Le défilé menswear Automne-Hiver de Jeanne Friot, intitulé Visions, s’est tenu mercredi dernier sous le Pont Alexandre III, et c’était tout simplement bluffant. Cette designer, qui met son talent au service de la communauté queer, nous a offert un show puissant, politiquement positionné et résolument engagé contre un système rigide, rempli de diktats étouffant la vibrance sublime des êtres humains.
On a pu admirer les bottes argenté en ceinture portées par Jeanne d’Arc dans son armure, créée par Jeanne Friot pour la cérémonie d’ouverture des JO. Ces bottes imposantes, qui avaient déjà marqué les esprits lors de son précédent défilé printemps-été 2025, sont devenues un véritable symbole de son esthétique. Les ceintures, élément central de ces créations, se déclinent également dans son défilé menswear, transformées en tops, jupes et bottes de plusieurs couleurs. Elle aime « transformer la ceinture, objet utilitaire, en ornement. Créer un vêtement en imbriquant les ceintures entre elles, c’est créer une seconde peau, comme une armure ». Et c’est cela qu’on aime chez Jeanne Friot : elle n’a pas peur de réutiliser et de se réinventer. Ces chaussures, signées Both, s’intègrent parfaitement dans sa démarche d’éco-conception et de circularité. Profondément sensible à la cause environnementale, Jeanne Friot utilise ce qui existe déjà pour créer ce qui pourra exister à nouveau.
Dans cet esprit, elle a collaboré avec Levi’s, en « upcyclant » des jeans 501 pour les redesign en tenues uniques présentées lors du défilé.
Jeanne Friot, Visions, FW25, Photos © Alex Pommier
Pour ce défilé, l’une des couleurs principales était le rouge, qui inondait la pièce avant le début du show, créant une ambiance intense et immersive. Cette lumière enivrante a ensuite laissé place à un éclairage blanc éclatant, magnifiant chaque tenue avec une précision percutante. On a également vu beaucoup d’argenté : une robe courte façon côte de maille (très château core vibe), un long manteau en vinyle, un ensemble oversize avec short, ou encore une robe ceinturée assortie aux Both. Un manteau blanc porté par Farida Khelfa a ouvert le bal, laissant la pièce sans voix. Des kilts, portés sans restriction de genre, symbolisaient une mode affranchie de toutes conventions, poussant le pouvoir de la représentation à son paroxysme.
Jeanne Friot, Visions, FW25, Photos © Alex Pommier
Ce qui retenait particulièrement l’attention, ce sont les grands slogans imprimés, signature de la direction artistique résolument punk de la maison, qui portaient des messages puissants et revendiquaient haut et fort l’amour et la liberté pour tous. Je ne vous apprends rien en disant que les normes de beauté imposées aux femmes sont souvent punitives, notamment en ce qui concerne le vieillissement. C’est avec cette phrase magique : « A woman is somebody and not some body », et un casting inclusif, tant au niveau des âges que du genre, que Jeanne Friot célèbre une beauté authentique. Elle refuse de réduire la femme à une image prétendument affaiblie par le passage du temps, en mettant en lumière une beauté qui transcende les diktats.
Les pièces incluaient de grands manteaux aux coupes droites et carrées, symbolisant des épaules solides, celles que les personnes queer doivent se construire dans une société oppressante et rejetante. Ces épaules, prêtes à porter le poids de la lutte, ne renonceront jamais à marcher fièrement.
Entre des justaucorps révélateurs, des manteaux imposants en fausse fourrure rouge ou des bombers noirs scintillantes, la collection explorait la dualité entre la fierté de dévoiler son corps et la nécessité de porter une armure puissante qui capte les regards. Le message est clair : il ne s’agit pas de cacher sa vibrance, mais de l’exposer, de la partager et de l’incarner pleinement. Le jeu entre volumes amples et coupes ajustées reflète la manière dont chacun choisit de se présenter au monde, dans toutes ses nuances. Toutes ces formes d’existences, bien qu’en apparence différentes, se complètent comme les pages d’un même livre : on ne peut comprendre une page sans lire les autres.
C’est cela, Jeanne Friot : une harmonie de résistance et d’assurance, un livre rempli de cohérence saisissante. Avec Visions, elle nous offre une nouvelle façon d’imaginer le combat. L’armure est forgée, les uniformes de la résistance sont prêts, n’attendant que ses soldats pour s’élever contre le pouvoir oppressif.

Dans cette collection, Jeanne se réapproprie un pouvoir trop longtemps accaparé par le sexe dominant. Nous ne nous tairons plus. Et si nous ne parlons pas, nos vêtements parleront à notre place. Grâce à la puissance de la musique, à la communauté et à la force collective, nous nous lèverons, sans crainte, contre ce système. Ensemble, nous serons féroces et fiers.
Jeanne « désinvisibilise » et « invincibilise », nous disant : « N’ayez crainte, nous sommes prêts pour la révolution ».
Texte Noémie Fonkou Guemo
Photos © Alex Pommier