Le producteur britannique, faiseurs de tubes pour Bruno Mars, Lady Gaga, Dua Lipa et bien d’autres encore, revient avec Late Night Feelings, un cinquième album studio pour lequel il s’est exclusivement entouré d’artistes féminines pétries de talents, et ce dans un registre bien différent de son précédent opus Uptown Special sorti il y a quatre ans.
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Dans quel esprit as-tu produit ce nouvel opus?
J’ai toujours eu dans un coin de ma tête l’idée que, pour mes albums personnels, je voulais faire de la musique dansante et fun, et que je gardais la musique « plus sérieuse » pour d’autres artistes. Mais cette fois, je n’ai pas eu d’autre choix que de placer mes sentiments au centre de ce nouvel album car ils étaient omniprésents dans ma tête. Il m’était impossible de concevoir quelque chose de joyeux dans l’état d’esprit où je me trouvais. Il s’avère que c’est pourtant certainement mon disque le plus dansant, mais dans une tonalité mélancolique puisqu’il était question de ma séparation. Étant plus jeune, on m’a appris à avaler les couleuvres sans broncher et à garder mes émotions pour moi, ce que j’ai fait pendant longtemps. Mais cette fois, j’ai fini par en arriver à la conclusion qu’il n’était pas vraiment salutaire de se refermer sur soi-même et qu’il valait mieux laisser sortir ses émotions et être honnête.
Même s’il s’agit de ton album solo, chaque artiste avec qui tu collabores y ajoute également sa patte...
Bien sûr, il ne s’agit pas que de moi ici. Miley Cyrus, Lykke Li, Kid Princess, Yebba et les autres ont chacune contribué aux paroles des chansons en y ajoutant des éléments personnels. Concernant mon disque précédent, même si je l’aime beaucoup, il ne comporte pas d’arc émotionnel fort, ce qui me force à compenser avec des effets sonores ou un concept. Record Collection était conçu autour des synthés et de rythmes breakbeat, tandis qu’Uptown Special était bâti sur les paroles écrites principalement par Michael Chabon, ce qui n’en fait pas un disque très personnel pour moi. Cette fois, avec Late Nite Feelings, il s’agit d’un album intime car j’en ai co-écrit les paroles. Dernièrement, en travaillant sur « Shallow » (avec Lady Gaga), je me suis rendu compte que le succès de cette chanson doit au fait que, d’une part, elle est triste et mélancolique et, d’autre part, elle contient aussi un sentiment d’espoir, sans oublier bien sûr la performance vocale. Cela démontre bien que nous sommes des êtres incroyablement complexes : nous ne ressentons jamais une seule émotion à la fois, mais plusieurs qui s’entremêlent. Ce qui m’amène donc à l’idée que, même si ce nouvel album semble avoir une tonalité générale mélancolique, il y a toujours d’autres émotions diffuses qui viennent s’incorporer et nuancer le tout. Je pense que Late Night Tales est le disque le plus honnête émotionnellement que j’ai pu faire à ce jour.
L’autre grande différence entre tes deux derniers albums ce sont les invités : sur Uptown Special, ils étaient majoritairement masculins et cette fois ce sont exclusivement des artistes féminines, pourquoi ce choix ?
Ce n’est pas un choix délibéré de ma part, c’est plutôt une coïncidence heureuse. Cela vient aussi du fait que je préfère co-écrire avec des femmes lorsqu’il s’agit de sujets personnels. Et il me semble qu’à l’heure actuelle, ce sont plutôt les femmes qui tiennent le haut du pavé en matière de musique pop.
Comment as-tu choisi toutes ces artistes féminines ?
Je connais Lykke Li depuis longtemps, elle a eu un bébé avec Jeff Bhasker qui a justement produit mon dernier album, ils se sont rencontrés alors que j’étais en train de terminer mon disque. Elle est l’une des voix les plus importantes de l’album, elle apparaît sur quatre chansons : « Intro », « Late Night Feeling », « 2 AM » et « Outro ». Pour Angel Olsen, j’ai tellement écouté son album My Woman pendant ma phase de rupture que j’ai contacté son manager, elle n’a pas accepté tout de suite mais on y est arrivés finalement. La chanson commence avec un message qu’elle m’a laissé sur mon portable et ensuite on a réenregistré proprement la chanson. Maintenant, on est devenus amis c’est cool.
L’autre voix importante sur ton album se prénomme Yebba, qui est-elle ?
Guy Harley, mon partenaire sur le label, m’a montré la vidéo où elle chante « My Mind » en live à New York et j’ai eu tout de suite des frissons en l’écoutant. Elle est venue en studio et je lui ai donné une chanson écrite, mais ça ne fonctionnait pas vraiment. On a fait une pause et elle s’est mise à chanter une autre mélodie sur l’instrumental et c’était tellement mieux que la mélodie que l’on avait écrite. Pour moi, elle est l’une des quatre ou cinq meilleures voix avec lesquelles j’ai pu travailler. Elle chante un duo avec Sam Smith sur son album, elle figure également sur l’album de Tribe Called Quest. Son père est pasteur et elle a été élevée dans la musique gospel. Je suis sûr qu’elle va exploser !
Mark Ronson : Late Night Feelings (Zelig/Columbia/Sony)