Une mauvaise nouvelle en amène parfois une bonne. alors que christopher Owens, le leader charismatique de la formation Girls, sabordait au printemps dernier son groupe en pleine tournée européenne, le voici qui revient, quelques mois plus tard, avec un album solo.

Basé sur son voyage dans le sud de la France et de sa rencontre avec une dénom- mée Lysandre, Christopher reste fidèle à son songwriting honnête et singulier. Difficile de ne pas tomber sous le charme du personnage : de premier abord timide, il revient sur son départ de Girls, sa rencontre avec Hedi Slimane, ses ambitions, ses vieux amis et sa nouvelle vie à San Francisco.

Cela faisait quelques années que tu avais cet album/histoire en tête. Pourquoi avoir décidé de le sortir maintenant?

Après avoir pris la décision d’entamer une carrière solo, je ne voulais pas attendre encore plus longtemps, avant de sortir, enfin, cet album. C’était maintenant ou jamais. C’est bien que ce soit Lysandre qui soit mon premier disque solo : une histoire à la première personne qui parle d’une autre personne, cela reflète aussi ma période avec Girls.

Tu avais déjà ces idées d’arrangements pour cet album?

Oui, absolument. Bien sûr, certains ont évolué depuis, mais j’avais toute la structure depuis le début. Même si on a changé des éléments en studio, comme les solos. Mais je savais ce que je voulais. Il y a aussi beaucoup de flûte. Elle suit la mélodie de la guitare, c’était le principe.

Sur le dernier album de Girls, il y avait beaucoup d’influences gospel… Est-ce que ce genre t’a également inspiré pour Lysandre?

Ces deux albums sont différents musicalement. Il y a une idée que l’on ne trouve pas ailleurs pour cet album. J’avais, aussi, vraiment envie de changer de style par rapport à Girls, montrer une autre facette de ma sensibilité. C’est comme un storybook avec une esthétique musicale qui s’inspire de l’Old Fashion, de la musique médiévale et, bien sûr, du rock’n’roll.

Est-ce que Lysandre a écouté cet album?

Bien sûr ! Je lui ai fait écouter, dès que je l’ai terminé. Elle l’a bien aimé. Elle connaissait certains titres, puisque je lui en avais joués à l’époque. C’est plutôt rassurant pour moi qu’elle l’aime.

Hannah Hunt, ta dulcinée, a quitté son groupe, Dominant Legs, pour te rejoindre sur ta tournée solo…

Elle a juste arrêté le groupe. Ryan Lynch (N.D.L.R. : qui officiait également à une époque dans Girls) a quitté San Francisco pour partir vivre à New York… Le groupe est en stand-by… voire même fini, je crois.

Comment se passe cette tournée? C’est différent d’avec Girls, j’imagine…

C’est plutôt cool. Notre groupe est vraiment bon, on est tous très positifs, c’est l’idéal. L’élément qui change beaucoup, aussi, c’est que je suis parti en tournée avec les musiciens qui ont enregistré l’album. D’habitude, il y a toujours quelqu’un qui quitte le groupe ou qui ne veut pas partir en tournée après l’enregistrement. Là, tout le monde est resté. [Sourire] L’enregistrement a, également, été rapide. C’est la première fois que j’enregistre un album aussi vite. C’était plus facile, car je connaissais bien les chansons.

Tu as toujours eu beaucoup de fans en France. Comment l’expliques-tu?

Je ne sais pas. J’adore venir ici, j’ai une relation particulière avec la France parce que j’y ai vécu. Mais, c’est vrai que les Français sont vraiment réceptifs à ma musique. C’était déjà comme cela avec Girls, les chansons vous plaisent… Peut-être que tu peux m’en donner les raisons. [Rires]

J’ai l’impression que c’est parti du concert de Girls au MIDI Festival…

Oh oui, c’était un moment très important pour moi aussi. Cet album parle, également, de ce voyage : de San Francisco jusqu’à la French Riviera. La raison pour laquelle je voulais revenir sur ce voyage, 4 ans après, c’est que c’était vrai- ment un moment particulier pour moi. Toutes les choses, dont je parle dans Lysandre, sont de cette période.

Tu avais déjà joué au MIDI Festival en tant que batteur avec Holy Shit, d’ailleurs… Comment vois-tu cette période, quand tu regardes en arrière?

Si nous n’avions pas joué à ce festival avec Holy Shit, je ne suis pas sûr qu’ils nous auraient invité l’année d’après avec Girls. C’était différent comme époque, je jouais de la batterie, ce n’était pas mes chansons. C’était une période d’apprentissage pour moi… J’observais Matt (N.D.LR. : Fishbeck) et Ariel Pink (N.D.LR. : qui officiait également dans le groupe), et j’ai commencé à écrire mes chansons.

Tu es toujours proche d’eux?

Je vois souvent Matt. Ariel, c’est plus compliqué parce qu’il est souvent en tournée. Mais quand on se voit, on est toujours très proche. Matt n’habite pas très loin de chez moi. Je lui ai filé un coup de main pour qu’il sorte, enfin, son single «You Make My Dreams Come True ». J’essaye de le pousser à faire un album. Il a beaucoup de chansons… Mais personne n’y prête attention, car il ne fait jamais de concerts, ne sort pas d’albums… C’est un personnage et, pour un label, c’est compliqué. Il a été gondolier, cela lui permettait d’être bien habillé et de chanter toute la journée [Sourire], mais maintenant, il ne travaille plus. Il voit des amis et n’a pas de loyer à payer, il fait ce qu’il veut, ce qui est dangereux pour son ambition. Il devrait plus se concentrer sur sa musique, mais c’est dur de convaincre un label de lui faire confiance.

Qu’est-ce qui a changé à San Francisco, depuis que tu y habites?

Beaucoup de choses. Surtout, parce que les gens ont changé. Les amis qui y vivaient sont partis à New York ou à Los Angeles pour y travailler. C’est cool pour eux, mais d’un autre côté, c’est dur pour des gens, comme moi, qui y sont restés. [Sourire] Il s’y passe toujours de nouvelles choses, mais c’est vrai que je suis un peu mélancolique de cette période. Mais c’est aussi une bonne chose d’être tout seul chez moi, quand je ne suis pas en tournée. J’écris quand je suis seul… Si j’étais toujours avec des amis, peut-être que je serais comme Matt Fishbeck.

Tu as toujours beaucoup lu. Qu’as-tu lu récemment?

Un livre qui s’appelle Arguably de Christopher Hitchens. C’est un essai. C’est drôle et très intelligent.

A-t-il été facile de quitter Girls?

Non, pas du tout. Mais, en même temps, j’étais vraiment sûr de ma décision. Au tout début de ma carrière, je voulais vraiment avoir un groupe. Et, au fil des années, avec l’expérience, je me suis rendu compte que le plus important n’était pas d’avoir un groupe, mais d’exprimer mes émotions et ma vie personnelle… C’est plus facile d’être un artiste solo. C’est mieux. Je suis toujours proche du groupe, certains plus que d’autres. Il y a quand même pas mal de gens qui sont passés dans Girls. Je n’ai jamais mis la pression aux membres de Girls. Je considérais que les gens pouvaient venir ou partir à leur guise, faire ce qu’ils aimaient. JR est très talentueux. On se voit encore. C’est un bon producteur, maintenant qu’il n’est plus tout le temps en tournée, je pense qu’il va produire beaucoup plus. Je suis sûr que dans quelques années, il se sera construit une réputation.

Tu écoutes toujours beaucoup de musiques. Quels sont tes derniers coups de cœur ?

Récemment, j’ai découvert cette chanteuse japonaise, Chika Sakamoto. J’adore son album. J’écoute tellement de choses que c’est dur de me rappeler de tout. Je suis toujours un grand fan de Beach House. J’aime beaucoup la bossa nova, le jazz, en ce moment cela m’inspire énormément.

Tu avais dédié une chanson au mythique chanteur de Felt, Lawrence… Sais-tu quelle a été sa réaction?

Il a adoré. Il m’a écrit une lettre, peu après. Je lui avais donné la version, avant que cela ne sorte. Il a, aussi, énormément aimé le vinyle en forme de cœur. Il était vraiment fier, je crois. J’aimerais vraiment avoir ses impressions sur Lysandre, d’ailleurs. On aime bien les concepts tous les deux, même si c’est parfois compliqué de savoir ce que Lawrence pense… [Sourire]

Tu as d’autres chansons ou projets que tu as mis de côté ?

J’ai écrit pas mal de chansons, ces dernières années, que je n’ai pas sorties. J’aimerais tout sortir! Lysandre n’est pas encore dans les bacs, et je n’ai qu’une envie, c’est de retourner en studio pour sortir un autre album. Je suis sûr que le prochain sera dans un style différent.

Comment as-tu rencontré Hedi Slimane pour la dernière campagne Yves Saint Laurent?

Il était fan de Girls. Il était venu nous voir en concert pour prendre des photos live. Il a envoyé ses photos au label, en leur demandant s’il pouvait faire des portraits de moi. J’ai trouvé cela cool. Je suis allé le voir chez lui, et on a pris une journée pour faire des portraits. On est vraiment devenu proche depuis ce jour-là. Il est venu à San Francisco par la suite. On a déjeuné ensemble, puis on est partis dans un parc pour faire des photos, puis chez moi. C’est quelqu’un d’assez timide et de très poli. Comme moi, finalement. Il m’a appelé après avoir commencé à travailler pour Yves Saint Laurent, pour voir si cela me disait que l’on bosse ensemble. C’était une surprise! Cela s’est fait naturellement : pas de manager ou d’assistant entre nous. J’étais très nerveux, avant de faire cette session. Mais cela s’est très bien passé. C’était très simple, encore une fois, sans fioriture. Même si le résultat dans les magazines est beaucoup plus glamour. C’est une personne très inspirante. C’était une opportunité unique de le faire, pas seulement pour les photos, mais aussi pour l’expérience humaine.

Et que penses-tu de ton nouveau statut de sex-symbol?

Depuis le début de l’histoire de l’art, les femmes ont toujours été des objets de désir. L’homme a, quant à lui, incarné la puissance, la maîtrise. Mais les rôles sexuels changent… J’aime, aujourd’hui, être un objet de désir, comme les femmes. C’est fun d’incarner un homme, qui montre sa part féminine avec fierté.

Ton style vestimentaire a, d’ailleurs, pas mal évolué avec le temps. Ce nouveau look est-il dû à ta nouvelle carrière solo?

C’est un peu cela, oui. Un nouveau look, un nouvel album. Mais il n’y a rien de sophistiqué, tout comme pour le disque : un pantalon, une chemise, une veste. Je n‘ai pas essayé d’avoir le look le plus cool, en tout cas, comme toujours. J’ai, à peu près, tout porté, comme ce maillot de Zinedine Zidane.

Est-ce qu’il y a des personnes avec qui tu rêverais de collaborer?

Je pense que tout ce que je vais entreprendre artistiquement, dans le futur, sera dans des styles différents. Je n’ai pas de noms en particulier, juste des gens talentueux dans leur discipline. J’adorerais, par exemple, faire chanter mes chansons à de très bons chanteurs. J’aimerais, également, écrire des chansons pour les autres. On verra. Peut-être plus tard, quand je serai un vieux son- gwriter. [Sourire]

Tes chansons ont toujours été honnêtes et personnelles…

Oui, c’est la seule façon que j’ai de trouver l’inspiration, parler de mon expérience e.t de mes sentiments. C’est impossible pour moi d’incarner un personnage, de jouer une histoire comme David Bowie. Même si j’adore ce qu’il fait.

Chronique

Présenté comme un thème et variations sur sa rencontre avec l’énigmatique Lysandre, ce premier album solo de Christopher Owens en décontenancera certains. de facture somme toute classique, Lysandre dévoile également d’autres influences : on retrouve du reggae sur «Riviera Rock», du boogie sur «New York City», du rock tendance doowop sur «Here We Go Again» ou de la country sur le titre de clôture «Part Of Me (Lysandre’s Epilogue) ». owens se fait donc des plus décomplexé pour un disque, sous forme de concept, qui rappelle aussi melody nelson. Evoluant maintenant en solitaire, Christopher Owens, en plus d’être devenu une icône du rock, prouve un talent de songwriting et une honnêteté déconcertante qui forcent le respect.

Christopher Owens, Lysandre (Turnstile/Pias)
www.christopherowensonline.com

En concert le 7 mars à la Flèche d’Or – Paris

Propos recueillis par Guillaume Cohonner
Photos Sol Sanchez
Réalisation Flora Zoutu