A peine sortis de scène après quarante minutes de funk échevelé, nous retrouvons Dave 1 (David) et P-Thugg (Patrick) qui enchainent les selfies et les interviews. Et pour cause, Rock en Seine est leur 1er festival français. Sur le ton de la plaisanterie, Dave 1 nous indique qu’il s’agissait certainement d’un test, qu’ils ont réussi et qu’ils seront ravis de revenir en France pour un « vrai » concert cette fois-ci.

L’aventure Chromeo trouve sa source au Collège Stanislas à Montréal où les deux compères se rencontrent au milieu des années 1990. Création de label par David à l’âge de 18 ans, avec son frère, le célèbre A-Trak. S’ajoutera très vite à l’histoire familiale Tyga, avec qui David travaillait dans un magasin de disques.

Juliet Records, le label indépendant dirigé par Chromeo

Juliet Records web page

Patrick (P-Thugg): On a commencé le label en 2020 car on était bien avancé déjà dans notre carrière. Et ce qui est cool est de perpétuer le funk, trouver de nouveaux artistes et leur donner une plateforme. Quand on a commencé, si on avait eu un label basé sur le funk, cela aurait été incroyable. On espère pouvoir donner cette opportunité à la nouvelle génération et passer le flambeau.

Vous avez signé Julien Granel ?
David : Juste pour un titre malheureusement, car il était déjà signé. On va sans doute travailler davantage avec lui.

En fait, la création de ce nouveau label est un retour aux fondamentaux : l’entraide que vous développiez à la fin des années 90 ?
David : Entre les deux, il y a eu Fool’s Gold Records. On voulait vraiment commencer Juliet Records avec la griffe Chromeo. Comme l’a dit Pat’, l’objectif est de produire d’autres artistes et vraiment sortir de la musique sans contrainte commerciale, roder notre production pour les autres artistes et en même temps encourager des producteurs, des chanteurs. Il y a d’autres projets où on travaille avec d’autres artistes plus établis.
Patrick (P-Thugg ) (le coupe) : On va ressortir des combinaisons improbables entre nous et des artistes établis aussi. Nous n’en sommes qu’au début.

L’indépendance c’est compliqué…
David : Oui très compliqué. Il y a un mot en anglais « Cosigned », qui indique qu’un artiste plus établi donne sa griffe ou donne son appui public à un jeune artiste. Nous, on a eu ça avec Tyga au début de Chromeo. On veut le faire aussi pour d’autres artistes, parce que ça change beaucoup l’exposition, ça aide vraiment. Mon frère A-Track le fait aussi. Aujourd’hui, n’importe qui peut sortir ses titres tout seul et avoir un succès dingue, notamment grâce à Tik Tok. Alors, c’est quoi la valeur ajoutée d’un label ? C’est d’avoir un autre artiste, en l’occurrence nous, qui donnons notre caution. C’est ce qu’on voulait faire avec Juliet Records.
Patrick (P-Thugg ) : C’est aussi partager le savoir faire qu’on a accumulé depuis vingt ans, le transmettre. On fait de la musique depuis le lycée où on était ensemble. Avec Juliet Records, ça peut aller dans tous les sens. Si 113 nous appelle pour faire un morceau, on va trouver ça cool. Ça va vraiment dans tous les sens.

 

 

Trois singles sont sortis ces dernières semaines, un nouvel album en prévision ?
David : Oui. On masterise mardi prochain (29 août, NDLA) à Paris, c’est Alex Gopher qui va masteriser. L’album est mixé par Morgan Gheist. On a combiné deux légendes de l’electro du début des années 2000 pour faire un sort de retour aux sources et un hommage. Metro Area et Gopher, sur un même projet. Cela n’a jamais été fait.

Evolution ? Retour aux sources ?
David : Les deux !
Patrick : Des essais aussi. On a été hyper léché dans les deux derniers albums. On souhaitait revenir à un son un peu plus cru, qui ressemblera un peu aux deux premiers albums.
David : On voulait vraiment une identité sonore, comme on l’avait eu avec Philippe Zdar sur Fancy Footwork et Business Casual. Morgan (Gheist) nous a donné ça. Mais en même temps, je pensais ça l’autre jour, quand on a écrit notre album Fancy Footwork, on faisait des morceaux à l’arrache, car on savait à peine ce qu’on faisait. On faisait ça en deux jours avec onze tracks de musique. Maintenant, comme cela fait des années qu’on produit, on passe beaucoup plus de temps. Je trouve que le nouvel album est très dense, très léché. C’est un album de quatorze titres. Mais aussi, comme disait Pat’, il y a un retour à la pureté de nos premiers disques.

On trouve Replacements un titre avec La Roux. Autres guests ?
David : Non, elle est la seule.

Et vous avez enregistré Discoproof avec elle, une nouvelle version de son titre Bulletproof.
David : On l’a enregistré la veille de Coachella où elle allait jouer avec nous. C’était l’idée de l’échange. Mais là aussi, c’est un clin d’œil à une autre époque. On n’est pas juste sur la nostalgie. On assume notre parcours, Chromeo aura bientôt vingt ans. Des mecs comme Alex Gopher et Metro Area, on veut s’assurer que personne ne les oublie et pareil pour La Roux. C’est une légende, donc c’était significatif de l’inviter comme unique guest sur l’album.

 

 

David, on vous dit branché mode ?
Patrick (répondant en premier) : Moi aussi, c’est mode et style. La différence se fait là. Je ne porte pas de marque mais…
David (le coupant) : Pat’ est à la mode, même plus que moi, je trouve. Moi, je porte toujours les mêmes fringues. Pat’ nous sort des trucs de zaïrois pas possibles. En fait, à l’époque, quand on commençait à venir à Paris. Pat’ allait s’habiller chez les tailleurs de Barbés. Il y avait un endroit, à côté du métro, qui s’appelait Maracaibo.
Patrick intervient : Et aussi Barracuda.
David : Et on allait habiller Pat’ là bas.
Patrick : …des chaussures sur mesure, des pantalons zébrés…
David : Les accordéonistes se faisaient habiller là-bas…

Les sapeurs y allaient aussi.
David : Oui, tout à fait, c’était leur bastion… Mode ou style, pour nous, cela revient au même.

 

 

Vous avez depuis le début de Chromeo utilisé une certaine image de la femme…
David : On a été un peu emmerdé à cause de ça, mais on l’a assumé. Sur le dernier album, on a essayé de faire un truc qu’avec nous. Nous nous sommes rasés les jambes et avons portés des talons pour essayer de subvertir le truc. Là, sur le nouvel album, on réassume vraiment. Il y aura une femme nue. Evidemment, cela sera avec goût. D’ailleurs, je montre toujours nos visuels à ma mère. C’est une féministe de la première école.
Patrick : De la première vague…
David : De la pré-vague même, période Hélène Cixous, Claire Bretécher. Je lui montre tout ce que je fais et elle me dit s’il y a un truc qui la met mal à l’aise ou pas. Ce qu’on fait, c’est un hommage à l’érotisme français et italien des années 70, même à Helmut Newton. Donc, si on nous pose des questions, on est ravis de dialoguer et d’expliquer notre vision. Car cette esthétique fait partie de notre identité. Ce choix est parfaitement assumé. L’image est réalisée par une femme photographe. Notre direction artistique est menée par une femme. On est sur cette longueur d’ondes depuis le début.

On parlait de direction artistique, l’art, cela vous intéresse ?
David : C’est hyper important. Les couv’, la façon de nous habiller, la typographie, cela fait un tout avec la musique et c’est indissociable. C’est vraiment comme ça qu’on pense depuis le début. Nous ne sommes pas les seuls. On vit dans un univers d’images. C’est comme les Daft Punk, tu enlèves les robots, la pyramide, qu’est ce qui reste ? Une musique incroyable, mais l’image participe à la musique. Sinon, nous ne sommes que des techniciens de la musique. Tous nos artistes préférés pensent en termes d’univers global. Il faut créer un monde. Maintenant, après presque vingt ans de carrière, je reçois parfois des messages accompagnés de photos me disant « Ça, c’est très Chromeo comme esthétique ». Ça veut dire qu’on a notre look.

 

Rock en Seine Victor Picon 2023

 

Il existe un certain décalage entre le logo Chromeo, très 70’s, votre univers iconographique et votre musique.
David : Exactement. D’ailleurs, on a une vraie dette envers la France parce que c’est un studio français qui a développé notre logo. Il s’appelait Surface to Air. Jeremy Rozan, le réalisateur français, dont le film Cash est disponible sur Netflix, a réalisé plusieurs clips pour nous : Hot Mess en 2010, Night by Night et Tenderoni en 2011. Charlotte Delarue, qui a développé nos visuels chez Surface to Air, est toujours notre DA, même si nous exerçons la DA globale de Chromeo. C’est notre bras droit, on ne pourrait rien faire sans elle. C’est une sensibilité très française. Chromeo, c’est une histoire de famille, ancrée dans la France. On a fait le lycée français à Montréal, donc on a eu beaucoup d’amis qui, même à Montréal, nous ramenaient des K7 de Radio Nova et de la Malka Family. Nous on achetait les compilations et c’est ça qui a fait notre éducation musicale. En fait, on est des élèves républicains. Nous sommes des enfants de Jules Ferry.

Et l’université dans tout ca ? (David a une maîtrise en littérature française de l’Université McGill; et a démarré un doctorat à l’Université Colombia à New-York. Il a même enseigné au Collège privé Barnard dépendant de l’Université de Columbia NDLA)
David : Ça me manque. Je n’ai toujours pas fini ma thèse. Je ne sais pas si j’y retournerai parce qu’on est occupés. Et puis, c’était une autre époque. Ça me manque et en même temps, ça fait partie de mon parcours.
Cela nourrit certainement l’aventure Chromeo
Je ne veux pas paraitre prétentieux, mais dans Chromeo il y a une aventure sémiotique. C’est de la sémiologie, c’est de l’intertexte. Donc, il y a plein de notions littéraires qui peuvent être appliquées à ce qu’on fait.

 

Propos recueillis par Lionel-Fabrice Chassaing

 

https://chromeo.komi.io/
https://www.julietrecords.com/