Lorsque nous retrouvons Slove, contraction de slow et de love, aka Julien Barthe et Leo Hellden, rue Lepic à Paris, nous ne nous doutions pas que nous allions revivre l’effervescence musicale du début des années 2000.
Installés confortablement en terrasse, on ne peut parler du dernier album sans regarder en arrière, là où tout a commencé avec notamment le label Pschent, qui signe Slove pour leur premier album Le Danse en 2011.
Mais tout commence en 2009, par un partage de studio, à Bagnolet. Ces deux-là se trouvent des affinités musicales, ils sont tout deux fans de Cold Wave/New Wave et de la scène Madchester, mais ils partagent aussi un fort attachement à l’indie. Julien est plutôt un bricoleur de sons, adeptes de toutes les machines, plug-ins, Léo, guitariste de formation, est plus bavard, hyperactif, qui aime que les choses aillent vite.
Leur troisième album, Le Fly, vient de sortir avec, comme à leur habitude, pas moins de neuf collaborations. Un opus plutôt joyeux à la différence des deux précédents plutôt clair obscurs. Léo commente : « On sentait que cet album était assez bizarrement homogène, même si c’est très éclectique. Oui, il y a un certain style fédérateur. Il y a un esprit qui est plus cohérent. Avant, c’était un peu plus presque compil avec des chanteurs différents. Ça partait un peu dans des directions différentes ». Julien ajoute : « Le premier album était fait plus avec des bouts de ficelle. On ne pensait pas faire un album à la base, juste travailler nos projets respectifs et tester des choses ensemble. On a donc ajouté des morceaux ». Léo précise : « Cette fois, je pense que c’est le fait qu’on a vraiment fait une différence entre la phase démo et la prod. Sur le premier album, il y a peut-être certains titres qu’on a laissés, qu’on aurait considéré comme des démos maintenant ». Pour le premier album, le label avait engagé Stan Neff (Lilly Wood & The Prick, Kids Return) pour faire le mixage de Carte Postale, car ils pensaient n’être pas assez compétents à l’époque. Julien se souvient : « Finalement, on a gardé nos mixes, sauf un ». Léo ajoute : « Oui, celui de Stan, car c’était hyper dur. Après, malheureusement, il n’était plus disponible. Je travaille encore avec lui maintenant. C’est un super ingé. »
Entre 2011 et 2024, treize ans se sont écoulés. Un album tous les six, sept ans semble être le bon rythme. Ils avouent ensemble que tout est question d’envie et de temps. « C’est que, nous, quand on pense que l’album est presque fini, on a encore deux ans devant nous », explique Léo. Julien ajoute : « Je n’ai pas l’impression que cela fait six ans ». Vu le nombre de collaborations, cela prend en effet un certain temps. Une fois l’album presque terminé, ils ont enlevé la moitié des titres. « De la première version de l’album, il ne reste que quatre titres », nous dit Julien, « on ne les trouvait pas assez bien. Seuls quatre feats subsistent, deux avec Noémie Wolfs et deux avec Rocket Mike. » Ce dernier est d’ailleurs sur chaque album de Slove. « Mike a une voix incroyable. Je travaille avec lui quasiment dans tous mes projets, notamment dans Camp Claude. J’ai moins de filtres à lui envoyer, moins des trucs que peut-être à d’autres gens », explique Léo.
Le choix des collaborations s’est fait naturellement. Julien raconte : « On a déposé une annonce à l’ANPE spectacle ! (rires) Non, c’est une blague. Nous les avons tous croisés il y a dix ans. C’est d’ailleurs ce qu’il y a d’étonnant sur cet album ». Il continue : « Je rêvais de bosser avec Jessie Chaton. On avait fait des soirées ensemble alors qu’il avait son groupe Fancy, j’étais fan. Je lui ai envoyé le morceau. Il l’aimait bien. Mais il nous a fait changer la structure. Jusqu’à la dernière minute, ce n’était pas gagné. Nous avions cinquante pistes de chant (Jesse a fait tous les chœurs, NDLA). J’ai pris une leçon de mix de voix. Je me suis fait des petits tutos en douce (rires). C’est un peu un Beach Boys version Glam. » Le clip de ce morceau est réalisé par Marco Dos Santos, un autre membre de la « famille » Slove, qui avait aussi réalisé les clips de Fancy. « Il s’est vraiment impliqué à fond, comme Marco. Les vieilles voitures américaines sont sa passion, d’ailleurs, on peut le voir au volant de sa propre voiture dans le clip », ajoute Léo.
Tout ce beau monde s’est en effet plus ou moins rencontré au Paris-Paris, club atypique de la capitale entre 2005 et 2009 que dirigeait Marco Dos Santos avec La Clique. Mais pas que. L’aventure se poursuit au défunt Social Club, où Slove a fait ses premières Release Parties. C’est là qu’ils ont croisé Aksel Schaufler (Superpitcher) et Rebolledo, producteur mexicain, qui formeront plus tard le duo Patchanga Boys. Ils réalisent un remix de Flash, extrait de Le Dance. « C’était un des premiers trucs des Patchanga Boys, c’est un remix qui s’est pas mal baladé et qui a bien vieilli. Un remix underground tendance Mainstream », explique Léo.
L’aventure de Slove ne se limite pas à la France. Leur notoriété a rapidement pris un tour international, grâce aussi à Maceo Plex qui jouera le remix. Lors de la finalisation de leur deuxième album Le Touch, ils ont reçu un mail des USA d’un certain Casey Neistat. « Bonjour, je suis YouTuber – on savait à peine ce que c’était. J’aimerais bien utiliser la chanson du premier album. » Casey Neistat, qui a maintenant 12,6 millions d’abonnés, a insisté pour payer le droit d’utiliser le titre Carte Postale. « On répond au mail, génial ! ». « On ne savait pas, à ce moment-là, que Samsung sponsorisait l’affaire », précise Julien. Ce qui relance du coup Le Danse.

La vidéo a été réalisée par Max Joseph, qui avait découvert leur CD chez Colette. Plus tard, il réalisera We Are Your Friends avec Zac Efron, explorant le milieu de l’électro et des nuits californiennes. « On a battu des records de fou grâce à ce mec », explique Julien. Casey Neistat invite le duo pour son anniversaire à New York, une occasion de présenter le dernier produit Samsung. « Je me souviens qu’il nous l’a dit à la dernière minute. On a voyagé en business classe, logé au Standard Hotel, juste à côté du MoMA. » Explique Léo. D’autres synchronisations suivront, notamment pour la marque de whisky de David Beckham avec le même titre chanté par Anne-Laure (Appaloosa), présente elle aussi sur Le Fly.
Un autre featuring du nouvel album est celui avec le chanteur et producteur français Yan Wagner. « On était sur le même label, Pschent, il y a dix ans. On s’est tous retrouvés au même moment pour signer un album. C’était génial », raconte Julien. Léo ajoute : « Yan venait de sortir son premier album produit par Arnaud Rebotini, avec Tristesse Contemporaine, on l’avait croisé lors d’un de nos premiers concerts, y avait aussi La Femme ». Julien précise : « C’est pour ça que je l’ai appelé direct pour Le Fly ».
C’est bien évidemment à la même période qu’il croise le Mancunien David Shaw, connu aussi sous le nom de Siskid et DJ résident du défunt Pulp qui remixera Flash extrait de Le Danse. Autre lieu de la culture électro et dance, où tous les acteurs musicaux se croisent, la péniche Concorde avec les soirées R.E.S.P.E.C.T. où il rencontre Play Paul, DJ et producteur. « Je m’aperçois qu’il chante, et sa voix est super. Je lui ai envoyé un mot, comme à Jesse, dix ans après. Et voilà, ça s’est super bien passé. Il nous a envoyé des voix comme ça », se souvient Julien. Léo conclut : « Play Paul, David Shaw et Yan Wagner sont quand même plus connus comme producteurs que chanteurs. On a pris un grand plaisir à faire des featurings avec eux parce qu’on aime bien leur esthétique générale, mais aussi leurs voix. De toute façon, c’est la voix qui prime ».
« Nous ne sommes pas nostalgiques à la base. Nous ne vivons pas dans le passé, dans le délire “c’était mieux avant”. Si en tant qu’artiste et musicien, tu penses cela, autant faire autre chose. Je trouve que c’est mieux maintenant et ce sera encore mieux dans le futur. »
« Nous ne sommes pas nostalgiques à la base. Nous ne vivons pas dans le passé, dans le délire “c’était mieux avant”. Si en tant qu’artiste et musicien, tu penses cela, autant faire autre chose. Je trouve que c’est mieux maintenant et ce sera encore mieux dans le futur. »
Avec cet album très 90’s, tout ceci ne sentirait-il pas un peu la nostalgie ? « Nous ne sommes pas nostalgiques à la base. Nous ne vivons pas dans le passé, dans le délire « c’était mieux avant ». Si en tant qu’artiste et musicien, tu penses cela, autant faire autre chose. Je trouve que c’est mieux maintenant et ce sera encore mieux dans le futur. Il est vrai qu’il y a ce côté un peu référence, mais qui n’est pas un plagiat. De toute façon, on ne fera pas mieux que ce qu’ont fait les groupes qu’on aime et puis le son n’était pas le même », explique Léo. « Je vais te dire un truc, J’ai envie de faire deux ou trois morceaux quand même à l’ancienne, genre vraiment années 90. Là, ils sont en sous-marin, totalement inspirés des groupes qu’on adore. Ce sera une petite virgule pour Slove », nous dit Julien. Ils pensent d’ailleurs qu’il est nourrissant de regarder le passé pour comprendre comment la musique en est arrivée là, notamment en se penchant sur les productions de Laurent Garnier, Daft Punk, Justice, Ivan Smagghe…
Malgré l’évolution de l’industrie musicale avec un certain retour de l’analogique ces dernières années, et l’avènement du streaming et des réseaux sociaux, Slove reste attaché à la qualité. « C’est le fast-food, quoi. Comment dire ? La ligne entre artistes et influenceurs est très mince. Mais maintenant, ils font des bons burgers avec de la bonne musique », commente Julien. Cette évolution de l’industrie musicale a tout changé. « Maintenant, on se retrouve avec une sortie qui est en face de 10 000 autres dans la même semaine, ce qui est un autre problème. Dans le même temps, il y a beaucoup de gens qui peuvent maintenant faire un disque qui n’auraient jamais pu en faire avant et je trouve ça positif », précise Léo. « Moi, je dirais que la grosse évolution de la musique, c’est le mastering. Il y a 15 ans, c’était un art que très peu de gens pouvaient maîtriser. Le niveau général de mastering a progressé de 1000%. Et puis, la musique devient plus artistique que technique. C’est comme la photo, avant, c’était très technique. Maintenant, avec le digital, c’est devenu artistique », explique Julien. « Nous travaillons de manière complètement différente, même si on reste très digital. En effet, tu as raison Julien, c’est pareil pour le mastering et le mix. Ça a beaucoup évolué, mais globalement, c’est plus simple de faire un disque bien », précise Léo.

Avec leur propre label Cadette, Slove travaille sans pression et à leur propre rythme. Julien n’aime pas trop le live, ce qui, avec le grand nombre de featurings, serait difficile à organiser. Léo, lui, se concentre à faire du live avec ses projets qui sont plus adaptés à ce format.
En attendant, l’aventure discographique de Slove continue avec la sortie d’un remix de Special Places le titre avec David Shaw, réalisé par Damon Jee. Ce DJ et producteur originaire de Biarritz est réputé pour son style singulier, qualifié de Dark Disco. « Il a un style très précis. Cela fait plus de quinze ans qu’il fait ça. Il travaille avec Jennifer Cardini. Il est très discret, mais il fait quand même le tour du monde. C’est de la super musique de club. J’adore ses morceaux, nous lui avons demandé et le résultat est parfait », confie Léo.
Alors que nous arrêtons le magnéto, l’échange se poursuivra longuement. La passion de Julien et Léo pour la musique et leur volonté d’expérimenter se reflètent dans chaque note, chaque beat. Leur capacité à innover, tout en rendant hommage aux influences du passé est le témoignage de leur profond respect pour la musique.
Le Fly est disponible via Cadette/Believe.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture Laurent Fétis