Jean Tee-shirt pour l’un, jogging et Converse pour l’autre, Facundo Rodríguez et Gabriel Le Masne débarquent tranquillement en ce début d’après-midi d’octobre pour échanger sur l’aventure Chien Méchant, un des projets les plus intéressants du moment.

 

 

Tout a commencé au Lycée Jean-Pierre Vernant.  «Un lycée de musique qui prépare au Brevet des Techniciens des Métiers de la Musique, à Sèvres. De 2006 à 2009, on était déjà potes, enfin surtout en terminale. On se côtoyait déjà, on avait fait des jams ensemble. On avait même fait un petit concert », dixit Gabriel, batteur du groupe. « Un groupe éphémère de reprises jammées », complète Facundo, claviers.

C’est ainsi que débute ce long entretien avec les Chien Méchant. Mais poursuivons sur la genèse du duo canin, Facundo était à la guitare à l’époque. Et le son de son groupe de lycée ? « Ouais c’était marrant parce qu’en fait, mine de rien, c’était un peu jazz, électro et funk. »

Les années passent, chacun suit sa route et enchaine les groupes indés à l’économie difficile, des cachets de musiciens avec des artistes confirmés pour Gabriel, ou de la composition pour la publicité pour Facundo, qui lui, traverse le channel et s’installe à Londres.

 

(c) Nathan Sam Long.

 

« Toute fin 2018, Gabriel me passe un coup de fil, me dit “je suis en tournée, j’ai trois jours off à Londres, est-ce que je peux dormir chez toi ?” Je fais bah oui, sauf qu’on va pas dormir, on va aller au studio. On y a passé toute la nuit, et on a écrit deux morceaux. Un morceau, plus un interlude qui est devenu Crépuscule, c’était notre premier morceau, on l’a écrit ce soir-là. Et après, on ne s’est pas revus pendant six mois », Facundo.

« Ouais, pendant six mois, je faisais des allers-retours Paris-Londres, pour essayer de construire des morceaux avec Facundo, parce qu’effectivement le premier morceau, la première jam était cool, ça nous a beaucoup plu. Il n’y avait pas de voix, on n’y pensait pas, à l’époque… Et en fait, après la deuxième fois, je crois que c’est à ce moment-là qu’on a fait peut-être les deux titres It Goes et Aube », Gabriel.

Une histoire d’amitié et de musique interrompue pendant des années qui reprend au moment même où elle s’est arrêtée. « Il y avait déjà un truc en fait. Il y avait déjà une énergie comme ça », se rappel Facundo, et tout s’est intensifié avec des aller et retours plus fréquents. « Très vite en fait. Quand on commençait à concrétiser l’idée musicale, très vite vient l’idée de se trouver un nom de groupe », ajoute Gabriel.

Alors, Chien Méchant ? Facundo est à l’origine du nom « Il y avait ce panneau chez mes grands-parents quand j’étais gamin, Chien Méchant, mais tu ne voyais jamais le chien. C’est un peu le même concept que des noms de groupes comme Bagarre, Voyou, qui ne sont pas à l’image de leurs noms ». « Pour la petite histoire, le choix a été fait en cinq minutes. Cela correspondait au son, il y avait ce truc un peu mordant »Gabriel.

 

Chien Méchant 2019 Londres (c) Nathan Sam Long.

 

Chien Méchant aurait parfaitement pu s’appeler Loup Garou, car ces deux-là écrivent la nuit, des histoires de nuit « de 20h à 6h du matin. Parfois on y allait plus tard. (…) on parle de choses personnelles, ce sont des trucs, pas sombres, mais plutôt deep et pas forcément tout est happy et la vie est un joli bonbon », Facundo.

2019 a vu naitre les huit premiers morceaux, enregistrés entre Londres et Paris. « Entre Noël et Nouvel An dans un studio à Montmartre, on a enregistré toutes les batteries en trois jours avec notre pote Clément Barda qui était aussi au lycée avec nous », Gabriel.

Comment faire exister un projet sans vidéos ? « On voulait apparaître sur les réseaux sociaux, donc on a décidé de faire des formats d’une minute pour Instagram. Comme  j’en avais déjà fait sur ma page en tant que batteur, des sortes de tutto de batteur. Je l’avais proposé à Facundo. On en a tourné, je crois, quatre ou cinq mais juste avant le confinement », Gabriel.

Il ne s’agissait pas pour eux de prendre un extrait d’une minute des morceaux déjà écrits, mais bien de composer spécialement pour ce format. « On voulait vraiment ce truc de genre paf ! Une grosse vignette dans ta tronche, mais ça commence et ça finit quoi », Facundo.

Ils ont aménagé le studio londonien, petites loupiottes, tapis façon cosy et ont tout filmé avec leur téléphone. Le confinement arrive. Tout s’arrête.  « Et là c’était genre gros buzz. Comme il n’y avait plus aucun concert, voir deux mecs chevelus qui jouaient à toute vitesse fut un plus. » Facundo.

 

 

Boostées par 20 balles de promo sur Instagram… des contacts arrivent : des producteurs, notamment Tristan Salvati, producteur d’Angèle et compositeurs de nombreux tubes français, Alain Artaud, cofondateur de Labels ou Julien Creuzard, ex président du label Elektra, deviennent de grands fans des deux chevelus, mais aussi des éditeurs, des managers.

Le mixage des huit titres se fait à distance pendant le confinement avec le même Clément Barda  et dès la fin du confinement, quelques rendez-vous sont faits. Sans suite mais sources de nouveaux contacts à venir. Ils envoient les titres à plusieurs labels proches de leurs esthétiques, sans résultat probant. Puis arrive Nowadays Records : « À la base, ce sont des DJs, des producteurs. On est arrivé avec la proposition de signer un single, un EP, de la promo. Ils ne s’attendaient pas ça. Nous, on a dit, on veut un deal de développement, à l’ancienne », précise Facundo.

« À partir de là, ça a été très vite. J’ai quitté Londres pour Paris, continué à faire de la musique de pub. On se cale avec Gabriel et on signe avec eux. Notre première mission a été de trouver un tourneur. » Ce qui fut réalisé assez rapidement avec Bleu Citron.

 

Un 1er concert prometteur

« C’était la Douve Blanche, qui nous avait remarqué sur Insta au moment du confinement. En fait, on nous a proposé des dates avant que nous ne fassions quoi que ce soit », Gabriel.

Facundo : « On jouait sur la 2e scène à minuit, donc parfait. Il y avait énormément de gens de la Région Parisienne présents. On a concrétisé le truc ce soir-là. »

 

 

Gabriel« C’était de la balle. Quand on commence ce concert, il y a peut-être une petite centaine de personnes. Et quand on finit le concert, c’est quatre fois plus. On entendait que ça gueulait de plus en plus à chaque fin de morceau »Facundo : « Ça commençait à ululer, puis naturellement, ça s’est mis à aboyer. Des trucs comme ça, maintenant, ça arrive à tous les concerts ».

Gabriel : « Moi je me souviens, je suis sorti de scène. Je crois vraiment que j’avais les larmes aux yeux. Ah ouais c’était fort. Je me suis dit :ça y est, le groupe est lancé”».

Alors que de nombreux groupes galèrent, d’autres concerts arrivent, sans démarche volontaire de leur part. Même si Gabriel et Facundo, dans leurs expériences passées ont galéré, là, les planètes s’alignent. Peut-être parce que ces deux-là se sont trouvés.

Gabriel« On est vraiment deux dans les compos, dans les interviews, sur scène. Ce n’est pas l’un contre l’autre. C’est vraiment l’un avec l’autre. Quand on dit qu’on est frère, évidemment, ce n’est pas vrai au sens littéral, mais il y a ce sens de la fratrie, car on se partage un peu tout, mais pas les meufs… »

 

Une énergie commune et unique

« On voulait enregistrer la nuit parce que la nuit il y a une autre atmosphère. En fait, ces trucs d’aura et d’énergie, je suis assez ésotérique dans mon discours, Gabriel est peut-être plus pragmatique. Mais en fait, c’est un truc auquel on est obligé de croire parce que c’est vraiment en face de nous. » Facundo.

 

 

Energie qui se trouve transmutée dans le visuel qu’ils avaient déjà imaginé, une photo de chien retravaillée, mais qu’il ne les satisfaisait qu’à moitié. Gabriel : « En fait, notre référence c’était Led Zeppelin, dont on est fan et particulièrement leurs quatre, cinq premiers vinyles qui étaient illustrés ». Facundo : « Le vrai rêve était d’avoir des photos illustrées comme dans les posters des années 70-80. C’est Ugo (de Angelis), le directeur du label qui a mis le doigt dessus ». C’est vers cette direction que les Chien Méchant se sont dirigés.

Arrive dans l’histoire Nathan Sam Long, bien connu de Facundo, il travaille avec lui depuis dix ans sur l’ensemble de ses projets. Photographe des Chien Méchant, il en a défini la Direction Artistique. Facundo : « Il nous a fait un book de 180 pages avec tous les aspects du projet, c’est l’encyclopédie visuelle de Chien Méchant : des photos à la scène, au stylisme, tout. » Le chien BDSM avec la boule disco, c’est lui. Mais pour aller au bout de la démarche, il fallait un graphiste. Simon Heller, trouvé sur les réseaux spécialisés sera l’homme de la situation et finalisera le travail repris par Nathan Sam Long qui réalise les posters de films pour teaser les singles.

 

Chien Méchant, covers.

 

Le clip se devait de porter plus loin l’esthétique. Réalisé par Kelzang Ravach, de Temple Caché, Étoile Filante est une vidéo en animation faite avec l’IA. Facundo : « Pour nous, c’était un plan sur la comète. Et il nous propose de partir sur une base de mashup de films de l’époque ». Le tout se devait d’être finalisé en quatre mois avec pour principale inconnue la réaction de l’IA. Comme l’indique Kelzang : « Il faut entraîner une machine à faire quelque chose qu’on n’a pas encore fait ». Étoile Filante suit, du crépuscule à l’aube, deux protagonistes, qui semblent sortir de plusieurs films différents, mais de la même époque. On reconnait La fièvre du samedi soir, Pulp Fiction, GreaseFacundo : « Vraiment dans ce morceau, l’important, c’est le groove et la vibe. Le clip vient sublimer la musique. Et c’est trop chouette. De manière globale, je pense que la musique a plus d’impact sur l’image que l’inverse ».

Un large débat s’engage autour des rapports musique/image pour revenir finalement à ce 1er EP éponyme qui est, en fait, un concept EP, qui a dû être tronçonné en singles. Gabriel : « J’avoue que ça détruit un peu l’histoire, mais bon on l’a fait et finalement, ça nous a complètement servi. Aujourd’hui, on a eu des critiques, du style “on connaissait déjà le premier EP avec tous les singles de Chien Méchant et là ils ont ajouté juste trois titres pour grossir leur truc”. Mais non les mecs, vous n’y êtes pas du tout. En fait les huit titres, ça c’est l’histoire complète. On n’a pas ajouté trois titres. À la base, il y a toujours eu huit titres mais qu’on a dû le sortir différemment parce que la société nous dit qu’aujourd’hui il faut sortir des singles ».

Les modes de consommation de la musique influence t’il leur mode de composition ? Facundo : « Quand tu écris un morceau, tu cherches à exprimer une idée. Donc il faut que tu réussisses à encapsuler cette émotion dans une suite d’accord, une ligne de basse. Là, tu as besoin de temps avec toi-même »Gabriel : « On peut récupérer une certaine liberté qu’on peut parfois oublier en studio en live. Là, vous aurez un morceau d’un quart d’heure et vous allez trop kiffer, vous allez vivre vraiment cette musique. Et c’est ça qui est le plus important pour moi ».

Parlons-en du live justement. Une Boule Noire en juin dernier, pleine et chaud bouillante. Radicaux : pas d’invitations, même pour la famille, pas de première partie, une plongée directe dans l’univers canin, projections des extraits des films qui ont nourrit le clip, DJ set funk, soul des années 80 et rock suivi d’1h30 de concert.

 

 

Une Maroquinerie se profile pour le 19 janvier 2024 avec des surprises, des guests, des nouveaux titres. Facundo : « Ça va être grand, ça va être fou ».

N’en doutons pas avec ces deux-là !

 

http://nowadaysrecords.com/artists/chien-mechant/