La rivalité east Coast / West Coast a souvent constitué une pierre angulaire du rap labellisé us. Nous vous proposons de la faire revivre, selon la bonne vieille partition anciens/modernes, pour opposer deux cœurs battants de la nouvelle génération hip-hop : côté ouest, l’avant-gardiste tyler, the Creator ; côté est, le rétro Joey Bada$$.

Figure de proue du collectif californien Odd Future, Tyler, The Creator, a seulement 18 piges lorsqu’il sort son premier album autoproduit, Bastard (2009). Dans cette production aux résonances thérapeutiques – le jeune rappeur se confie à un dénommé Dr TC – on découvre un personnage inquiétant, obsédé par les serial killers et violemment misogyne. La voix de basse de Tyler, très particulière, s’y frotte à une production crade et bricolée, conférant à l’enregistrement une aura d’étrangeté que l’on retrouvera sur son second album, Goblin (2011). Et il n’y a pas que par sa musique que Tyler s’éloigne des conventions hip-hop : peu porté sur le gangsta, il affiche une dégaine proche de l’esprit indie rock (Vans, jeans slims, t-shirts) et préfère le skate aux Hummer et Limousine. Doté d’un fort capital sympathie, malgré l’agressivité de son propos, The Creator vient de se fendre d’une collaboration (« Hey You ») avec Toro Y Moi, un doux agneau s’il en est. Le loup a-t-il limé ses dents ? Son nouvel album (Wolf) nous le dira.

Dans la catégorie « jeune prodige », le New-yorkais Joey Bada$$ ne s’en sort pas trop mal non plus : du haut de ses 18 printemps, il vient de sortir l’un des meilleurs albums de 2012. Notez que ce n’est pas tout à fait un hasard si ce dernier s’intitule 1999 – un titre qui peut évoquer Prince, mais qui renvoie surtout à l’ère pré-naughties (2000’s). Car si Tyler s’éloigne du hip-hop actuel en regardant vers le futur, son confrère de la East Coast a les yeux fixés sur le rétro, avec en ligne de mire la décennie qui a vu s’illustrer le Wu-Tang Clan et 2Pac (comme peut le faire 1995 sous nos contrées). On pourrait facilement le taxer de passéisme, s’il n’était pas si doué : doté d’une technique et d’un aplomb impressionnants (cf. son premier tube underground « Survival Tactics »), Joey ne prête guère le flanc à la critique. Remarquez que ce sale gosse partage malgré tout avec Tyler une soif dévorante de skate et une image pas forcément très éloignée des indie kids. Dans tous les cas, on frémit en se disant que son talent n’en est sans doute qu’à ses prémices.

Par Thibault Goehringer