Entre technique, art et engagement, Vinii Revlon, figure incontournable du voguing européen, se raconte. De ses premiers pas inspirés par Vogue Evolution sur MTV à son statut de légende reconnue, il revient sur son parcours, son impact au sein de la communauté de la ballroom scene, et ses collaborations qui mêlent danse classique, mainstream et revendications sociales. À travers cet échange, découvrez un artiste complet, un mentor passionné et un militant infatigable, déterminé à inspirer et à repousser les limites de la visibilité queer et racisée.
On va commencer tranquillement part le début de ton histoire. Est-ce que tu peux me raconter comment tu as découvert le voguing et qu’est-ce qui t’a attiré dans cette danse ? Même si ce n’est pas qu’une danse et qu’il y a beaucoup autour de ça, mais commençons par la danse.
J’ai découvert le voguing dans une émission de danse sur MTV avec la découverte du groupe de danse Vogue Evolution. Je n’ai pas du tout aimé la première fois que je les ai vu. Je me suis dit « oh, c’est too much ». Mais plus je regardais les épisodes, plus je me disais « en fait, non, ils ne sont pas too much, c’est les autres qui ne le sont pas assez ». J’ai vu leur style vestimentaire, j’ai vu les figures qu’ils étaient en train de faire et je me suis dit « wow, il y a quelque chose qui me connecte à eux » et je n’arrivais pas à trouver ce que c’était. Puis j’ai fait mes recherches et j’ai vu que c’était toute une communauté, tout un monde et des codes. Ça m’a aussi aligné avec ma masculinité et ma féminité parce que c’est une danse qui prône l’acceptation de soi, l’acceptation de nos corps et nos différences aussi.
Donc la danse t’a peut-être attiré, mais ce qui t’a vraiment, du coup, gardé c’est le message, tout ce qui est autour…
Pour moi, le voguing, c’est une grosse disquette pour avoir une grosse discussion, en fait. Et on tacle trop de sujets. Des sujets qui sont super importants encore aujourd’hui et depuis la nuit des temps, en vrai. On parle du sexisme, on parle du colorisme, on parle du racisme, on parle de l’homophobie, de la transphobie, de grossophobie, on parle de plein de choses. Et on arrive à exprimer ça dans l’art.
Pour revenir justement sur la danse, avant ça tu as pratiqué de l’afro, du new style… comment ces influences se retrouvent dans ton style de voguing ?
T’as fait tes recherches hein (rires) ! En fait déjà le voguing, le vogue fem plus précisément, nécessite de maîtriser les cinq éléments : hands, catwalk, duckwalk, floor, spins/dips. Tout le monde n’est pas capable de le faire, parce que c’est tout de même technique. Mais une fois que tu l’as, qu’est-ce qui fait ta personnalité ? Qu’est-ce qui fait que tu es unique ? Ce sont les richesses que t’as de base. Moi, en effet, je suis congolais. L’afro, la danse, c’est dans le sang. J’essaie d’incorporer des mouvements de chez moi. Il faut toujours trouver le juste milieu parce qu’il ne faut pas que la danse dépasse le voguing. Il faut que tu vogues still, tu vois ? Et c’est comme ça que je suis devenu la première légende européenne parce-que j’étais unique.
On va y venir petit à petit… En 2014, tu vas aux États-Unis, si je ne me trompe pas.
C’est vrai. Exactement.
Comment as-tu vécu cette immersion dans la ballroom scene américaine ?
Truc de fou. En fait, ce que je voyais dans les vidéos, c’est exactement ce que j’ai senti dès le premier ball. Je voyais les bagarres…parce que dès le premier ball, dès le premier pas, il y avait une bagarre. Je me suis dit « wow, c’est vraiment comme sur YouTube ». Mais ce qui m’a vraiment marqué, c’était les fem queens – les femmes trans de la ballroom scene. C’est la première fois que j’en voyais beaucoup. Et ensuite, je les ai vues danser et je me suis dit « wow, donc c’est vraiment comme dans les vidéos ». Et puis aussi, ce qui rajoutait un peu de piment c’était le fait que j’étais le seul international dans la salle. J’étais le seul Français, j’étais le seul Européen. Et du coup, l’attention était aussi rivée vers moi puisque personne ne me connaissait. On me connaissait vite fait des réseaux, mais personne ne m’avait jamais vu. Donc, le premier truc qu’ils ont dit quand j’ai dansé c’est « Where is that bitch from ? She’s from Paris ? » Et le buzz a été créé comme ça, en fait.
Tu dis que tu es la première légende européenne de voguing. Pour ceux qui ne connaissent pas, qu’est-ce que signifie ce statut ?
Dans la ballroom scene, dans le monde du voguing, il y a plusieurs paliers. Il y a ce qu’on appelle stars, statements, legends and icons. Ce sont des titres que tu obtiens en franchissant des paliers. En gros, il faut avoir plein de trophées. You have to make moments. Tu dois vraiment avoir des moments importants dans la ballroom scene. Tu dois aussi être un peu un pilier de ta communauté. Il faut des années pour obtenir ce statut. C’est une question d’ancienneté, de victoires, de moments et des choses que tu fais pour la communauté. Pour ma part, mon gros moment a été de gagner aux États-Unis. Et dans ma catégorie, j’étais le premier Européen à gagner. Ce qui a fait que les lumières se sont un peu posées sur moi. Et puis aussi, le travail que j’ai effectué un peu partout en Europe, notamment dans la France entière, où je fais des événements un peu partout. Ce n’est pas juste ma performance qui a fait de moi une légende. Ça a été vraiment comment dire… ? C’est mon charisme, en fait ! Je suis congolais, on ne vit que de ça (rires).
Je suis congolaise aussi (rires) !
Voilà, y’a rien à rajouter (rires).
Pour revenir à ton parcours et à ce que tu faisais en France, tu as dansé à l’Opéra de Bastille et aussi avec Aya Nakamura. Comment arrives-tu à allier le voguing à ces collaborations, qu’elles soient classiques ou populaires ?
Je pense qu’en fait, le voguing doit être partout. On a le droit d’être partout, c’est important. Autant tu peux faire un ball aussi bien dans un gymnase, sur la scène de l’Opéra, dans le clip d’Aya Nakamura, ou peut être à Paris dans la maison de Macron. Je pense que c’est un gros message. Ce qui fait que j’allie le voguing au monde mainstream, c’est le fait que je me dis que la communauté LGBT est partout et notamment la communauté LGBT racisée. C’est important d’avoir de la visibilité parce que pour moi, la visibilité sauve des vies. Je pense toujours à ces petits jeunes de transidentité ou des petits jeunes queers racisés qui s’interrogent sur eux-mêmes et qui n’ont pas de modèle. De se dire qu’en fait, en face, il y a des jeunes femmes, il y a des jeunes petits garçons, des hommes qui sont en train de se produire un peu partout dans des trucs importants, dans des pubs, dans des jeux vidéo, sur la scène de l’Opéra. Je pense que c’est important. Par exemple, l’Opéra, la majorité, ce sont des personnes blanches qui y assistent. Et l’Opéra, c’est super. C’est juste qu’on n’est pas visibles parce qu’on n’est pas représentés. Du coup, de se dire qu’on est les premiers à avoir vogué là-bas, c’est énorme. Pour nous, mais c’est énorme pour le message que ça a…
Tu es aussi en résidence à la Gaité Lyrique, là où on se trouve aujourd’hui. Qu’est-ce que cette collaboration apporte à la House of Revlon, par exemple ?
Déjà, c’est un endroit sûr, un endroit où on peut se réunir, où on peut être nous-mêmes, où on peut communiquer autant dans nos paroles, mais aussi avec le corps et ce sans jugement. On a un toit où les gens qui sont dans cette institution, dans ce beau building, comprennent les enjeux de nos messages. Et puis, aujourd’hui, je suis le premier artiste signé à la Gaité Lyrique. Il y a plein d’artistes qui sont en résidence, mais personne n’a été signé. Donc, ça veut dire aussi beaucoup de choses. Mais en même temps, comment ne pas signer Vinii Revlon (rires) ? J’ai quand même apporté les JO à la Gaité Lyrique. Donc, voilà, c’est donnant-donnant, on va dire.
Bien sûr. Dans cette collaboration, tu prends, mais tu donnes aussi. De toute façon, c’est ce qui fait que ça fonctionne.
Voilà, c’est un échange équivalent. Et puis, avec Benoît Rousseau, le directeur de la danse à la Gaité Lyrique, fait aussi partie de la House of Revlon. Il est aussi mon manager, on travaille archi bien ensemble. Ce qui fait qu’aujourd’hui on est partout dans la France grâce au concept, qu’on a créé, qui s’appelle Ballroom on Tour. On va dans les villes, genre à Marseille, à Lyon, à Bordeaux, à Nice, à Rennes, à Metz, où on produit des balls et on donne des cours.
C’est bien que tu sois reconnaissant des opportunités qui viennent à toi tout en n’oubliant pas ta propre valeur.
La question, qu’on peut me poser c’est : « what are you bringing to the table ? » Baby ? I’M THE TABLE! Tu vois ? Je suis la table, ils sont les couverts (rires).
En parlant de la Gaité, comment on prépare un événement comme celui auquel on va assister aujourd’hui, The Halloween Party Ball III ?
J’ai une grosse équipe derrière qui fait pas mal de choses. J’ai ma house aussi qui m’aide beaucoup sur la communication. Et puis, il y a la communauté aussi qui me renvoie tout l’amour que je donne. Communauté qui grandit de plus en plus. Par exemple, le ball d’aujourd’hui est Sold Out depuis pas mal de temps.
Tu as initié beaucoup de projets associatifs et éducatifs. Qu’est-ce qui t’a motivé à organiser des ateliers de voguing pour les jeunes et pour le public en général ?
Comme je te disais tout à l’heure, pour moi, le voguing c’est une grande disquette pour avoir une grande discussion. Du coup, par ce biais là, on évoque plein de sujets. Je pense que beaucoup de gens qui ne sont jamais venus à des balls en ressortent plus intelligents. Parce qu’un ball, ça te fait voir plein de choses. Tu vois des corps différents, des gens que tu n’as pas l’habitude de voir dans ton quotidien. Ca te fait poser des questions. Aussi, quand tu rentres chez toi, tu as un discours qui change avec les gens de ta famille. Il y a un « je ne savais pas, maintenant je sais ». Quand ils vont entendre quelque chose qui est homophobe ou transphobe, peut-être qu’ils vont pouvoir défendre. Voilà pourquoi, mes petites apparitions un peu partout dans les institutions ou dans les écoles sont importantes. Parce que the bullying is real ! Les jeunes qui s’ôtent la vie, c’est toujours d’actualité. Du coup, si on est un peu plus sensibles et un peu plus aware, je pense que ça fait du bien et on peut éviter des catastrophes.
Pour revenir sur les JO, tu as eu une part très importante, notamment avec le Paris Sports Ball. Comment tu as ressenti l’accueil du public ?
Chaque soir, c’était un truc de fou. Il y a eu une grosse polémique quant à l’opening, très attendue, mais en même temps, c’est hypocrite, parce que ce tableau, il a été mis un peu partout, même dans les schtroumpfs, pour te dire ! Mais là, parce que c’était des corps queer et racisées, ça posait problème. En fait, les gens aussi se focalisent sur les critiques, mais il y a eu tellement d’élans d’amour. Il faut se focaliser sur le love qu’on a reçu. Moi, pendant les trois jours du Paris Sports Ball, chaque jour, c’était que du love. Et puis toute ma famille est venue le premier jour. Mon père, ma mère, ma sœur, mon frère, mes neveux, mes cousines. C’était la première fois qu’ils assistaient à un ball. Mes parents ont pleuré…
Ça t’a apporté un sentiment de fierté ?
Énorme fierté. Mes parents, ils sont très fiers de moi.
Ils te soutiennent ?
Ah ouais, vraiment. Ma mère, elle m’a dit, « si t’es heureux, je suis heureuse ». Et c’était la première fois qu’elle me disait ça.
C’est un plus grand accomplissement que les JO pour toi ?
Totalement. Ah ouais, vraiment ! J’ai eu la validation de ma mère donc c’est bon je peux voler carrément. Je volais déjà, mais là je peux atterrir sur Mars !
Et depuis tes débuts, jusqu’à aujourd’hui, quelle évolution constates-tu au sein de la ballroom scene française ?
Alors déjà il y a de plus en plus de personnes. De plus en plus de jeunes. Un public qui grandit de jour en jour. Des habitués, et pas forcément des gens de la scène. Et je les revois au premier rang à chaque fois, quand je marche sur la scène avec le micro et tout… La différence majeure c’est qu’à la base on était peut-être dix pèlerins. Là, aujourd’hui, on est peut-être un peu moins de 300.
Et d’après toi, quelle serait la place de la House of Revlon dans cette évolution, justement ?
Oh baby ! La House of Revlon, en toute humilité, we are the best house in Europe. Parce qu’on le démontre sur le floor, mais on le démontre aussi à l’extérieur de la scène. On est appelé partout, que ce soit les pubs, que ce soit les shows, que ce soit dans Danse avec les Stars. Mais ça, c’est les strass, c’est les paillettes… Mais ce que j’inculque à ma house, c’est « you can be the boss at a ball, but you have to be a boss in your real life first ». C’est le plus important. Il faut que tu sois bien à l’extérieur pour que tu sois bien à l’intérieur. La ballroom scene, ça m’a donné des ailes, un bouclier et une épée pour affronter le monde extérieur. À l’ancienne, quand j’avais débuté, j’avais créer un personnage et je portais toujours une couronne. Aujourd’hui, j’ai retiré la couronne. I don’t have to wear a crown. Je marche dans le monde en me disant ça : « I’m a black king ». Et je le vis. Donc j’essaye d’inculquer ce mood-là à mes kids, à mes brothers and sisters. « Be the king, be the queen that you are in real life ».
Pour finir, parlons de toi. Quels sont tes projets futurs ? Y a-t-il d’autres domaines artistiques que tu aimerais explorer ?
J’aimerais faire du cinéma. C’est mon but final. J’aimerais être acteur dans des séries ou dans des gros films genre type Black Panther, des séries comme Vampire Diaries, Empire, des gros trucs. Et je ne lâche pas. Je crois en la manifestation et le fait de croire en ses rêves. Dream big, bitch !
Je te le souhaite. Vraiment, je te le souhaite.
Merci beaucoup pour tout.
Texte Samantha Kiangala