Le Printemps de Bourges annonce le début de la saison des festivals. C’était un Printemps sans soleil cette année, mais aux scènes parsemées d’étoiles. Des astres à différents stades de leur évolution, représentant toute la diversité du monde de la musique actuelle. Si un vent alternatif flottait sur l’ensemble du festival – dans la lignée de l’injonction « Restons punk ! » de son Directeur Boris Vedel lors de la soirée de révélation des INOUÏS – l’affiche était conçue pour satisfaire les goûts éclectiques d’un public fidèle.
Mercredi soir, on a juste eu le temps d’avaler quelques poignées du Popcorn salé de Santa avant d’être éblouis par l’énigmatique Zaho de Sagazan. Le W débordait de public et de professionnels de la musique, amassés pour accéder à un petit bout de l’étoffe vocale de la Reine. Même les spécialistes du reggae – absolument rien à voir – étaient là, ébahis.
Pendant ce temps, au 22, quelques parieurs misaient sur les premiers INOUÏS comme les rappeurs de Golimar ou le collectif Akira et le Sabbat qui avait fait parler de lui un peu plus tôt dans l’après-midi.
La journée de jeudi a particulièrement été marquée par sa soirée. Un climax au 22 avec successivement Eloi et Maraboutage. Une expérience dont personne n’est ressorti totalement indemne. Ces deux projets ont en commun la joie de bousculer les codes et la liberté qui s’en dégage.
Eloi
« Je pense que ma musique a une grande relation avec l’intime et l’intérieur. Le thème est souvent le combat, soit avec soi-même, soit avec ce qu’on a au-dessus de soi. Je parle aussi beaucoup de la place des femmes, de la colère, de la frustration. Je pense que c’est très sain d’aborder ces sujets-là. Il ne s’agit pas uniquement de combat, c’est thérapeutique. »
Eloi fusionne les sonorités rock, punk et électro avec des influences venues du rap dans la voix et dans les textes.
Elle fait les présentations : « Sur scène, nous sommes trois. Hugo Dupuy que j’ai rencontré aux INOUÏS il y a deux ans alors qu’il jouait avec son groupe Rally. C’est un excellent batteur, il a rejoint l’équipe il y a deux mois. Et Chorobaby, une très bonne amie guitariste qui est avec moi depuis le premier jour. Depuis les INOUÏS en 2022 mon projet a beaucoup évolué. Ce que je fais sur scène aussi. Je sais que je suis plus à l’aise, donc ça fait plaisir de voir un repère temporel et une progression. J’ai vraiment l’impression d’avoir fait un concert pourri quand j’étais aux INOUÏS. Et je suis venu me venger (rires). »
« Je pense que ma musique a une grande relation avec l’intime et l’intérieur. Le thème est souvent le combat, soit avec soi-même, soit avec ce qu’on a au-dessus de soi. Je parle aussi beaucoup de la place des femmes, de la colère, de la frustration. Je pense que c’est très sain d’aborder ces sujets-là. Il ne s’agit pas uniquement de combat, c’est thérapeutique. Au niveau de mon style, je joue beaucoup avec les codes de genre, mais d’autant plus depuis que je fais de la scène et que j’ai un projet musical, car je peux créer une image. J’ai fait une école d’art aussi, donc j’ai un faible pour l’art en général. La mode rentre forcément dedans. Je m’amuse beaucoup, j’ai travaillé avec des créateurs émergents qui sont géniaux, que j’ai rencontrés à l’école, aux Beaux-Arts. Et maintenant, je travaille avec des stylistes vraiment trop forts. Je trouve que c’est génial tout ce qu’on peut faire avec la mode, le maquillage, la coiffure. On peut vraiment créer un personnage énorme. Comme Yves Tumor que j’adore ou Fever Ray, la deuxième partie de The Knife, qui a une sorte de personnage de clown. »
Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de voir Eloi sur scène à Bourges, séance de rattrapage à We Love Green le 1er juin, aux Eurockéennes de Belfort le 4 juillet et aux Vieilles Charrues le 14 juillet, entre autres…
Maraboutage
« L’idée est de mettre en place un espace où l’on peut faire la fête loin des griffes de la société, de notre conditionnement, le temps d’une soirée… pour pouvoir être soi-même. Une des valeurs que l’on défend le plus est de pouvoir vraiment s’émanciper pendant ces moments de fête car ils sont porteurs des graines qui permettent d’être soi au quotidien. »
Le public a ensuite été emporté par la tornade Maraboutage. Une énorme claque. Au-delà de la musique, de la danse, des costumes, de la scéno, Maraboutage c’est tout un concept bigger than life, une véritable philosophie.
« Notre volonté est de libérer les corps, les esprits, et surtout de fédérer, de créer quelque chose avec le public, ensemble. C’est la culture “club” sans les boîtes de nuit. On a toujours eu cette volonté de rassemblement. L’idée est de mettre en place un espace où l’on peut faire la fête loin des griffes de la société, de notre conditionnement, le temps d’une soirée… pour pouvoir être soi-même. Une des valeurs que l’on défend le plus est de pouvoir vraiment s’émanciper pendant ces moments de fête car ils sont porteurs des graines qui permettent d’être soi au quotidien. Au-delà du fait de venir voir un spectacle, les gens sont invités à danser, à faire la fête avec nous. Ils font partie du spectacle, comme nous tous. »
« L’esthétique fait partie intégrante du groupe et on travaille beaucoup dessus. Art total bébé ! On est vraiment concentrés sur les costumes. Par exemple, il y a beaucoup de moments où on descend dans le public avec ces costumes qui sont très colorés, très volumineux, et qui ont clairement une inspiration afro-descendante. On entre en transe quand on enfile ces costumes, ces personnages, ces personas même… parce qu’on entre dans une certaine attitude quand on porte ces costumes. Cela nous permet de créer une connexion avec le public. Nous aimons descendre de scène et entrer en contact avec le public. C’est aussi un espace inclusif, mais au sens le plus large du terme. L’idée n’est pas d’avoir juste des queers ou des personnes racisées, ça serait exclusif, ça ne serait pas un mélange. L’idée c’est d’être vraiment ensemble et que toutes les communautés se réunissent pour n’en faire qu’une. Nous avons un manifeste. Ce manifeste énonce des instructions. Parce qu’on a envie de passer une bonne soirée ensemble et que personne n’ait de comportement néfaste. Nous annonçons donc ce manifeste en début de soirée pour fixer les règles et pouvoir faire la fête librement avec un cadre qui le permet. »
Vendredi, le Printemps de Bourges présentait une de ses créations originales audacieuses « Come as You Are », Hommage à Kurt Cobain, à l’occasion des trente ans de la disparition du chanteur de Nirvana. Symbole d’anticonformisme et de liberté, Kurt Cobain est devenu une icône. À travers la lecture par Béatrice Dalle de textes de ses mémoires et l’interprétation par Youv Dee de titres de son répertoire – avec Bastien Burger à la guitare – le festival a offert au public un voyage dans le temps aux côtés de l’idole de toute une génération.
Une belle occasion de retrouver Youv Dee, cet artiste polymorphe qu’on adore… et de poursuivre nos rencontres d’artistes épris de liberté qui se régalent de faire bouger les lignes.
Youv Dee
« J’aime l’hybride, j’aime mixer les genres. Le rap, la techno, le rock. J’ai envie d’arriver à synthétiser tout ce qui m’a bercé toute ma vie pour en faire un produit qui me ressemble. »
On se souvient du passage très remarqué de Youv Dee avec l’Ordre du Périph en 2018, projet gagnant des INOUÏS. Après être revenu à Bourges avec son collectif puis avec son projet solo, c’est pour interpréter l’œuvre de Kurt Cobain qu’il a été invité à cette édition. « Une façon de continuer de porter son héritage… et j’aime le Printemps. Très content d’y revenir. »
Youv Dee aime aussi brouiller les pistes. Quand on lui parle de son style de musique actuel, il répond « Tout à l’heure j’ai changé ma bio TikTok et j’ai mis “multi style artist”. J’aime toucher un peu à tout, donc moi-même je ne sais pas trop me définir, si ce n’est que je me considère un peu comme un scientifique, un explorateur. Je peux passer du tout au tout. “Alternatif”, ça peut aussi être un bon mot, mais j’aime bien le délire ” multi style”. J’aime l’hybride, j’aime mixer les genres. Le rap, la techno, le rock. J’ai envie d’arriver à synthétiser tout ce qui m’a bercé toute ma vie pour en faire un produit qui me ressemble. Certains de mes auditeurs ont du mal à me comprendre. J’ai commencé par la trap on va dire, dans le rap, mais j’avais déjà l’envie, dès les premiers morceaux que j’ai sortis, d’ajouter des guitares électriques, d’essayer le côté trap métal. J’avais pas forcément les connaissances, je ne connaissais pas de guitariste, je n’avais pas la voix pour… Tout est devenu beaucoup plus simple avec le temps. Mais j’ai toujours su quelle direction j’allais prendre, en tout cas jusque-là. J’avais ce rêve, une fois certains objectifs mainstream atteints, de partir en mode guitare, batterie, band… »
« Je faisais pas de musique en étant ado, donc j’ai fait le chemin inverse finalement. J’ai un peu brainfuck le système. Finalement, je trouve qu’il y a quand même une filiation entre le rap, le punk, le rock et la techno : ce côté un peu alternatif. Ça m’a toujours paru tellement logique et cohérent… Et puis je voyais aussi que les gens de ma génération aux Etats-Unis comme XXX, Lil Peep n’hésitaient pas à mettre leurs inspirations rocks dans leur son, donc ça me semblait évident et j’y ai été. Dans ma communauté, ça a bien filtré. Ceux qui sont encore là comprennent forcément. Après, ça divise toujours beaucoup sur les réseaux et ce sera le cas toute ma vie je pense. Mais j’aime bien surprendre. C’est dur de se résoudre à rester dans un seul style, que ce soit vestimentaire ou musical. Je conçois un peu la vie comme un jeu ou un manga, je suis mon personnage principal. J’aime changer de skin dans un jeu. Je m’ennuie vite en plus, donc si je peux ne pas refaire la même chose que j’ai fait la semaine dernière au studio… La vie est un arbre de compétences pour moi. C’est pareil pour le style vestimentaire. À un moment j’ai aussi voulu arrêter d’être que dans les trucs de luxe et retrouver un côté où on fait des friperies, un peu plus grunge, tout en gardant une partie, 10% de tout ce qu’on a. Si mon style ne m’appartient plus, je m’en vais de toute façon. »
« Ce que j’aime c’est mettre des coups de pied dans la fourmilière. Je pourrais faire un feat. avec Juliette Armanet. C’est marrant, ça n’aurait aucun sens. Voilà, j’aimerais bien un truc qui n’a aucun sens, comme ça. Ou avec le mec de Louise Attaque (Gaëtan Roussel ? NDLR), tu vois, ça serait marrant, un truc comme ça. Moi, j’aime bien les trucs inattendus. Tous les trucs qu’on voit sont tellement bateaux. Il fait de la variété, vous lui mettez quelqu’un qui fait de la variété… bah oui, forcément… Faut chambouler tout ça. Je sais pas, fous-moi avec Vianney, j’adorerais faire un show avec Vianney, tu vois (rires). C’est génial (rires) ! Vive la liberté, “viva la libertad” ! Soyez vous-même ! C’est très important ça. »
La soirée s’est poursuivie avec Luidji et Yâme, comme pour nous titiller avant la déferlante rap du lendemain au W : Werenoi, Niska, Bekar, Josman…
Luidji a tenu ses promesses et Yâme a fait sensation, entouré de trois choristes, avec un show jazzy léché par une créa lumière élégante.
Pendant ce temps au 22 : du rock, du rock et encore du rock.
On retiendra Hot Wax et Lysistrata mais la révélation a été Chalk. Ce trio post punk originaire de Belfast a pour lead une sorte de réincarnation de Jim Morisson. Lunettes de soleil et tenue full black, le chanteur est parfaitement habité. La transe n’est pas feinte ni surfaite. Ces garçons vivent leur musique comme si la terre allait imploser dans trois minutes. On déconseille le show aux épileptiques et à ceux qui souffrent d’acouphènes, mais on a apprécié leur sincérité et leur loyauté au rock.
Vers 1h du matin, Mezerg et Trinix ont cueilli les festivaliers les plus « ambiancés » pour les faire taper du pied au W jusqu’à tard dans la nuit.
Les oreilles bourdonnantes – mais le sourire aux lèvres – nous avons quitté la jolie petite ville de Bourges où l’atmosphère est restée festive tout le week-end.
Et psst… Au fait, c’est Noor qui a remporté le Prix du Printemps de Bourges Crédit Mutuel – INOUÏS 2024.
Texte Anne Vivien
Photo de couverture Mathieu Foucher