Après avoir dû annuler leur tournée internationale suite à la pandémie, le trio Juniore se remet en selle avec un nouvel album Trois, Deux, Un, sorti courant septembre. Tout juste revenus d’un rapide crochet en Angleterre, ils entament désormais leur tournée française. 

 

 

« Quand on a sorti le disque en 2020 on avait des tas de projets tombés à l’eau. Donc pour celui-là il fallait raccrocher les wagons : une manière de faire revivre l’album d’avant, 1,2,3 », raconte dans les loges de la Fête de l’Humanité, Anna Jean, chanteuse et fondatrice du groupe. « On avance donc c’est une façon de se donner de l’élan, de dire Trois, Deux, Un, et en même temps de faire un effet miroir avec 1,2,3, qui a eu une existence interrompue et qu’on trouvait dommage de pas avoir pu défendre. »

 

De la discrète Hardy aux Westerns Spaghettis

Plus tôt dans l’après-midi, sur la scène Joséphine Baker, alors que le soleil éblouissait les swingueurs du dimanche, Juniore performait en territoire français, plus foulé depuis six ans. « Françoise Hardy en feat avec Tarantino » plaisante un festivalier aux dernières notes du morceau À la plage. La comparaison illustre justement les influences du son fusion si particulier que Juniore décrit comme « Yéyé-psyché ». « On a écouté à fond Francoise Hardy, on l’a beaucoup regardée aussi, et je me suis rendu compte de son influence. Et puis ce truc d’être cette beauté merveilleuse qui s’ignore, “moi jolie ? comment ça?”. » Une inspiration musicale donc, mais également visuelle jusque dans la reproduction de ses codes et son esthétique « c’est merveilleux une frange parce que ça cache. »

 

 

« Dans cette époque où il faut se montrer tout le temps, ce n’est pas quelque chose qu’on fait naturellement. C’est une forme de timidité. »

 

En effet, il y a dans l’ADN de Juniore une volonté de discrétion, de se mettre à distance de la surexposition. « Dans cette époque où il faut se montrer tout le temps, ce n’est pas quelque chose qu’on fait naturellement. Je crois que c’est une forme de timidité. Très rapidement, on m’a dit de me  montrer, faire des photos et comme on me l’a reproché, je l’ai fait encore moins. Je me suis dit “j’ai le droit de ne pas savoir, de ne pas me forcer”. » Quant à Samy Osta, producteur et musicien « touche à tout », il se pare sur scène d’un chapeau aux proportions démesurées qui recouvre complètement son visage. Comme une séparation de la foule, une manière de s’immerger virtuellement dans son studio souterrain, que Juniore aime à qualifier de catacombes.  

 

« Les gens viennent souvent nous voir habillés comme une gravure des années 60, avec des yeux de biche et la frange taillée parfaitement. »

 

 

Juniore, succès outre-Manche

Pas étonnant donc que depuis la création du groupe, il y a dix ans, leur musique s’impose discrètement dans nos oreilles, ça et là, entre les publicités, les films et séries. Leur dernière infiltration en date : Emily in Paris. Alors, Juniore peut parfois passer incognito dans une France qu’Anna Jean perçoit comme « très attachée aux années 80-90 », en revanche il reçoit un accueil bien différent en Grand Bretagne. « En Angleterre et les swinging 60’s sont encore hyper présents dans la culture populaire. Les gens viennent souvent nous voir habillés comme une gravure des années 60, avec des yeux de biche et la frange taillée parfaitement. Il arrive régulièrement qu’ils fassent des pas de danse, le Madison. »

Si cette réinterprétation des 60’s, saupoudrée d’un « je-ne-sais-quoi » nouvelle vague californien séduit tant les saxons, l’une des raisons s’inscrit probablement dans les origines des Yéyés. « L’influence première de Juniore, c’est les Yéyés qui reproduisaient les chansons anglaises et américaines. Il faisait des reprises mais c’était complètement nouveau, ça ne sonnait pas du tout pareil. » Un mouvement de légèreté incarné par les Françoise Hardy et les France Gall, en totale rupture avec la chanson à texte de Brassens, Brel et Gainsbourg. « Même la façon de faire sonner le français était hyper étrange. Là où dans la chanson française, il y avait une culture d’histoire assez complexe, qui racontait la vie difficile… tout à coup c’était des phrasés, hyper simpliste, des chansons de Sylvie Vartan, certaines ne sont même pas du vrai français. »

 

© Louise Pham Van

 

 

Un brin d’audace 

Dans ses textes au phrasé nonchalant, Anna Jean préserve la candeur du « faux français », avec ses thématiques de plage et de seins nus. Point d’album en anglais d’ailleurs, car cela perdrait « de son sens parce, il n’y aurait plus ce décalage ». Si bien qu’ artistiquement même, elle incarne cette désinvolture. « J’ai un peu la naïveté de croire qu’on peut faire tout, et que ça va marcher. »

 

« Ce que tu ne sais pas faire, il faut avoir l’audace de l’essayer. »

 

Une fluidité de pensée qu’elle partage avec Swanny Elzingre, batteuse « merveilleuse » rencontrée il y a sept ans. « On n’a pas peur du ridicule, et, parfois on s’autorise ce que l’on ne sait pas faire. »

Son arrivée a profondément altéré la dynamique de Juniore en insufflant une volonté de se dépasser, se mettre au défi. « Elle n’a pas peur de ne pas réussir, donc tu apprends tout le temps et tu vas toujours plus loin. » Un état d’esprit aventurier communicatif sur scène et en production. « Il y a des parties de batterie qu’on aime beaucoup, d’autres groupes, par exemple de Paul Simon. On disait, c’est trop technique, on n’arrivera jamais, mais pour Swanny, ce que tu ne sais pas faire, il faut avoir l’audace de l’essayer. »

Auparavant, Juniore, composé d’amies d’Anna Jean qui avaient appris la guitare pour le projet, rencontrait une petite notoriété, performant notamment au MaMa Festival. Mais par l’arrivée de Swanny, le groupe s’est métamorphosé, professionnalisé. « Je pense que ça a vraiment donné un élan d’audace supplémentaire d’assumer qui on était et de se libérer de la peur de ce que les gens vont penser. Sur scène, dans les moments de doute, je la regarde et je suis tellement contente. Je me dis, putain elle est tellement stylée, elle s’en fout”. »

 

© Louise Pham Van

 

 

Musicalité léchée

Et puis, derrière ces deux personnalités colorées, il y a la pierre angulaire de Juniore, celui qui en façonne la silhouette, Samy Osta, que la chanteuse connaît depuis ses 15 ans. « Il a à la fois l’instinct et l’intelligence musicale qui fait en sorte que ça tient, ça a l’air sérieux. » Le producteur a d’ailleurs contribué de sa poésie et son sérieux aux albums de La Femme, Feu! Chatterton ou encore BB Brunes.

« Il fait ce que c’est Juniore. Je lui amène des pistes, quand il trouve que ça n’a pas d’intérêt, il va me dire, rentre chez toi, c’est nul”. Et je ne vais pas lui dire, si, c’est bien”. Parfois je vais lui dire non”, mais je vais quand même le refaire. Il comprend exactement là où j’ai envie d’aller, et il révèle des choses. » Au sein de ce trio qui a trouvé la symbiose, le travail d’orfèvre de Samy Osta s’imbrique avec « l’ingénuité musicale » d’Anna Jean. « J’amène des morceaux et il me dit tu sais que tu as fait deux fois le même accord d’affilée ? Tu ne peux pas…quoique, on va le garder”. »

 

En attente d’un nouvel album, le trio, rejoint par la bassiste Lou Maréchal, promène son swing authentique dans toute la France.

 

 

Trois, Deux, Un est disponible via Le Phonographe.

En tournée à Paris (Gaité Lyrique) le 8 octobre, à Clermont Ferrand (La Coopé) le 9 octobre, à Lyon (Le Transbo), à Annecy (Le Brise-glace) le 18 octobre et à Dijon (La Vapeur) le 19 octobre.

 

 

Texte Louise Pham Van

Image de couverture Aeroes