« J’aime quand les gens n’aiment pas nécessairement ce que je porte, ça me fait me sentir vivante ! »

Rencontre avec Nemahsis, la chanteuse et auteure-compositrice canadienne parmi les plus prometteuses de sa génération. Elle nous parle de sa musique qui est le reflet de ses tribulations internes, son histoire personnelle ainsi que son développement en tant que femme musulmane voilée. Mais son identité ne repose pas seulement sur des convictions religieuses arborées fièrement tel un halo au-dessus de la tête, on découvre aussi une jeune femme de son temps à la pointe de la mode.

« Venant d’un foyer où nous n’avions pas le droit d’écouter de la musique je ne pensais pas que tout cela serait possible aujourd’hui. »

Tu te décris comme ayant été une enfant “très discrète”, la musique était-elle un moyen d’expression pour toi ?

Je pense que la musique m’est toujours venue très naturellement, mais je n’ai réalisé comment m’exprimer avec la musique que plus tard dans ma vie. Donc je pense que c’est quelque chose qui m’est venu très tôt, mais je ne savais pas encore comment l’utiliser, donc je m’exprimais par d’autres moyens comme la mode et d’autres choses. Mais ouais, je pense que si j’avais comment me concentrer un peu plus et m’écouter j’aurais été capable de l’utiliser un peu plus tôt. 

J’ai lu qu’il n’y avait jamais eu de musique à la maison quand tu étais enfant, est-ce que le fait que tu sois chanteuse aujourd’hui est une forme d’émancipation ?

Venant d’un foyer où nous n’avions pas le droit d’écouter de la musique je ne pensais pas que tout cela serait possible aujourd’hui. Tu vois ce que je veux dire ? Donc je pense que chaque jour où je me réveille, je suis encore choquée que ce soit devenu ma réalité.

« La première fois que j’ai été initiée aux mélodies et à la musique, c’était par la musique arabe. Il y a une partie de moi qui sera toujours connectée à ça. »

Comme la musique n’était pas présente dans ton enfance, comment l’as-tu rencontrée ?

Ma mère avait l’habitude de nous faire écouter de la musique, mais uniquement en arabe, et c’est ainsi que nous avons été initiés à la musique. Donc c’était à travers de très vieilles cassettes et des trucs comme ça.
En fait, quand j’ai commencé à apprendre à chanter, c’était uniquement en arabe, mais quand j’allais à l’épicerie ou à la station service, par exemple, j’entendais de la musique et je mémorisais les mélodies. Ensuite je rentrais à la maison et je continuais à chanter la même chanson que j’entendais jusqu’à ce que je sorte à nouveau et que j’entende une autre chanson en anglais et que je la répète encore et encore. Mais je pense que la première fois que j’ai été initiée aux mélodies et à la musique, c’était par la musique arabe. Il y a une partie de moi qui sera toujours connectée à ça.

Quelles sont tes influences ?

La musique arabe sera toujours une grande influence pour moi, à 100%. Mais en ce moment, j’explore un peu plus de choses différentes. J’explore davantage l’écriture de chansons par opposition à la production. Donc j’écoute des chansons très lourdes, centrées sur les paroles, et je regarde si c’est une assez bonne chanson sans la production qui l’entoure, parce que si c’est une bonne chanson et que tu as  la bonne production, ce sera une chanson incroyable. Mais je veux que la base soit vraiment bonne avant de passer à autre chose. Je n’ai pas envie de trouver un bon rythme. Et ensuite écrire dessus. Mais j’essaie d’explorer différentes choses. Je dirais pour le prochain album. Donc j’aime aussi d’autres musiques que celles que je fais habituellement.

« je ne veux pas avoir l’entière responsabilité de représenter toutes les femmes musulmanes, parce que nous sommes toutes différentes et je ne pense pas qu’il soit juste pour moi de revendiquer cette identité comme étant la mienne. »


Ton premier EP “Eleven achers” est très intime, à quelle période de ta vie se rapporte-t-il ?

Tous les moments dont je me souviens qui m’ont menée là où je suis maintenant. Donc je pense qu’il y a des parties de moi dans  « Paper Thin » qui correspondent à celle que j’étais quand j’avais 10 et 15 ans. Et puis « Dollar signs » c’est un peu mon moi de 23 ans. Il y a aussi « what if I took it off for you » qui me ramène à mes 20 ans. Je pense que ça résume tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, mais je pense qu’avec le prochain album ou les quelques singles qui vont suivre, vous allez découvrir un peu plus de celle que je suis aujourd’hui.

Et quelle est la différence entre « Eleven achers » et ton prochain album dans le message que tu essayes d’apporter ?

Je pense qu’il s’agit de la même chose, c’est-à-dire qu’il s’agit de moi et des expériences que j’ai vécues en racontant mon histoire. Mais je pense qu’il y a un niveau de maturité et de plénitude dans les nouvelles chansons par rapport à la vulnérabilité et la naïveté du premier EP « Eleven achers ». Donc, tout comme j’ai vieilli au cours des dernières années en créant ce son et ce visuel, j’ai aussi grandi et mûri et vous allez certainement entendre et voir cela dans mon prochain album.

D’ailleurs, pourquoi “Eleven achers” ?

J’ai grandi dans une ferme de 11 hectares et la plupart de mon identité et de ma personnalité se sont développées dans cette ferme. Donc lorsque je parle de la personne que j’étais jusqu’à aujourd’hui, j’ai l’impression que ma maison en est une grande partie, ainsi que mon environnement. Donc « 11 acres » est la terre sur laquelle nous vivions, mais je l’ai épelé de sorte à faire un jeu de mots. Donc c’est devenu « achers » comme une douleur au cœur. Je pense qu’il y a beaucoup de douleur que nous avons découvert à travers la beauté de l’écriture des chansons de « Eleven achers ».

« Je pense qu’il y a eu de nombreux cas dans ma vie où les gens ont dit, ou laissé entendre, qu’ils se sentaient menacés par mon existence ou ma présence. »

Tu dis : “Je ne vais être pour personne le symbole de la fille en hijab“, dans un monde parfois hypocritement inclusif comment être sûr de ne pas être utilisée comme l’archétype de ce que tu souhaites éviter ?

Je suis déjà, manifestement, une musulmane portant un hijab et c’est la première chose que vous verrez si vous passez devant moi. Vous ne saurez pas que je suis musicienne, vous ne saurez pas que j’aime la mode, vous m’identifierez d’abord par mon hijab. Donc si j’ai l’occasion de m’asseoir et de dire que je suis plus que ça, je vais le faire, en sachant bien entendu que ça sera quand même utilisé. Tu vois ce que je veux dire ? Je suis très fière d’être une hijabi et d’être une femme musulmane. C’est juste que je ne veux pas être connue juste pour ça. Sinon ça ne me poste aucun problème et je suis fière d’être celle que je suis. Simplement je ne veux pas avoir l’entière responsabilité de représenter toutes les femmes musulmanes, parce que nous sommes toutes différentes et je ne pense pas qu’il soit juste pour moi de revendiquer cette identité comme étant la mienne.

Ton titre “I’m not gonna kill you” a un message très puissant, peux-tu nous en parler ?

C’est un peu le récit de la façon dont le monde me perçoit mais aussi ma propre anxiété sur la façon dont je sens que le monde me perçoit. Je pense qu’il y a eu de nombreux cas dans ma vie où les gens ont dit, ou laissé entendre, qu’ils se sentaient menacés par mon existence ou ma présence. Du coup maintenant j’essaie constamment de prendre conscience de l’atmosphère et des gens autour de moi pour voir si je mets quelqu’un d’autre mal à l’aise. Donc je pense que je ne peux jamais vraiment savoir si c’est la réalité ou ma propre anxiété qui me fait ressentir ça. Néanmoins, je sais qu’il y a quand même une part de vérité. « I’m not gonna kill you » c’est juste un message au monde de moi essayant d’expliquer mon point de vue sur le sentiment de peur que je peux susciter. Je ne veux pas que les gens aient peur, ça n’est pas mon intention et moi ça m’affecte.

« J’aime l’idée de porter une jupe sur un pantalon. J’aime ça parce que beaucoup de gens n’aiment pas justement. »

Tu as une façon très picturale de raconter ton histoire dans tes clips, notamment celui de “Dollar Signs”, d’où cela te vient ?

Quand j’écris une chanson je pense toujours au clip avant même que la chanson ne soit terminée. Parfois je fais la moitié de la chanson et je m’arrête et je note des idées. Avec « Dollar Signs » j’avais écrit la chanson et puis je suis allée me promener quelques jours après et j’ai vu cette vitrine qui était en train d’être rénovée. J’y ai vu un pinceau et un balai posés là, et c’était comme s’ils étaient exposés presque comme une œuvre d’art. Et je me suis dit que je voulais être là, en exposition. Donc on a pris une photo de cette vitrine il y a un an et demi et on a attendu un an pour l’exécuter. C’est l’une de mes vidéos préférées.

Et tu disais plus tôt que tu avais été initiée à la mode avant la musique. Comment décrirais-tu ton style ? 

Je dirais un peu fort et un peu inachevé. Il y a toujours quelque chose d’incomplet dans mes tenues et je pense que c’est vraiment beau. Ça me laisse de la place pour grandir et pour évoluer avec mon style. J’aime choquer aussi. J’aime quand les gens n’aiment pas nécessairement ce que je porte, ça me fait me sentir vivante !  Ça me donne de d’adrénaline.

As-tu des designers préférés ?

Trashy Clothing que je porte dans le clip de « Dollar signs ». J’aime beaucoup aussi Fidan Novruzova et  Hyein Seo.

Quelle tenue ou quel vêtement te fait te sentir puissante ?

J’aime l’idée de porter une jupe sur un pantalon. J’aime ça parce que beaucoup de gens n’aiment pas justement. Je m’habille comme ça depuis environ cinq ans et cela semble être une chose très controversée. Mais j’adore aussi le pantalon de tailleur avec une jupe de tailleur par-dessus. Ça fait très professionnel et avant-gardiste. Ça donne aussi un look masculin/féminin et je me sens quelque part entre les deux. Donc j’ai l’impression que quand je porte ça, il y a de la féminité avec la jupe, mais quand je porte le pantalon, c’est comme si je pouvais diriger toute une entreprise si nécessaire * rires *.

 

Nemahsis se produira le 13 juin 2022 sur la scène du POPUP !