Le producteur allemand est de retour avec un nouvel album, Grand Départ qui sortira le 14 octobre. Toujours aussi dansant, toujours aussi chantant mais avec encore plus d’instruments. Rencontre avec celui qui veut faire du son d’avant à la sauce maintenant.

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Modzik : Tu as longtemps été journaliste musical, est ce que tu penses que ça a influencé ta manière de faire de la musique ?

Fritz Kalkbrenner : D’une certaine manière, oui. Premièrement du fait d’avoir écouté énormément de choses, d’en avoir reçues beaucoup aussi. Mais c’est assez étrange, mon rédacteur en chef par exemple me donnait énormément de choses à écouter, dont beaucoup finissaient à la poubelle. Ça change considérablement ton approche et ta vision de la musique quand tu contribues à ça. Ça m’a appris à faire attention à chaque détail, parce que tu ne sais jamais entre quelles mains cela va tomber.

Est-ce que ce job te manque ?

Pas vraiment, non. C’est un milieu très dur, beaucoup de gens sont en compétition pour des postes de nos jours. Et puis j’étais journaliste à la télévision, donc ce n’est même pas comme l’écrit.

C’est un monde à part.

Exactement, de nos jours c’est fou, tu dois faire attention à la caméra, tout va très vite, il faut peser chaque geste, chaque mot. Il y a toute une technique à connaître puis à appréhender. Ce n’est pas trop mon truc en réalité, encore moins en ce moment. A l’époque on avait un cameraman et un perchiste, point. Regarde les plateaux télé d’aujourd’hui…

Tu as quitté ce monde pour la musique, comment tu en es venu à chanter pour des artistes éléctroniques? Je sais que la première fois c’était sur Bravo de Sascha Funke, c’est lui qui te l’a demandé ?

On peut dire ça ! Nous étions de très bons amis à l’époque, j’étais venu flâner au studio, et puis il me demandait d’écrire, de lui prouver que j’écrivais aussi bien qu’on le disait alors je lui ai écrit des paroles pour Forms & Shapes. Et puis il m’a dit parfait, maintenant il faut que tu les chantes et j’étais dans tous mes états, je lui ai demandé de sortir du studio, je lui disais qu’il ne pouvait pas voir ça !

Tu voulais être seul ?

J’étais tellement timide à l’époque, heureusement ce n’est plus un problème aujourd’hui !

Est ce que tu savais à cette époque là que tu avais une voix ? Cette voix ?

… Non, non pas du tout. J’ai franchi les étapes, et aujourd’hui j’ai vraiment trouvé mon grain je pense.

Et puis vient Sky and Sand, le morceau phare de la BO de Berlin Calling sur lequel tu chantes. Vous vous attendiez à un tel succès?

Absolument pas ! Premièrement on avait fait ce film et cette BO pour le plaisir, on trouvait ce projet sympa et surtout intéressant. On ne pouvait pas s’attendre à tout ça.

C’est quand même un film et un morceau emblématique, un très bon morceau quand on y pense.

Ooohh, un joli morceau oui mais il y a quelques années je n’avais qu’en tête laissez moi tranquille avec ça, juste une semaine s’il vous plait… !
Donc ma relation avec ce morceau a fluctué, je l’ai aimé puis je l’ai détesté et aimé encore et aujourd’hui je suis plutôt en accord avec lui, c’est un très bon titre, c’est moi qui l’ai fait et les gens l’aiment. Alors c’est bien comme ça !

Mis à part le fait d’apporter une profondeur, pourquoi c’est si important pour toi d’inclure des paroles à la musique électronique ?

Euhm… Ce n’est pas une question facile ! Peut-être que ça vient surtout de mes influences, la soul music précisément, c’est quelque chose que j’aime beaucoup et qui m’a toujours poussé à me dire pourquoi pas, toi aussi tu pourrais chanter et je me demandais comment accéder à ça. Alors j’ai surtout pensé à ce que me procurait cette musique avec du recul, comment elle me touchait. Et j’ai fait le lien avec la musique de club, le milieu d’où je viens et qui procure aussi beaucoup d’émotions. J’ai voulu mêler les deux.

Est-ce que tu écris seul ?

Oui, j’écris souvent des bribes quand je sors de scène. J’aime beaucoup écrire, je pense que c’est quelque chose qu’il faut faire seul.

J’ai écouté tous tes albums, particulièrement parce que je suis un grand fan, et au fil du temps ton son est devenu de plus en plus réfléchi. Comment expliques tu en être arrivé à cette forme de sagesse ?

Oh… Je ne sais pas, peut-être avec l’âge et les expériences. C’est parfois difficile de dire si c’est telle ou telle chose qui a influencé ta manière de faire les choses. C’est une combinaison de ce que tu as vu, ce que tu as fait et comment tu l’as fait qui détermine les chemins que tu décides de prendre par la suite.
J’ai dû quitter l’école quand j’avais 17 ans et ma mère m’a dit tu dois quitter la maison et trouver du travail, j’ai cru que ce serait une sombre période mais quand j’y repense ça m’a surement renforcé. Tout dépend vraiment de ce que tu as eu à traverser.

Il y a une véritable instrumentalisation dans celui-ci, avec beaucoup de vrais instruments, est ce que tu as tout composé tout seul ? Je pense notamment aux violons, à l’orgue, …

Oui, j’ai composé seul, même si ces parties là, celles avec le violon, le violoncelle, l’alto, la contrebasse, la trompette, le trombone, l’orgue, le bugle, les cornes… et je pense que là on les a tous, je les ai composé en collaboration avec des musiciens studios. Mais j’étais à l’origine de toutes les idées, eux n’étaient là que pour convertir et transposer sur les parties électroniques. C’était du side-composing.

Où est-ce que vous avez enregistré l’album ?

Exclusivement à Berlin, au studios SUOL (le studio de Chopstick et Johnjon, ndlr)

Pourquoi avoir appelé ton album Grand Depart ?

Grand Depart est le début du Tour de France ! Mon grand-père était un fan inconditionnel de cyclisme, c’est de là que j’ai connu le terme. Et puis ça veut dire The Big Start. C’est mon quatrième album, et quand tu en as quelques uns derrière toi tu es facilement tenté de glisser vers une sorte de routine. Quelque chose de très mauvais. J’avais besoin de réaliser quelque chose de nouveau, quelque chose d’excitant et d’exaltant comme un grand nouveau départ. Un redépart en fait.

C’est très subtil d’ailleurs, quand on écoute ton album on reconnait aisément ta patte et pourtant comme je te le disais quelque chose a changé.

C’est un cran au dessus. Toujours des petits crans par contre, pas de grands changements du style hey salut, je fais de l’electroclash désormais !

Est-ce que tu préfères le studio ou la scène ?

Ah ! Quand tu passes six mois dans un studio tout ce que tu veux c’est faire des dates, partir en tournée ! Et après avoir fait six mois de tournée tu n’as qu’une chose en tête, retourner souffler en studio !

… C’est une sorte de routine donc ?

… Touché !

Désolé. Parlons de la tournée justement, tu seras logiquement avec des musiciens ?

Oh non, je ne pense pas. Des gens m’en parlent de temps en temps mais je n’imagine pas ça avant dix ou quinze ans quand je porterais un smoking. Un peu comme Bryan Ferry, unplugged. Ma musique est toujours de la dance music, ou en tout cas fait toujours partie du concept de dance music, et ça veut dire qu’il faut qu’elle ait du punch. Quand il y a trop de choses à voir sur scène les gens en oublient de danser.

Tu veux toujours autant faire danser les gens alors ?

J’aimerais beaucoup. Je veux atteindre les gens, qu’ils ressentent la danse.

Pourquoi ne pas faire une tournée acoustique ?

Ne jamais dire jamais ! Appelle moi dans 10 ou 15 ans.

Ce serait très beau je pense, l’album y gagnerait beaucoup !
Parlons un peu de ce que tu as dit dernièrement, quelque chose avec lequel je suis en accord. Tu es déçu par le manque d’inspiration et d’originalité dans la musique électronique, est ce que tu penses qu’on est à l’aube d’un changement majeur dans cette industrie ? Qu’elle pourrait s’effondrer d’elle même dans le grand bol de soupe qu’elle a créé ?

Ça pourrait facilement arriver, oui. L’industrie fonctionne comme ça, on tord et retord la recette du succès jusqu’à ne plus rien en tirer et les gens se tournent vers autre chose quand le degré mainstream est atteint. Tout part à vau l’eau comme ça. C’est le bon moment pour un retour de l’underground. Par exemple en ce moment, beaucoup d’électronique sonne un peu comme moi, avec des vrais instruments, des paroles. Il fut un temps où peu de gens faisaient ça, et donc du coup à chaque fois que cette stupidité s’approche de toi tu dois faire un pas de côté pour aller voir ailleurs et garder ton unicité. Repartir de zéro. On peut le faire, on l’a déjà fait. On a besoin de quelque chose de nouveau, mais je ne sais pas encore quoi.

Les DJs sont devenus des superstars… J’ai vu dernièrement qu’un club parisien, le Badaboum, va lancer des soirées gratuites avec un grand rideau entre le dancefloor et le DJ booth, personne ne saura qui joue, ce pourra très bien être Jeff Mills, ton frère ou même toi, mais aussi des petits jeunes qui débutent.

C’est intéressant de remettre le dancefloor en focus, qu’il redevienne le centre de la soirée. C’est pour ça qu’on sortait.

Et donc la question que je me pose c’est la raison pour laquelle tu as arrêté ton job de journaliste. C’était à cause de ta carrière de musicien en parallèle ou plutôt parce que tu ne supportais plus toute cette musique qui tendait à devenir superficielle, qu’il te fallait autre chose ?

Non, ça s’est plutôt fait naturellement en fait, j’étais en freelance en tant que journaliste et musicien, et en Allemagne ils se moquent de ce que vous faites en tant que freelancer tant que vous payez la taxe donc je cumulais les deux, et puis en 2004-2005 les concerts s’accumulaient et un beau jour je me suis dit tiens, je n’ai rien écrit depuis 6 mois alors j’ai reconsidéré ma carrière. Ça ne veut pas dire que je ne réitérerais pas l’expérience de journaliste, mais je suis très occupé par la musique alors pour l’instant je laisse ça de côté.

Est-ce qu’on peut parler de ton frère ? J’imagine que tout le monde t’en parle, ça doit être agaçant.

Non pas tellement, ne t’en fais pas.

Je voulais te parler de son septième album, 7, par lequel j’ai été un peu déçu. Est ce que vous en avez parlé ensemble ?

Pas beaucoup, non, il était très occupé à ce moment là ! Il était chez Sony pour cet album, il n’avait pas beaucoup de temps.

Il avait dit dans une interview que de toute façon ses fans de la première heure l’avaient lâché depuis longtemps et qu’il avait besoin d’un nouveau challenge comme celui de conquérir les Etats-Unis. Mais cet été il a sorti 3 mixtapes très underground et je me suis dit que peut être il avait dans l’idée de sortir un album qui collerait avec ses débuts.

Oh oui il a sorti trois mixtapes, qui sont vraiment intéressantes d’ailleurs ! Qui collent avec la très bonne période 89-92, le moment où il a découvert cette culture. Nous verrons si quelque chose arrive.

Il y a quelque chose donc ?

Heum… Je ne sais pas !

Vous vous voyez souvent ?

Oui, une fois par semaine environ, mais on ne parle pas du travail !


Fritz Kalkbrenner sera en tournée du 30 septembre 2016 au 8 avril 2017, et passera par le Trianon le 24 février. Son album Grand Départ est disponible en pré-commande sur Amazon avant sa sortie officielle prévue le 14 octobre.

Le single In This Game est quant à lui déjà disponible.