dak’Art, biennale d’art africain contemporain, qui fêtera l’année prochaine ses 26 ans d’existence. Elle aura lieu dans la capitale du Sénégal, de Mai à Juin 2018. Hors des grandes villes, des galeries donnent aussi une plateforme à ces oeuvres : c’est le cas de la galerie Dogon et frères, dirigée par Michel Pietropaoli et Catherine Minier, qui y exposent les pièces qu’ils ont acheté.

Photo de Malick Sidibé, issue de “Mali Twist”.

Ainsi, de multiples initiatives entreprennent de visibiliser ces artistes, au sein et hors du continent. Or, cela soulève parfois des questions liées aux détenteurs des pièces à leur diffusion : quelles dynamiques de pouvoir sont alors à l’oeuvre ? Ces vitrines diffusent-elles un exotisme n’incluant pas la pluralité des arts du continent ? Ou sont-elles l’étendard d’une honnête volonté de diversité ?

Bien sûr, la réalité n’est pas aussi manichéenne. Ces projets peuvent être poussés par un certain exotisme, mais leur existence reste tout de même bienvenue. Et pour en savoir plus, retour sur l’origine de ces initiatives.

Violaine Binet, journaliste culture à l’Express et spécialisée dans la question nous explique : « C’est vrai qu’il y a eu une accélération à partir de l’exposition « Les magiciens de la Terre ». C’était au centre Pompidou, en 1989 : il s’agissait d’ouvrir la conception occidentale de l’art à toutes les formes d’art dans le monde ». En effet, cette exposition (ayant aussi lieu à la grande halle de la Villette) a connu un véritable succès. Le centre Pompidou la qualifie même de « légendaire », car elle marquait un tournant dans la diffusion d’oeuvres extra-européennes. La journaliste ajoute : « Rappelons en plus, l’initiative de la foire 1.54 à Londres. C’était la première qui consacrait ses locaux aux artistes africains. Une première. Cela a changé la conception des collectionneurs ». Valérie Marin La Meslée, journaliste au Point Afrique, souligne : « Ces derniers ont joué un grand rôle en  rassemblant les oeuvres et en les diffusant. Le travail de visibilisation du galeriste André Magnin est aussi à saluer ». Outre ces succès, la manière dont on fait référence à ces oeuvres peut prêter au débat. En effet, l’adjectif « africain » est souvent vu comme essentialiste. « Les artistes africains ne veulent pas qu’on les renvoie sans cesse à leurs origines. De ce fait, le pavillon africain de la biennale de Venise, était au coeur d’une polémique et a poussé certains artistes à s’exprimer (Barthélémy Toguo, par exemple) », analyse Nicolas Michel, journaliste à Jeune Afrique.

Barthélémy Toguo, “Urban Requiem” (biennale de Venise, 2015)

« Il est évident que ces artistes — du fait de la géographie — ont des problématiques communes, en dépit de leurs particularités. Mais certains s’offusquent du terme parce qu’il réfère à un passé précis », déclare Violaine Binet. Comme le raconte également Hassan Hajjaj, classiquement le milieu de l’art véhiculait une image du continent souvent limitée à une poignée d’adjectifs misérabilistes, rappel colonial et en miroir de la puissance de l’Europe – et oubliant très souvent d’y inclure le Maghreb.

Dès lors, quelle serait la solution ? Développer plus de projets sur le continent africain ? « Il y a assez peu d’initiatives publiques sur place, car ça ne rapporte pas d’argent. Ce sont les fonds privés qui financent les projets artistiques », constate Nicolas Michel. Valérie Marin La Meslée complète : « Les instituts culturels français ont beaucoup fait. En outre, il y a problème de compréhension du statut d’artiste contemporain en Afrique ». Mais cela commence à changer, qu’il s’agisse de cette vision, ou de la simple couverture de ces oeuvres : « Je suis journaliste littéraire et j’étais la seule à couvrir ce domaine. Aujourd’hui, davantage de presse généraliste en parle », confie Valérie Marin La Meslée. « D’ailleurs, c’est la deuxième année que la photographe du Point va à la biennale de Bamako, et non la spécialiste de l’Afrique », termine-t-elle.

Zied Ben Romdhane, photo de la série “West of Life” (2014-2016)

Une évolution qui commence donc à se faire sentir. Car même si ces expositions peuvent être le vecteur d’exotisme, il faut rappeler qu’elles vont tout même constituer une vitrine non négligeable pour les artistes concernés. Et c’est un aspect ambivalent à toujours considérer. Pareil pour les diffuseurs de leurs oeuvres : elles sont achetées par des individus (souvent de riches occidentaux) sur le continent, qui font ensuite payer leur exposition. Dès lors, leur accès dépend des capitaux économiques et culturels du public, plus ou moins bien distribués en Europe et en Afrique. Or, le public qui aura l’occasion d’aller voir ces oeuvres sera sans doute celui qui aura les moyens d’accroître leur diffusion (par leurs contacts, leur porte-feuille ou autre). Par conséquent, cette transmission ne peut qu’être saluée parce qu’elle est bénéfique aux auteurs, dont le talent est au passage sincèrement reconnu : « L’art contemporain en Afrique est souvent engagé, contrairement à l’art occidental, où il y a peu de causes à défendre. Et c’est toujours un défaut, car l’art est un engagement par nature », dixit Violaine Binet. Quant au travail très pop de Hassan Hajjaj et aux initiatives de Barthélémy Toguo (qui a construit un centre d’art — Bandjoun Station— au Cameroun), ils permettent d’échapper aux clichés de genre, de rendre compte de ses tensions et évolutions actuelles et de ne pas se laisser définir par un oeil occidental. Ils expriment ainsi leurs propres canons, idéaux et fantasmes et c’est un bon début.