Wax Tailor s’est imposé comme fer de lance d’un trip-hop hexagonal et d’un hip-hop au groove cinématographique en creusant son propre sillon musical, pas à pas : un esthète du sampling publiant des albums à la production ciselée, multipliant les collaborations de choix sans oublier d’intensives tournées à guichets fermés. Il revient avec The Shadow Of Theirs Suns, un disque en clair obscur, entre inquiétude et espoir, qui porte un regard lucide sur notre société.
L’interview :
The Shadow of their suns est ton 6ème album studio : comment entrevois-tu ton évolution musicale ?
Je la vois comme une constante tentative de renouvellement sans trahison. J’ai sorti mon 1° album après 10 ans de tâtonnement donc même si je déteste ce terme de “album de la maturité” alors c’était “Tales” en 2005 ce dit album et depuis je n’ai jamais cherché à surprendre pour surprendre, je continue d’ouvrir des portes mais je ne suis pas un caméléon et d’ailleurs c’est pas donné à grand monde, tout le monde n’est pas David Bowie.
Durant ton parcours tu sembles avoir refusé tout compromis et tu n’as eu de cesse de creuser un sillon musical singulier : c’est important de garder ce cap?
C’est vital, c‘ est mon ADN, il n’y a jamais eu de grande réflexion autour de ça. Comme je l’évoquais je n’ai pas sorti mon 1° album à 20 ans donc c’est surement aussi plus simple de ne pas tomber dans certains pièges quand tu as déjà ce recul sur l’industrie musicale.
Comment perçois-tu la scène musicale d’aujourd’hui par rapport à tes débuts et l’évolution du business de la musique, toi qui est également entrepreneur ?
Raconte la production musicale dans les années 90 à un jeune artiste aujourd’hui, j’imagine qu’il pensera que tu lui pitch un reboot des Visiteurs. TOUT a changé en même temps que notre environnement sociétal. Aujourd’hui ce qui me parait le plus flagrant c’est que pour beaucoup d’artistes, le contrat de major n’est plus l’eldorado quand c’était le Graal pour la plupart des artistes de ma génération. Il faut reconnaître aussi que les nouveaux outils facilitent la diffusion. Par contre la profusion crée aussi des embouteillages et ce fantasme entretenu du “aujourd’hui c’est super simple il suffit de mettre sa musique en ligne” est un mirage entretenu, les artistes avec des gros succès sont des arbres qui cachent la forêt.
Ton nouvel album compte à nouveau des invités prestigieux comme Mark Lanegan, D Smoke ou Gil Scott-Heron ; comment s’est organisée la collaboration avec ces guests de renom ?
En gros comme d’habitude, d’abord je compose mon album, je le réfléchi et dans un 2° temps je contacte les artistes que je souhaite inviter. Ce qui est le plus compliqué dans ce processus, c’est souvent le filtre des managers. J’ai des potes managers passionnés qui font un vrai travail avec leurs artistes mais sincèrement la plupart des managers que je connais sont plus des cancers de la musique qui créent une bulle contre productive autour des artistes.
L’esthétique générale de ton projet est toujours plutôt sombre : est-ce dû à une certaine mélancolie musicale ?
Je pense que c’est toujours affaire de perception et de références. Pour certains c’est sombre, pour d’autres pas tant que ça, moi j’assume une certaine mélancolie dans la musique, j’ai même fait un album (Dusty Rainbow From The Dark) qui évoque à travers une histoire ce rapport à la mélancolie et comment on se construit aussi avec ça, et comme je ne le dirais jamais mieux que Victor Hugo “la mélancolie, c’est le bonheur d’être triste”
Comment t’es venu l’idée de ce nouvel album ?
Le moteur de cet album, c’est à la fois la synthèse de mes humeurs sur l’époque, elles-mêmes nourries par mon regard dans le rétroviseur sur le monde dans lequel on vit. Une fois qu’on a dit ça, évidemment il faut recontextualiser, on parle de musique, je pense que beaucoup d’auditeurs ne s’intéressent qu’à la musique sans forcément s’arrêter à ce que j’ai pu mettre derrière mais c’est aussi la magie de la musique chacun y trouve ce qu’il veut.
Quand tu évoques une certaine réflexion sur la valeur du temps dans un monde qui va (trop?) vite, penses-tu aussi aux tourbillons sont devenus les réseaux sociaux, leurs excès et leurs dérives ? Te sens-tu inquiet par rapport au monde actuel ?
Oui c’est exactement ça. Moi je suis un simple observateur avec quelques kilomètres au compteur, je suis pas un donneur de leçon et même comme tout le monde je fais avec mes incohérences quotidiennes mais c’est vrai que tout s’accélère avec les réseaux sociaux et on réduit la pensée et le temps qu’on lui donne. Quand même nos dirigeants limitent leur pensée (que je devrais d’ailleurs appeler de la communication) à 140 caractères on ne peut que constater un appauvrissement de la réflexion.Oui je suis inquiet, j’ai fais référence à 1984 en ouverture de cet album, c’est malheureusement actuel. Bien entendu le contexte et les formes sont très différentes, mais que ce soit avec le 11 septembre aux Etats Unis ou avec ce qui s’est passé en 2015 en France et aujourd’hui avec la Pandémie on voit bien comment les outils qui nous “facilitent” la vie sont aussi en train d’empiéter sur nos libertés. C’est la magie du système, le “soft power”.
Tu as publiés déjà 3 titres extraits “Keep it moving”, “Misery” et “Just a candle”. Mais la plus incroyable vidéo est Misery avec influence entre 1984 et Watchmen : peux-tu nous en dire plus ?
Oui on y revient, 1984, c’est vraiment un livre important dans l’époque qu’on vit. On retient souvent “Big Brother” qui est devenu un terme usuel de notre quotidien mais il y a bien plus. Cette idée “Qui contrôle le passé contrôle le futur, qui contrôle le présent contrôle le passé”. Derrière le petit syllogisme il y a l’idée que nos médias contrôlent le storytelling et quand on peut façonner l’histoire on peut écrire l’avenir. Pour le clip je suis parti d’une idée que j’ai posé sur la table qui était de dire “Les réseaux sociaux sont le nouvel opium du peuple”. Dis-moi qui te like et je te dirais qui tu es.
D’où vient l’idée de la pochette ? (Elle me rappelle un peu Into The Labyrinth de Dead Can Dance)
Oui c’est vrai on m’en a parlé. Le point de départ de cette pochette c’était de bien appuyer le fait que ce titre “The Shadow Of Their Suns” est une figure allégorique et pas des “vrais” soleils. J’essayais de synthétiser et je suis tombé sur une photo de mineurs. J’ai bloqué sur une image où on voyait des mains. Ces mains c’est la main d’œuvre qui fait marcher ce système jusqu’au jour où comme disait La Rumeur “usé par la chaîne par le mépris et le temps” cette main se crispe et ça devient un poing levé.
J’imagine que tu as hâte d’emmener ce nouveau projet sur scène ?
Je vais faire court : OUI !! La tournée est en vente pour Novembre/Décembre. On est tous conscient des problèmes de santé publique, on les prend en compte, mais on a besoin de se projeter, d’avancer, de vivre.
Pour écouter (et voir) la playlist sur YouTube :
“c’est une playlist de 15 titres Rap US sortis entre mes 2 derniers albums et que j’ai écouté pendant cette période”