De passage à Paris pour promouvoir son nouvel EP, Jahen arrive de Normandie. Il émane de lui une force tranquille mêlée d’une douceur désarmante. Assis devant un café, il évoque la genèse de ce projet intitulé The Adventurous Life and Faked Death of Jahen Oarsman, son parcours jalonné de rencontres fortes et son amour profond pour la musique anglo-saxonne.
Une enfance bercée par les sons anglo-saxons
« J’adorais l’anglais depuis que je suis enfant. Je viens d’un petit village du Calvados. J’étais vraiment un ovni comparé à mes potes, qui écoutaient uniquement du rap ou de la chanson française. Le seul truc qui m’habitait, c’était la musique anglo-saxonne. Cela ne s’explique pas en fait. Moi, j’étais bercé par les vinyles de mes parents : Leonard Cohen, de la soul, du gospel… Cela m’a imprégné. Dans les années 90, les chaînes comme MCM et MTV m’ont nourri de culture américaine et anglaise : Oasis, Blur, Radiohead… C’était une période incroyable. Ces influences m’ont forgé une identité musicale bien à moi ».
Un saut de l’autre côté de la Manche
Diplôme en poche, Jahen part vivre à proximité de Birmingham au début des années 2000. « Mon lycée était jumelé avec un établissement anglais. Après le bac, je suis parti là-bas et suis resté plus d’un an par mes propres moyens. Je donnais des cours de français et suivais des cours en échange. J’étais logé chez une famille de profs (psychologie et de latin et grec) et j’avais accès aussi à tout le complexe sportif de l’école. C’était un super truc. Je faisais beaucoup de sport. J’ai refait une terminale. J’avais envie d’apprendre, j’avais du temps. Et le premier jour, on m’a dit, on cherche quelqu’un pour l’équipe d’aviron. C’est là que j’ai intégré une équipe d’aviron, ce qui a inspiré mon nom d’artiste : Jahen Oarsman (oarsman signifie rameur, NDLA). » Dans ce cadre, il compose ses premières chansons et forme un groupe qui présentera ses compositions lors d’un spectacle de fin d’année. « Mes camarades anglais appréciaient mon style folk rock et m’ont encouragé à continuer. »

Un parcours artistique polymorphe
De retour en France, Jahen se lance dans des études de lettres modernes. Ne tenant pas en place, il part deux ans en Espagne où il étudie l’histoire de l’art. Jahen est un hyperactif, un véritable paradoxe lorsqu’il porte un regard sur son parcours « Études artistiques et langues ? Évidemment. Un bon branleur. Qu’est-ce que je vais faire dans la vie ? Je ne sais pas. Histoire ? Je suis un rêveur. Je me crée ma bulle. » L’art ne le quittera pas néanmoins, toutes les formes d’art le captive. Il continue la musique en parfait autodidacte. « Chez moi, j’ai une carte son, basse, guitare, banjo six cordes. Je crée, j’ai des claviers aussi, je bidouille. Je pense que les ingé sons quand ils écoutent mes maquettes, se disent « oh ça pique », parce que quand je fabrique, c’est un « lâcher prise », c’est un peu plus grossier dans la production, et c’est ça que j’aime bien, et j’aime bien écrémer justement. »
Des rencontres décisives et une évolution collective
Le confinement de 2020 lui permet de concrétiser son projet d’album grâce à un dispositif régional. « J’ai enfin pu enregistrer après plusieurs tentatives infructueuses. J’avais mes titres prêts et tout s’est aligné. » Il rencontre alors Franck Amand, incroyable batteur pour Clara Luciani, Catherine Ringer…, qui deviendra un partenaire essentiel. « Franck a enregistré toutes les batteries du premier album Shelters. C’était le début d’une grande aventure. » Avec l’arrivée d’autres musiciens, le bassiste Adrian Edeline, complice de Franck, puis d’Amaury Ranger de François and the Atlas Mountains qui fera la ligne de basse sur Imagination, huitième titre de Shelters. Une tournée d’une trentaine de dates suivra. « Franck m’a accompagné en live pendant toute la tournée Shelters, avec des remplaçants de luxe quand il n’était pas là. Mais aussi Jérôme Pichon (Canari, Vox Low, Nouvelle Vague, Melody’s Echoes Chamber). Putain, c’était magique. » Une véritable famille musicale se crée.

L’entrée dans l’univers de Lewis Evans
Alors que Jahen cherche de nouvelles perspectives, il contacte Lewis Evans, normand comme lui. « Je lui avais envoyé un message pour lui dire : « Si tu as besoin d’un musicien, fais-moi signe ». Six mois plus tard, il m’a répondu et m’a intégré à son équipe. C’était direct, à la Lewis ! » Cette collaboration mène à deux ans et demi de tournée ensemble, passant par des scènes emblématiques comme La Maroquinerie et les Trans Musicales en 2024. « C’est une bouffée d’oxygène musicale. Lewis est un artiste fun et inspirant, toujours en quête de nouvelles sonorités. » Jahen peut passer des heures à parler de ses amitiés tout en oubliant de parler de son propre travail et de son EP.
Un univers artistique entre western et introspection
The Adventurous Life and Faked Death of Jahen Oarsman, cinquième enregistrement, après trois EP et un album peut paraître égocentrique au premier abord. « C’est du dixième degré… En fait, le premier titre que j’ai composé, c’est Lost and Won. C’est le premier titre de l’EP qui est western et introspectif, très dans ce que je suis. C’est-à-dire quelqu’un qui aborde les thèmes du songwriter : qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? Le background est plus western. J’adore les classiques comme Mon nom est Personne (film de Sergio Leone avec Clint Eastwood, NDLA). L’idée de faire évoluer son nom de scène trouve écho dans une scène clé de ce film, où le personnage fait semblant de mourir pour disparaître, mais aussi dans le livre The Mysterious Life and Faked Death of Jesse James de Daniel et Tereza Duke.
Une création collaborative et sensorielle
« La musique, c’est ma vie. J’aime créer chez moi, j’aime bien quand l’inspiration me traverse et que je fais mes maquettes sur mon ordi avec ma guitare et tous les instruments que j’ai en possession, et puis pour enregistrer par contre j’aime bien être avec quelqu’un, chez quelqu’un ou dans un lieu, j’ai l’impression d’être en vacances quand je fais ça. » Ce quelqu’un fut naturellement, Franck Amand, l’amoureux des batteries vintage, avec lequel il co-composera l’ensemble des titres. « Selon le temps que j’avais de dispo dans l’année, je suis allé chez lui, donc cela s’est échelonné. On était vraiment dans un cocon. On a baigné dans la musique, j’ai voulu aller au bout de ce curseur du « lâcher prise », on savait vers quoi on allait. On a enregistré sur ses vieilles batteries, sans doute sur la Rogers. C’est celle qu’il avait eue de Catherine Ringer. Aussi, sur une pailletée, une vieille… Avec une peau en papier. Un truc énorme. On a des batteries des années 40, quoi. Il est fou, mais c’est ça qui est bien. »
Tomorrow, qui clôt l’EP, a retenu notre attention avec cette fin explosive. « C’est un morceau assez particulier parce qu’il commence vraiment comme une petite balade, limite à la Jack Johnson. Dès qu’il part, c’est vraiment une pop autoroute, une pop anglaise très lumineuses. Et puis on avançait dans le morceau. À la fin, on était là… Une petite fin un peu badass, ce serait bien. Et je ne sais pas, Franck s’est mis à faire un truc… Toutes les cymbales. Et il a mis ses pédales de réverb, d’écho. Et il a tout mis à fond. Il a dégueulassé le son au possible. Et on a écouté, on a fait… « Dégueulasse ! » Et c’était super ! Le morceau se termine par une petite claque de fin. » La vie est une aventure, c’est cette narration qu’on retrouve dans ce The Adventurous Life and Faked Death of Jahen Oarsman : ses aventures musicales, ses rencontres, et à fois un renouvellement de ses paysages musicaux dans une continuité. « Je suis un peu comme une éponge. Je me nourris de beaucoup de choses de ce monde qui sont incroyables. Et de temps en temps, je rassemble toutes les pièces du puzzle. Et ce qui fait sens pour moi, c’est par les rencontres, les collaborations. C’est là où on crée du sens. »

L’EP est traversé par les sons du banjo utilisé de manière un petit peu différente, détourné. « D’ailleurs, ce n’est pas un vrai banjo… C’est un banjo un peu Louis Armstrong, dans ses premières bandes, il avait des banjos six cordes. Donc c’est un banjo un peu comme ça. Et ils appellent ça banjitar. Les puristes te diront, ce n’est pas un vrai banjo. J’avais envie de ce son qui venait justement de mélanger cette pop-rock anglaise avec ces sons Americana. Dans All I Wish For, ce que j’aime beaucoup, c’est que tu as une intro banjo, et ce son fait du bien. C’est un truc physiquement qui est assez… Il y a un truc assez mantra dans cette intro. Et il arrive, il s’égrène. Il vient se mélanger à du piano, à d’autres choses. »
Une transmission subtile et engagée
« Avec cette EP, j’ai envie de me fondre dans la musique. Moi, je fais une musique de paysage intérieur. Je me baigne, je me noie dans la musique. Le premier clip est western. Le deuxième est plus fantastique. Dans mes lectures, il y avait La nuit des temps de Barjavel. Et la scène d’intro de la vidéo de Fine, c’est la scène du roman quand ils trouvent les deux extraterrestres dans un œuf d’or au centre de la Terre. Je suis parti de là et je me suis dit « tiens… c’est marrant », parce que c’est plutôt le thème de Tomorrow qui est dans ce clip-là. Je me suis dit : « tiens, si ces deux protagonistes se réveillaient aujourd’hui, qu’est-ce qu’elles penseraient de nous, de ce qu’on a fait, de notre planète ? ». Et je trouve que c’était un bon moyen de parler de ces choses-là de manière pas frontale. » Cette double lecture présente sur l’EP invite l’auditeur à se perdre et à voyager.
Un ancrage normand
Au-delà des rencontres musicales extra-normandes, Jahen s’est aussi entouré de professionnels normands, à l’instar d’Inaniel, illustrateur qui a réalisé la pochette. Son label Indelible Records est local, « C’est un passionné. J’ai eu la chance qu’il me dise oui. Et il m’a permis d’enregistrer cet EP. J’ai été faire le mastering chez mon pote Seb Lorho, avec qui j’avais enregistré l’album. Je travaille aussi avec Sam Ferry, qui est une caenaise, voisine et ami et qui a fait un des clips de Lewis Evans. C’est un peu une famille, une famille choisie. Et tu vois, le deuxième clip, c’est Hugo Arphi, qui travaillait avec Sam, et lui aussi originaire de Caen, qui a fait les Beaux-Arts, qui vivait en Belgique. Et il m’a dit, écoute, j’ai bien kiffé tes morceaux, je te ferai bien le deuxième clip. Et lui, il a un univers plus street, plus Futurama. »
Un retour attendu et une aventure en perpétuel mouvement
Avec une dizaine de morceaux déjà captés, Jahen espère sortir un album prochainement. « Je fais une musique introspective, douce et nostalgique, même quand j’essaie de faire du rock. On me dit toujours que c’est trop « chill » ! Mais je pense que c’est ma signature, cette douceur assumée. » Le vinyle de l’EP sortira le 1er février 2025, disponible uniquement lors des concerts, notamment à Caen Portobello Rock Club, puis en mars au Cargo, seules dates prévues à ce jour. « Je n’ai pas de tourneur. C’est plus difficile aujourd’hui de tourner en full band. La musique doit être partagée physiquement. Je cherche une équipe qui aime ma musique et veut la faire vivre sur scène. Il y a quelque chose de magique à la retrouver devant un public. »
Jahen reste fidèle à sa quête intérieure. Sa musique, à la fois intime et ouverte, résonne comme un appel à l’évasion, une invitation à se perdre dans un monde où l’on se retrouve toujours un peu plus soi-même. C’est un message de confiance et d’espoir qui transparaît dans ses compositions : celui que l’art, tout comme la vie, trouve son sens dans le lien entre les êtres, dans ces moments suspendus où l’on se reconnaît, même dans nos fragilités. The Adventurous Life and Faked Death of Jahen Oarsman nous rappelle que, malgré la mélancolie qui peut teinter nos existences, il existe toujours une lumière, une chaleur humaine, prête à briller dans les recoins les plus sombres de notre réalité. Une douce mélancolie, qui porte en elle une foi indéfectible en la beauté du monde, en l’aventure, et en l’amour partagé.
The Adventurous Life and Faked Death of Jahen Oarsman est disponible via Indelible Records. En concert à Caen (Portobello) le 1er février 2025.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture Charlotte Romer