La musique de Jawhar s’apparente à ces ombres chinoises qui danseraient sur les murs d’une ville à la croisée entre Tunis, Rome et Paris. Poésie, murmures aériens de ces contes de Mille et une Nuits, ce Tunisien résidant en Belgique tisse l’étoffe d’une pop sombre nouée à un folk plus soyeux. À l’image de la variété des histoires racontées par ce fin orateur, les versants de Jawhar se font polyglottes racontant l’amour la perte et les désillusions du Printemps arabe tantôt dans sa langue maternelle tantôt en français mais aussi en italien. Entre chimères et quotidien quasi palpable, posé sur le socle du chaâbi, son album  Winrah Marah confirme l’importance de mettre un peu de magie sur une société au teint grisâtre. Rencontre.

Photos: Justino Esteves 

Ta musique est très portée sur l’actualité. Tu as décrit ton univers comme ” l’influence d’un Printemps arabe qui se fane et autres événement heureux contemporains” , est- ce que tu peux expliquer? 

C’est en référence à la révolution tunisienne et au lendemain de la révolution. Un de mes titres en particulier parle de ça : ” Menich Hzin”.  C’est l’histoire de la désillusion d’un peuple. Ce constat que la liberté nouvellement acquise a donné naissance à plus de chaos et de non-respect de la cohabitation  dans un monde de civisme plus que d’une utilisation saine de la liberté. Dans le clip, cette idée est mise en allégorie à travers un personnage attiré par une lumière à l’extérieur, à savoir la liberté.  Il sort ébloui par cette dernière et voit que les égouts dégoulinent d’une eau sale pleine de sang qui submerge peu à peu toute la ville. Donc la phrase ” autres événements heureux contemporains” est totalement ironique.

Tu as une grande imagination pour tes clips également.  Tu tiens beaucoup à ces véritables courts-métrages que tu crées à chaque fois ? 

J’aime écrire. J’aime bien imaginer des histoires, modeler des personnages dans mes chansons. Pas forcément d’écrire toujours sur moi-même, dans ma propre peau, mais justement d’utiliser ces personnages pour élargir  mon horizon et passer ainsi d’autres messages. Cet album est un condensé de personnages. Je travaille ainsi: je laisse infuser une chanson pendant des mois en retravaillant le texte et tout ce tissu de personnes et d’histoires vient finalement se fixer sur la mélodie.

© Justino Esteves

Les histoires des femmes du quotidien sont très présentes dans cet album à l’image de l’incroyable Winrah Marah. 

J’ai eu la vision de cette femme et le refrain m’est venue en premier ”  Winrah Marah” soit “Où est parti  Marah”. L’histoite est un poil complexe: où est parti celui qui n’est jamais parti ?  En fait il n’a jamais existé et donc c’est une femme qui cherche un fils qui n’a jamais vécu et qu’elle aurait aimé avoir face à la pression de la société, la pression qu’elle a mise sur son corps aussi . Je dois dire que pour cet album j’ai eu beaucoup de chance car en écrivant cette chanson phare du projet j’ai pensé à une comédienne tunisienne d’exception , Fatma Ben Saïdane, elle a accepté par miracle de jouer ce rôle pour le clip.

Pourquoi mêler chaâbi et indie-folk ? 

Je ne cherche pas à mêler des styles j’essaie de faire une musique qui me soit le plus proche, de retranscrire mon âme dans ce que je fais, les styles sont secondaires. Je me sens bien avec une guitare acoustique et j’aime la simplicité de raconter une histoire avec un instrument et une voix, point barre. Je me sens bien dans ce côté basique de “l’auteur-compositeur” (rires).

Est-ce qu’il y a une oeuvre (livre, film etc.) qui t’a marqué et qui se retranscrit dans ta manière de narrer tes histoires. 

Je dirais que c’est le théâtre en général.  J’ai grandi dans ce milieu, mes parents se sont rencontré au théâtre universitaire et il y a de manière générale une très grande tradition théâtrale en Tunisie. Sauf que moi,  je suis  un grand timide. C’est quand je suis parti en dehors du pays car mon environnement m’étouffait que tout s’est décoincé.  Le fait de changer d’horizon et de vivre dans une autre langue a libéré quelque chose en moi et ce côté théâtral qu’il y a toujours eu dans mes gènes a eu envie de s’exprimer à ce moment-là.

© Justino Esteves

Jawhar – Winrah Marah ( 62TV Records)

1. Bik Ndour 4:28/ 2. Soutbouk 5:47 / 3. Menich Hzin 3:45 / 4. Guelou Lmout 4:23 / 5. Sghar 3:48 / 6. Shereb 3:18 / 7. Wena Wena Mechi 3:36 / 8. Madhloum 3:57 / 9. Winrah Marah 4:40 / 10. Khoussouf 5.06