Protéiforme, la musique de Meghan Remy l’est assurément. Du lo-fi marqué de ses débuts à une pop expérimentale ancrée dans la multiplicité des genres, la constante du projet U.S. Girls a su construire un projet intarissable. Après l’esprit ‘révolutionnaire’ de In a Poem Unlimited, c’est un large travail introspectif et rétrospectif qui ressort de son nouvel album Heavy Light. Passage de l’enfance à l’âge adulte, crise existentielle… Meghan nous guide avec recul et philosophie dans le grand périple de la vie et ça nous fait le plus grand bien. 

Dans ton album précédent In a poem Unlimited, tu exprimes une révolte collective. Avec Heavy Light, comment as-tu procédé pour exprimer ta propre révolte ? 

J’ai pris une inspiration profonde et je l’ai fait. Il m’a fallu du courage mais j’ai travaillé avec des gens que je connais, que j’aime et à qui je fais entièrement confiance. J’étais bien entouré (comme à mon habitude), c’est ainsi que j’ai pu exprimer ma vulnérabilité.

À quoi renvoie le titre ” Heavy Light” ? 

Premièrement , l’album était supposé s’appeler “20/ 20”  mais beaucoup de personnes avaient déjà pensé à ce titre. J’ai donc longuement réfléchi à ce changement et “Heavy Light” renvoie à un aphorisme de Kafka que j’aime beaucoup. Il dit que la confiance est telle une hache, aussi légère que lourde. Je pense que tout est dualité, nos actions sont toujours en constante contradiction. Savoir cela nous aide à évoluer sans être trop dur envers nous-même. Il faut relativiser.

Qui est la petite fille qui se tient à côté de toi sur la pochette de l’album ? Ton projet gravite autour de ton enfant intérieur, ça n’a pas été difficile de travail avec cette partie de toi-même. 

C’est une bonne amie à moi, je l’adore elle a un caractère unique. Je pense que l’on doit toujours considérer avec une grande attention notre enfant intérieur, vous êtes adultes mais il est là dans toutes vos décisions. J’essaie de l’aimer et de l’écouter et de regarder les autres en prenant en compte leur “enfant” à eux aussi. Cela rend plus emphatique.

Ton album est entrecoupé d’enregistrements de personnes répondant à des questions existentielles comme: quel conseil pourrais-tu donner à ton “toi” adolescent . Comment as-tu procédé ? 

J’ai établi une liste de questions du même genre et j’ai enregistré 10 personnes y répondant. J’en ai fait une sorte de collage. Les questions sont inspirées de la psychanalyse.  C’était une petite expérience sociologique qui a très bien marché. C’est intéressant de voir que des personnes de tous horizons ont eu des réponses assez similaires. L’expérience humaine est pleine de points communs.

Qu’est-ce que tu aurais aimé dire à la Meghan Remy de 15 ans ? 

Sois patiente, laisses-toi un peu respirer. J’avais très peur de rester coincé dans l’adolescence toute ma vie, que je n’aurais jamais de pouvoir sur moi-même. J’étais impatiente de grandir mais j’aurai dû apprécier plus justement cette période-là. Je ne regrette rien mais maintenant je vais être vieille pour toujours (rires).

Tu n’as pas peur ? 

Peu importe à quel point je peux tomber bas, c’est tellement fascinant d’être en vie et c’est ce qui  me pousse à continuer. La curiosité empêche l’abandon. Bien évidemment il faut s’écouter. Je suis en thérapie actuellement et je note déjà la différence, tout le monde devrait s’allonger sur le divan, ça fait du bien.

Sur ton Instagram, tu conseilles la lecture d’un livre sur l’économie intitulé Women and the gift economy qui fait écho au titre de ton album 4 American Dollars. Pourquoi ce vif intérêt ? 

Je suis intéressée par l’abolition de l’économie, le livre que je cite montre comment les gens ont vécu bien avant le capitalisme, un temps où l’on donnait beaucoup plus à l’autre. J’adore montrer comment l’argent peut être une chose stupide (rires).

Pourquoi avoir inclus dans Heavy Light trois de tes anciens titres comme “Red Ford Radio” ? 

Ca rentre dans la logique de cet album: regarder en arrière. De plus, ça fait plus de 10 ans que je suis dans la musique et que mon projet continue à évoluer.  Avant que je commence à travailler avec de plus gros labels, peu de personnes savaient j’en étais à mon septième album. C’est une manière de dire : ” vous aimez ces morceaux mais je suis aussi celle qui à fait celui-ci et celui-là”. Pour finir, c’est aussi un excellent moyen de savoir  si mes titres sont aussi pertinents en 2020 qu’en 2010.

Pourquoi Overtime fait office de titre phare de cet album ? 

C’est un choix du label, je n’aurais pas choisi celui-ci. J’avais des intentions totalement différente mais pour eux c’était le titre le plus ” normal”, celui qu’on pouvait le mieux cataloguer pour aider les gens à s’identifier à ma musique. C’est le discours de l’industrie, j’aurais personnellement choisi Woodstock 99, un titre très puissant et universel.

Te sens-tu sens grandie après ce nouvel album ? 

Oui je me sens plus forte et j’ai la preuve évidente désormais que tu peux et dois faire ce que tu veux dans la vie. Je suis déjà prête pour le suivant !


U.S. Girls Heavy Light / sortie le 6 mars 2020/ 4AD (Beggars)

  1. 4 American Dollars 5:42
  2. Overtime 2:55
  3. IOU 4:43
  4. Advice to Teenage Self 00:51
  5. State House (It’s a Man’s World) 1:44
  6. Born to Lose 3:07
  7. Girls – And Yet It Moves / Y Se Mueve 3:37
  8. The Most Hurtful Thing 1:04
  9. Denise, Don’t Wait 4:21
  10. Woodstock ’99 2:37
  11. The Color of Your Childhood Bedroom 00:27
  12. Girls – The Quiver to The Bomb 4:24
  13. Red Ford Radio 2:06