À l’occasion de la deuxième journée internationale de l’albinisme qui eu lieu ce lundi, nous mettons à l’honneur les nouveaux visages qui ont trouvé leur place dans l’univers (trop ?) catégorisé de la mode. Le chemin fut long pour s’éloigner des couvertures que l’on nous rabâchait et accepter que cette hypopigmentation de la peau, des yeux et des cheveux puisse bousculer les normes. Vision d’ensemble sur cette dernière décennie qui a bouleversé les diktats.

 

D’après Jeune Afrique, 65 albinos ont été mutilés, enlevés ou assassinés depuis 2 ans. Beaucoup connaissent ce sort en Tanzanie ou au Malawi principalement. La situation ne s’arrange pas, avec 18 meurtres au Malawi depuis le début de l’année. La raison ? Des croyances et pratiques aveuglées par la sorcellerie, qui en fait des porte-bonheurs ou porte-malheurs. Celle-ci est pourtant interdite par la loi de ces pays, pour éviter les persécutions envers les personnes atteintes d’albinisme. Rien n’y fait. Ces mœurs sont malheureusement suffisamment ancrées pour susciter des crimes qui engendrent ce marché d’êtres humains. Raison pour laquelle les Nations Unies ont décrété le 13 juin comme jour de sensibilisation à cette maladie encore mal-interprétée dans certaines communautés.
Pour autant, le revers de la médaille place paradoxalement des albinos à de hauts postes politiques au sein même de ces sociétés rongées par des sorciers avides de pouvoir et d’argent.

 

Shaun Ross modzik Shaun Ross modzik

                                                                                                                                     Shaun Ross © Jeff Hahn

 

Autrefois brimés, ces modèles utilisent leur visibilité à bon escient

Dans le milieu de la mode, certains ont su se distinguer et sont propulsés sur papier glacé ou sous les projecteurs. L’un des plus connus reste sans doute Shaun Ross, le premier mannequin international albinos. Il confiait au site des Nations Unies sur l’albinisme :

« À mes yeux, ou plutôt d’après l’image que la société me renvoyait, j’étais une erreur et certainement pas beau. (…) Une fois devenu mannequin, j’ai peu à peu été accepté, et j’ai constaté un changement, dont je me suis inspiré. »

Cet Afro-américain à la notoriété fulgurante a d’ailleurs fondé le mouvement In My Skin I Win en 2012. Celui-ci prône une tolérance pour les albinos, mais a un message plus global contre d’autres types de discrimination. Les grands titres de la presse magazine ont publié ses photos et il a défilé pour Givenchy ou Alexander McQueen. Entre deux fashion weeks et une séance de voguing, il apparu dans les clips de Lana Del Rey, Katy Perry ou Beyoncé.

La diva américaine a également convié Diandra Forrest sur son album éponyme. Tout comme Kanye West qui l’a choisie pour le clip de son tube “Power”.  Diandra fut la première mannequin albinos à signer dans une grande agence – chez Elite Models New-York. Amie de Shaun Ross, elle posa pour M.A.C. et Vivienne Westwood. Elle aussi philanthrope, elle tire profit de son statut pour aider à la prise de conscience. Son intérêt est particulièrement porté sur le soutien des jeunes femmes qui peinent à s’accepter, qu’elles soient albinos ou non. Sa volonté de leur donner confiance et légitimité transparait dans la campagne Keep The Girls Safe. Le 13 juin dernier, elle organisait la soirée Beyond My Skin à Brooklyn, pour célébrer sa différence aux côtés d’autres témoignages. Une exposition photo et un court-métrage animaient cette rencontre, dont les bénéfices seront reversés à l’association éponyme du chanteur malien Salif Keita.

 

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                                                                                                                            Diandra Forrest © Kate Friend

 

D’autres mannequins ont aussi foulé les podiums. Jean-Paul Gauthier, reconnu pour privilégier les physiques atypiques, a fait défiler le Français Jewell Jeffrey et la Chinoise Connie Chiu.
En plus d’être modèle, Jewell est DJ.
Connie, quant à elle, a grandi en Suède. Cette native de Hong-Kong a étudié l’art et le journalisme et a fait ses premiers pas dans la mode à Londres. Elle est, par ailleurs, chanteuse dans le groupe Sunset Jazz.

 

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                   Jewell Jeffrey  © Alexis Pazoumian                                                                          Connie Chiu

 

Restons sur le territoire français avec Adrienne Ntankeu, d’origine camerounaise. Exilée en France et humiliée durant son enfance, elle a su prendre le contre-pied en créant sa propre association nommée ANIDA en 2011 :

« Mon combat n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan mais je veux aider, soigner et donner de l’espoir (…) je veux aussi changer les mentalités et dire aux ignorants qu’être albinos n’est pas une tare. »

 

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                                                                                                          Adrienne Ntankeu © Laura Bonnefous

 

Stephen Thompson, lui, officie depuis les années 90. Il s’est réellement fait remarquer par Riccardo Tisci au printemps-été 2011 pour Givenchy, dont il est devenu égérie. Les contrats se sont enchaînés.
Il ne voit que d’un oeil (la plupart des albinos ont des troubles de vision) et a un frère jumeau qui n’est pas atteint par la maladie. Peintre et jazzman, cet Américain charismatique travaille également dans un centre pour mal-voyants.

 

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Stephen Thompson pour Numéro © Roberto Patella                             & Male Model Scene © Anrike Piel 

 

Focus sur une Afrique du Sud exemplaire

Comment passer à côté de ce pays qui fait partie des précurseurs de ce nouveau souffle ? Contrairement à ses voisins de la région australe, les victimes ne sont pas aussi répandues – malgré certaines superstitions persistantes. C’est au niveau sociétal que les albinos ont du mal à assumer leur particularité, car cette maladie reste méconnue.
Ceci n’a pas empêché plusieurs mannequins albinos du pays de Mandela d’être initiateurs ou de faire grandir ce mouvement. Ce fut le cas de Refilwe Modiselle, repérée à 13 ans et première albinos à défiler en Afrique du Sud.

 

Thando Hopa in Gert-Johan Coetzee AW2016 Photograph by Nick Boulton Hair&Makeup by Lyn Kennedy refilwe modzik

                                                                Thando Hopa © Nick Boulton                          Refilwe Modiselle

 

L’ancienne juriste de Johannesburg, Thando Hopa, est devenue égérie des produits solaires de Vichy. Le créateur Gert-Johan Coetzee l’a prise sous son aile et l’a motivée à entrer dans le mannequinat.
L’année dernière, elle rappelait dans une interview de La Dépêche sa myopie handicapante pour porter des talons. Elle reste elle-même à travers sa réussite.

Sanele Junior Xaba vient de Cape Town. À la base nageur, ses débuts de modèle lui offrent l’opportunité d’ouvrir la voie à d’autres diversités que la sienne : à savoir tous ceux qui ont une originalité. Autant dire que le métier est entre de bonnes mains !

 

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                                                                                                            Sanele Junior Xaba © Celeste Sloman

Un mouvement global

Il y a quelques temps, nous vous parlions du changement de regard sur les roux. En effet, plusieurs physiques singuliers ont pu démocratiser les critères que la fashion sphère utilisait. Depuis Rick Genest alias Zombie Boy, la liste (heureusement non-exhaustive) s’est agrandie : Winnie Harlow et sa peau tracée par le vitiligo, les transgenres Andreja Pejic et Lea T, la top plus size Ashley Graham, Ralph Souffrant dont les tâches de rousseur couvrent sa peau brune ou Mélanie Gaydos atteinte de dysplasie ectodermique.

La mode fonctionne-t-elle encore sur des normes ? Quelles conventions la régissent dorénavant ?

Le cas des albinos est d’autant plus intéressant qu’il est presque devenu une catégorie. Il n’y a plus d’exception au milieu d’une masse homogène. Dorénavant, ils sont suffisamment nombreux pour appuyer les changements qui s’opèrent. Leur présence donne de l’importance à un mouvement que nous souhaitons pérenne. Ce ne sont plus des individus, exceptionnels et tendances.

 

La prochaine génération à suivre

Quelques visages des quatre coins du monde à garder en mémoire et qui prennent la relève.

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 Les Russes Amal Sofi, Nastya Zhidkova et Alyona Andreyanova pour Fute Magazine © Yulia Dorofewa

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Le Français Adama Dosso                    La Québécoise Ronda Mady                  L’Étasunien Sir Maejor 

                                                                                             © Alexi Hobbs                          © Giovanni Vegas

 

Originaires de plusieurs horizons, leur peau dénuée de mélanine nous rappelle que la beauté réside partout. Aux acteurs de la mode d’habituer nos regards à une beauté différente et d’élargir les critères à plus de diversité ! Même s’ils effraient aujourd’hui encore les plus ignorants, cet albinisme qui les lie fait d’eux un message de tolérance dont l’humanité a de plus en plus besoin en ce moment.

 


Crédit couverture : Diandra Forrest & Shaun Ross pour OOB Magazine © Rodolfo Martinez