Helias Doulis n’est pas photographe, il est poète. C’est en tout cas comme cela que le jeune artiste de 23 ans se définit. Récemment censuré par Instagram qui a suspendu son compte, il nous parle de son travail, entre réelles préoccupations sociales et univers rêvé, dans lequel les mots ont autant d’importance que les images. Rencontre.
Quelle a été ta réaction quand ton compte Instagram a été suspendu ? Avant ça, certaines de tes photos avaient déjà été supprimées… Est-ce que tu t’y attendais ?
D’une certaine manière, je me suis senti bien. Lorsque Instagram a commencé à supprimer mes photos, j’avais pour habitude de les reposter, pour que le public puisse vraiment voir mon travail. C’était une vraie satisfaction de pouvoir montrer aux gens mes photographies, jusqu’à ce que mon compte soit supprimé. Je pense qu’Instagram était plus embarrassé à l’idée de m’avoir au sein de leur communauté, que je ne l’étais quand mon compte a été fermé.
On ne peut pas montrer un bout de téton sur Instagram, les photos de mères donnant le sein à leur enfant sont supprimées de Facebook… On entend parler de body positivity en permanence, mais dès qu’on voit un corps c’est un scandale. C’est hypocrite comme attitude, non ?
On a grandi dans une société qui ne nous accepte pas comme des êtres à part entière. Le sexisme, les tabous, la patriarchie, les stéréotypes trouveront toujours leur place chez certaines personnes. Le regard de la société fait que l’on continue à critiquer les gens en fonction de leur genre, leur couleur, leur sexualité, leur religion ou leur apparence. Le racisme et la discrimination sont présents au sein même de communautés comprises de minorités. Tout cela alors que l’on se considère libéraux et ouverts d’esprit.
Peut-on s’attendre à ton retour sur Instagram ou vas-tu t’en tenir à Tumblr, qui ne censure que très rarement ses utilisateurs ? Est-ce que tu vois encore un intérêt à utiliser cette plate-forme ?
Oui, je vais revenir sur Instagram, mais avec beaucoup moins d’attentes. C’est visiblement un réseau qui ne laissera jamais ses utilisateurs être qui ils sont vraiment, mais c’est mon instinct en tant qu’artiste d’y être présent quand même. Je n’ai pas envie de perdre un combat contre le conservatisme de notre société. L’art existe en nous et on doit chérir tous les moyens qui nous permettent de le partager.
Ta série Parabyss: A Nurtured Nature présente un vrai havre de paix pour les homosexuels, où ils ont le courage d’être ce qu’ils sont. Pourtant, tous les modèles cachent leur visage, pourquoi ?
Parabyss est une île où se retrouvent les hommes gays recherchant un refuge loin des villes, se délester des conventions imposées sur eux par la société. J’ai choisi de ne dévoiler ni les visages, ni les parties génitales des modèles, que je considère comme mes alter egos, pour mettre en avant la castration sociale subit par les homosexuels.
Ton travail est clairement influencé par le fait que tu fasses toi-même partie de la communauté LGBTQ+. Qu’est-ce que tu penses de ses avancées sociales ? D’un côté, il y a beaucoup de positif, mais d’un autre côté les réactions négatives sont plus virulentes que jamais…
À travers l’Histoire, il y a plusieurs exemples de groupes qui se sont battus contre le pouvoir en place pour obtenir leurs droits. Les Suffragettes pour le droit de vote des femmes, le Black Panther Party pour la cause noire, par exemple. Aujourd’hui, c’est dans la communauté LGBTQ+ que ces batailles ont lieu. Je pense que c’est le grand combat de notre époque et que cette discrimination et ces réactions négatives sont la preuve qu’on est plus proche que jamais d’atteindre nos objectifs.
La nature occupe une grande place dans ton travail. C’est important pour toi cette connexion? De mettre en scène tes modèles dans cet environnement ?
Si l’on s’en remet à la nature, on élude nos désirs cachés et les instincts qui remontent à la surface. Mère Nature, comme toute mère, est prête à accueillir sa création à bras ouverts tout en lui permettant de se délester de toute stigmatisation.
Ces modèles, tu les trouves comment ?
La Sirène de Parabyss est ma muse, Ilias Sapountzakis, qui est aussi le protagoniste principale de mon premier film actuellement en post-production. Je sélectionne les autres modèles en fonction du projet et s’ils peuvent y apporter quelque chose d’intéressant. Je les trouve par le biais d’amis intimes, qui me font confiance et en qui j’ai confiance.
Lorsque tu débutes un projet, tu écris une vraie histoire pour l’accompagner. On se retrouve presque devant une sorte de récit mythologique. C’est une étape nécessaire de ton travail ? Qu’est-ce qui t’inspire ?
Je ne suis qu’un poète qui se trouve aussi être photographe, qui essaye de visualiser ses mots. Le texte n’accompagne pas mes photographies, il n’est qu’un avec elles. Je trouve mon inspiration dans mes relations, dans l’œuvre d’artistes qui m’ont aidé à révéler mon moi-intérieur.
Tu vis à Londres, mais tes séries sont souvent réalisées en Grèce, ton pays natal. Pourquoi ?
Mon objectif est de créer une trilogie photographique racontant mon expérience en tant qu’homme homosexuel, qui a grandi dans ce pays. Le thème de cette trilogie, c’est celui de la marginalisation que les membres de cette communauté ont pu connaître dans leur pays, leur ville, en eux-mêmes… De cette manière, je crée une sorte de refuge dans un endroit complètement anonyme.
Qu’est-ce que l’on peut te souhaiter pour la suite ?
Quelques amoureux égarés de plus.
Source Image : Helias Doulis