Barbara Carlotti est une artiste résolument à part dans la chanson pop française. Après des débuts aux cotés de Bertrand Burgalat (boss du Label Tricatel) et deux albums sur le mythique label 4AD, elle publie cette année son 5ème album studio intitulé Magnétique, un disque qu’elle a enregistré dans les ex-studios Vogue puis peaufiné dans la Auber Mansion de Benoit de Villeneuve : dans cette aventure elle a embarqué A.S. Dragon et leur rythmiques sixties, des synthétiseurs New Wave, les boucles électroniques de Benoit de Villeneuve et Benjamin Morando, la voix de dandy de Bertrand Burgalat, et un trio de cuivres étincelants, emmené par le génial Thomas de Pourquery, le tout sur son propre label La Maison Des Rêves. Au total une collection de douze titres oniriques entre univers baroque, atmosphère psychédélique et effluves new-vave.

(photos c_Elodie_Daguin)

– 6 ans ont passé depuis ton album L’amour, l’Argent, le Vent… Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de retrouver en studio ?
En 6 ans il s’est passé beaucoup de choses ! J’ai d’abord fait une grandes tournée avec ce disque. Ensuite j’ai collaboré avec le dessinateur Christophe Blain sur un livre-disque sorti chez Gallimard en 2013, une bande dessinée-musicale « La fille » pour laquelle j’ai écrit la musique instrumentale et les chansons. On a monté le spectacle « La fille » à la ferme du buisson en 2014. Parallèlement j’animais avec une émission quotidienne sur France Inter « Cosmic Fantaisie », je crois que j’ai fait un burn out après l’émission j’avais trop enchainé, cet été là je me suis enfermée dans une maison pendant 1 mois pour composer les chansons de ce qui allait devenir mon album « Magnétique » mais quand j’ai fait écouter mes maquettes à l’automne 2014 à Marc Thonon le patron de mon label de l’époque Atmosphériques il m’a dit le label allait fermer. Donc je me retrouvais sans label et aussi sans manageuse car elle avait cessé ses activités de manageuse pour aller travailler en maison de disque. J’ai perdu tout mon entourage professionnelle en 2015 et j’avoue que j’étais un peu perdue, depuis 15 j’avais toujours été très entourée. J’ai fait le tour des maisons de disques avec mes maquettes mais ça ne prenait pas, du coup pour approfondir mon travail sur mon album j’ai fait un atelier de création Radiophoniques sur France Culture « Le laboratoire Onirique » j’en ai fait une performance évolutive à la maison de la poésie, un work in progress où j’essayais mes nouvelles chansons sur scène mélangés avec des textes scientifiques et littéraires sur les rêves, des séances d’hypnoses et puis c’est devenu vraiment passionnant, on a repris 2 ans de suite le spectacle au CentQuatre à Paris avec des invités l’écrivain Jonathan Coe, Philippe Katerine, Christophe, Juliette Armanet, Charles Carmignac de Moriarty…
Le laboratoire à vraiment nourri l’écriture de mon disque pendant tout ce temps : je remaniais les maquettes etc.
Et le 1er janvier 2017 je me suis réveillée et je me suis dit : “tu as assez bossé sur tes maquettes, tu te prends en main, tu fais un crowdfunding et tu enregistres”. Ce que j’ai fait avec l’aide de mon ancienne éditrice Gaelle Donélian, j’ai appelé Bertrand Burgalat je lui ai demandé conseil et j’avais très envie qu’il joue sur mon disque, il m’a suggéré de travailler avec l’AS Dragon et on est rentré en studio et c’était reparti. Je me suis restructurée j’ai monté ma boite de prod pour travailler en toute indépendance et finalement Anne Cordier du label Elektra qui suivait mon projet depuis 1 ans 1/2 à écouté les enregistrements et j’ai signé en licence chez Elektra, je suis vraiment hyper heureuse de la façon dont ça s’est fait, c’est le disque que j’ai le plus travaillé musicalement et au niveau des textes.

Magnétique est centré sur le thème du rêve. D’après ta biographie son point de départ est un cauchemar et pourtant l’album est assez lumineux et surréaliste : comment s’est opérée cette transmutation ?
Je ne voulais pas montrer les rêves comme on a l’habitudes d’en parler comme noyé dans un épais brouillard qui est en fait celui de la mémoire nébuleuse du matin quand on se réveille.
Je voulais montrer le rêve en plein jour tel qu’il se déploie dans notre cerveau la nuit avec la prescience d’une autre réalité parallèle. Donc c’est le rêve au grand soleil, avec ses scénario fantasques, ces idées étranges mais brillantes, sa fantaisie pleine de ressources. Quand tu es dans un rêve tout semble réel mais tout est plus dingue, c’est ce que je voulais montrer aussi bien musicalement que dans les textes.
La section rythmique de l’AS dragon a apporté un dynamique encore plus pop et j’étais hyper heureuse de ça, on mélangeait les influences à la fois 60’s, new wave et beaucoup plus récentes : des sons plus froids de synthé ou plus planant, plus les sons de modulaires et des rythmiques très pop.

– Quel est le lien entre les rêve et le titre de l’album « Magnétique »?
« Magnétique » c’est le champs magnétique qu’on transporte tous autour de notre tête tout au long de notre vie – c’est le chercheur en magnéto encéphalographie Claude Delpuech qui m’en a parlé et je trouvais que c’était hyper beau. Magnétique c’est toutes les ondes qu’on émet qui nous traverse et qu’on ne voit pas. Et ce qu’on ne voit pas le jour mais que notre cerveau perçoit s’exprime dans nos rêves. ça parle de cette réalité augmentée qui s’exprime dans nos rêves. et puis ça fait aussi référence au « Champs Magnétiques » d’André Breton et Philippe Soupault fruit des premières applications systématiques de l’écriture automatique.

– Y a-t-il un morceau central ou pivot sur cet album ? Si oui, lequel et pourquoi celui-ci ?
Il y a plusieurs morceaux importants :
– “Voir les étoiles tomber” est un morceau composé en rêve, je me suis réveillé un matin avec le refrain tout écrit et composé et j’ai construit les couplets autour il est donc symbolique de la méthode que j’ai appliqué pour cet album: tout ce qui est dans cet album n’est pas un acte volontaire mais m’a été dicté par mes rêves et je me suis plié à ce qui me traversait, j’ai construit autour.
– “Magnétique” : c’est le texte manifeste, c’est aussi le morceau dans lequel j’ai mis des sons de cerveau fourni par Claude Delpuech de l’inserm. Il est très emblématique de ce que raconte l’album.
– “Radio Mentale sentimentale”, parce que c’est ma chanson préférée de l’album et que ça raconte mes visions sous Ayauesca et que j’ai demandé à Olivier Marguerit (O) avec qui je voulais travailler depuis longtemps d’en faire la musique

– Tes débuts discographiques étaient sur le mythique label 4AD et aujourd’hui tu créés ton propre label La Maison des Rêves : c’est pour plus de liberté, un besoin d’émancipation ou tout simplement un coté « control freak » affirmé ?
C’est pour avoir la liberté de faire ce que je veux quand je veux. C’est à dire ne pas attendre qu’on me donne les moyens de faire des disques mais les trouver par moi même. Par contre je suis en licence sur le label Elektra pour l’album Magnétique et je dois avouer que je suis bien fière d’être sur le même label que les Stooges, Love, les lovings spoonfull et MC5 !

– AS Dragon, Benoit de Villeneuve, Benjamin Morando, Bertrand Burgalat… Tu es devenue une sorte de chef d’orchestre sur ce projet ?
J’aime infiniment la musique et les musiciens originaux qui ont une vraie emprunte et une vraie individualité dans leur approche et quand je fais un disque j’aime imaginer que la patte de chacun pourra prendre du sens dans mes chansons. Pour moi, faire un album c’est aussi explorer avec des musiciens que j’aime de nouveaux territoires et y construire une demeure. Sur ce disque comme j’étais seule « avec ma bite et mon couteau » j’ai osé aller sollicité tous les musiciens avec qui j’avais envie de travailler. Il y aussi Fred Soulard (maestro), Thomas de Pourquery, Olivier Marguerit, Jérémie Regnier (Jalhsagar), Benjamin Esdraffo et jean-pierre petit et paralèlement j’ai aussi écrit plus d’arrangements.

– Tu as dit récemment dans une interview : “On m’a beaucoup brimé dans le passé, je me sens plus libre désormais. » peux-tu nous en dire plus ?
Je faisais référence à des moments où n’écoutait pas ma vision du mix sur certain titre de l’album “l’idéal” ou quand je devais me battre comme une malade pour l’ordre d’un album, épuisant. Mais au final, je crois que je n’étais pas encore assez sûre de moi pour affirmer et imposer ma vision à cette époque. Donc je ne dirais pas comme ça. Disons qu’aujourd’hui je sais beaucoup mieux ce que je veux faire comme musique.

– « Magnétique » sur scène ce sera/c’est comment ?
C’est encore plus pop avec le génial Pierre Leroux (Housse de Racket) à la guitare, Benjamin Esdraffo (Dorian Pimpernel) qui fait des claviers comme un as surtout ses basses main gauche au Korg, Mathias Fisch à la Batterie qui a un jeu hyper fin et pop qui aussi fan des Zombies que moi. C’est un groupe qui peut monter en intensité et en puissance et qui peut être d’une grande finesse d’orfèvrerie pop, vraiment tout ce que j’aime. Sur scène on a installé 2 grande Dream Machine sur scène et les lumières de Frank Mahaut sont hyper hypnotiques : TRIP assuré !

– Comment entrevois-tu la suite après « Magnétique » ?
Oh mais j’ai toujours plein de projet : j’écris un scénario de comédie musicale en ce moment j’étais en résidence avec So film la semaine dernière pour travailler dessus !

Et voici la playlist que nous a concocté Barbara Carlotti, entre pop sixties, new wave et psychédélisme :