MRCY, un nom tiré du mot « mercy » (miséricorde en anglais), incarne parfaitement la vision de Kojo Degraft-Johnson et Barney Lister : une quête de rédemption et de compassion dans un monde souvent difficile. En pleine tournée, lancée à Paris en mars dernier, ils reviennent sur la scène du Pitchfork Festival avant de s’attaquer à leur tournée au Royaume-Uni.

 

 

Dire qu’ils sont un peu fatigués serait un euphémisme, mais leur énergie, entre éclats de rire et moments d’intensité, est plus forte que jamais. Barney, en particulier, ne rate jamais une occasion de glisser une blague, ou de faire une pirouette en pleine interview, prouvant que la quête de miséricorde peut aussi se vivre avec un sourire malicieux et un esprit de jeu qui n’appartient qu’à lui !

Kojo résume bien leur rythme intense : « Les tournées sont fatigantes. Demain, nous sommes en Islande, puis on attaque la tournée britannique. On se repose ? Un peu. Un jour de repos par-ci, par-là. Et on enchaîne. Il faut que ce soit fait ».

 

Un lien fort avec Paris

Paris occupe une place spéciale dans leur parcours, puisque c’est là que MRCY a fait ses premiers pas scéniques.

Kojo se souvient : « Notre tout premier concert était à Paris. En fait, nous accompagnions Black Pumas dans leur tournée européenne ». C’était au Zenith plein à craquer que le duo font leurs débuts scéniques en tant que MRCY. Barney ajoute : « Oui, 5 000 personnes. C’était la première fois que je jouais de la basse devant un public, et pas n’importe lequel – 5 000 personnes. C’était fou, mais génial. Une expérience incroyable ».

 

De g. à dte. : Kojo, the Band, Barney @cafe de la danse © LFC

 

MRCY est l’alliance du Nord et du Sud, un subtil partnership constituant la richesse de leur musique

Barney est originaire d’Huddershield aux confins de Manchester, Leeds et Sheffield. « À la base, je suis batteur. Je jouais dans des groupes pour des événements, des fêtes, principalement pour gagner ma vie. Après l’université, J‘ai déménagé à Londres, où j’ai continué à jouer dans divers groupes tout en produisant autant de musique que possible par moi-même C’est ce que je voulais vraiment faire : créer, pas seulement jouer. Je ne voulais pas être juste un musicien de session, je voulais être un créateur. C’est toujours ce qui m’a motivé. La basse occupe pour moi une place centrale dans le groupe, et ça me semble plus naturel. De plus, j’aime être avec Kojo à l’avant. Mes amis sont étonnés que je ne joue pas de batterie, mais pour notre musique, la basse est plus instinctive pour moi. Je n’ai pas besoin de trop réfléchir comme pour la batterie, où j’ai tendance à trop analyser. « Play it Nice, Play it Simple. » » Voilà Barney en pleine création de slogan publicitaire.

Kojo, lui, puise son inspiration dans ses racines londoniennes et son éducation musicale entre différentes églises : « Quand j’étais enfant, je suivais ce que mes parents faisaient. J’allais dans l’église de ma mère, qui était presbytérienne, et dans l’église de mon père, plus traditionnelle. L’église de ma mère était beaucoup plus animée, bruyante, avec une musique intense, alors que celle de mon père était plus calme et chorale. Ces deux atmosphères m’ont beaucoup influencé musicalement, en élargissant mes goûts et en affinant mon oreille. J’ai grandi en écoutant des genres très variés, de la soul à des styles similaires, bien sûr, mais aussi de la musique acoustique, du folk, du jazz, et un peu de rock. Dans la voiture de mon père, tu pouvais entendre Stevie Wonder, puis Queen, Bob Marley, et The Carpenters. Il y avait une véritable diversité de sons. J’ai toujours été attirée par les voix, mais aussi par la diversité des sons et des instruments. J’ai chanté et joué avec pas mal de groupes. On faisait surtout des reprises. C’est souvent là que l’on gagne de l’argent en dehors de la musique originale, en jouant dans ces concerts. C’est un honneur, bien sûr, et ça m’a permis de gagner beaucoup d’expérience de live. Comme Barney, je suis allé à l’université aussi. J’étais à Canterbury Christchurch, dans le Kent, au sud-est de Londres. Mon expérience était un peu similaire à la sienne. Sur le plan musical, je n’ai pas forcément appris grand-chose à l’université, mais ça m’a donné la motivation de vraiment m’investir dans la musique. J’ai fait pas mal de petits jobs, mais j’allais aussi à des jams, des open mics, en essayant de me faire un réseau. Tout ça m’a permis d’acquérir l’expérience que j’ai aujourd’hui et cela m’a aidé à développer une grande ouverture musicale. Et c’est exactement ce qu’on a voulu faire avec notre premier EP : explorer les styles qui nous inspirent ».

Le passage de Barney à l’ICMP où a aussi étudié Nectar Woode ne lui laisse qu’une dette de 30 000 pounds. Barney : « Je n’ai pas vraiment aimé. Les cours n’étaient pas très intéressants, mais j’ai adoré l’atmosphère de Londres et j’ai rencontré des gens incroyables. Tu finis tes études, tu veux te lancer dans la musique, mais tu n’as aucune idée de comment gagner de l’argent, et tu as cette dette qui te pèse. Ce n’est pas facile. Mais c’est lorsque j’étais à l’ICMP que j’ai fait la connaissance de Steve, notre manager, grâce à des contacts de l’Université dans l’industrie. Ce n’était pas évident à l’époque, mais avec le recul, je vois que ça a été une bonne chose. Mais aujourd’hui, je suis heureux de faire ce que j’aime. Ça a payé, même si ça n’a pas toujours été simple ».

 

Le duo formé à Londres

Barney est avant tout un producteur, son studio est sa deuxième maison, produisant notamment Obongjayer, Celeste ou Olivia Dean. Les deux se rencontrent à Londres par l’intermédiaire de Steve, leur manager, qui a fait entendre la voix de Kojo à Barney. Ce fut immédiat. Tellement immédiat qu’il compose le jour même leur premier titre R.L.M, cotonneuse mélodie et allégorie du temps qui passe.

Directement inspirée de la Nothern Soul, de la Motown et des Sound Systems, Barney refuse l’appellation qu’on a pu leur donner. « Pour moi, la néo-soul, ce n’est pas ce qu’on fait. C’est un univers différent. Bien sûr, on aime ce genre, mais ce n’est pas ce qu’on cherche. On essaie de créer une nouvelle approche de la soul. Peut-être qu’on peut dire que c’est plus frais que nouveau. « fresh soul », ça sonne bien. C’est ça, notre musique est de la « fresh soul » » Barney, l’homme au slogan.

 

L’album en préparation et l’évolution musicale

« Je dois d’abord le terminer, et c’est en train de se faire. Le délai est assez serré, car on veut sortir la musique avant le milieu de l’année prochaine. On a vraiment envie de continuer à faire de la musique, de sortir des nouveaux morceaux régulièrement. C’est important pour nous de créer des choses qui plaisent à ceux qui écoutent notre musique, mais aussi pour nous, c’est nourrissant sur le plan spirituel », explique Barney.

Trois nouveaux titres, Fear, Sierra et Man, sont déjà testés en live. Kojo précise : « Ce sont vraiment mes préférés en ce moment. C’est amusant de tester ces nouveaux morceaux sur scène ».

 

© Ben Quinton

Une approche équilibrée entre studio et live

L’expérience live est fondamentale pour MRCY, mais ils tiennent aussi à ce que leurs enregistrements gardent une qualité propre.

Barney : « Pour le premier EP, les enregistrements sonnaient plus atmosphériques. Mais pour le prochain, j’espère qu’on trouvera un juste milieu. Je ne veux pas que nos disques sonnent comme des prises live. Il faut que la production soit moderne tout en capturant l’énergie du live. C’est un équilibre qu’on essaie de trouver. J’espère qu’on y est presque ».

Kojo : « Oui, je pense qu’on s’en rapproche. L’expérience live est toujours spéciale, et c’est quelque chose qui nous aide à affiner nos morceaux. Personnellement, j’aime aussi l’album. Quand une chanson de MRCY passe en mode aléatoire, je ne la saute jamais. Les disques sont spéciaux, mais comme Barney le dit, les live ont vraiment cette vibe atmosphérique. Les chansons évoluent, et ça va continuer à se faire naturellement. Les chansons restent vivantes ».

Barney : « Oui, c’est ça. Pour nous, l’essentiel, c’est que tout le monde dans le groupe a été choisi avec soin. Chaque membre apporte quelque chose de spécial. C’est ce qui rend le groupe unique. Parce que quand j’écoute un album que j’aime et que le concert ne suit pas, cela ruine le disque. Mais avec nous, je pense que c’est l’inverse. Les gens écoutent notre musique, viennent nous voir en concert et pensent « c’est encore mieux en live ». C’est ça, l’objectif. C’est vraiment ce qui fait la force de notre groupe ».

Bel exemple de leurs propos, cette vidéo live enregistrée à The Mildmay Club où les titres prennent une autre dimension. Barney : « Absolument, je suis d’accord. Jouer en live et notamment lors de l’enregistrement de cette vidéo a vraiment influencé le prochain album. On a voulu que l’album ait une vibe live, un son plus vivant. Harry, notre violoniste, a arrangé les cordes pour l’album. C’est lui qui a fait ça, et c’est pour ça que les arrangements sonnent si bien. Il est vraiment talentueux, tout comme le reste du groupe. Je pense qu’on a le meilleur groupe possible. Ils nous font sonner bien, mais c’est réciproque. On se complète, chacun a sa chance de briller, et on joue parce qu’on aime la musique. L’atmosphère dans le groupe est géniale. Et je pense que cette énergie des concerts a été cruciale pour cet album. C’est vraiment excitant de voir où ça nous mène. Oui, vraiment excitant ».

 

Le choix de Dead Oceans et l’ambition internationale

Leur label, Dead Oceans (Aaron Frazer, Durand Jones, Khruangbin…) semble leur correspondre parfaitement, offrant une liberté artistique qui leur permet de rester fidèles à leur vision musicale.

Kojo : « En fait, notre manager, Steve, connaissait Adam, qui est maintenant notre A&R. On l’a rencontré et lui a fait écouter quelques morceaux de notre album, dès le début du processus du Volume 1. C’était le début de la discussion avant que… »

Barney : « …qu’on commence à « danser » ».

Kojo : « Exactement. On parlait du label avec lequel on rêverait de travailler, et Dead Oceans est venu rapidement dans la conversation. Ils semblaient vraiment comprendre notre vibe et étaient enthousiastes à l’idée de ce qu’on faisait ».

Barney : « On a parlé de dub, reggae, soul… Ces genres sont à la base de notre son, avec une touche psychédélique. On a aussi évoqué nos origines, moi du nord de l’Angleterre et Kojo du sud, influencés par la northern soul et la culture des Sound Systems ».

Kojo : « Oui, ils ont vraiment accroché. Phil, le directeur du label, nous a dit au téléphone : « J’adore, c’est exactement ce qu’on cherche ». Ils ont été super réceptifs et nous ont soutenus dès le début ».

Barney : « Travailler avec eux, c’est comme si tout se mettait en place. Ils ont compris notre musique, et en plus, on n’est pas sur une major, ce qui nous donne plus de liberté ».

Kojo : « Oui, c’est ça. On est contents, ça nous permet de respirer . C’est vraiment parfait ».

 

La direction visuelle : un reflet de leurs racines et de l’IA

Leur identité visuelle, développée avec le directeur créatif Harris Elliot, s’inspire de leurs racines britanniques et africaines, et inclut des éléments symboliques comme les mains et les totems, mêlant humain et digital.

Kojo : « On travaille avec Harris Elliot, notre directeur de la création, qui est génial. On parlait de nos racines, de notre éducation britannique, mais aussi de mes origines africaines. Les mains et les totems nous ont paru vraiment proches de ce que nous voulions exprimer. Il y a quelque chose de symbolique dans ces formes ».

Barney : « C’est l’unité. Et il y a aussi un côté numérique, avec tout ce qui est généré par l’IA. Ça fait écho à notre son, entre soul et électronique. Tout se rejoint avec les mains, tu vois ? Ça vient de là les mains, c’est quelque chose de très humain. Une connexion. Ça représente l’expérience humaine ».

Kojo : « Ces symboles sont ouverts à l’interprétation, c’est ce qui les rend intéressants ».

Barney : « Et en y réfléchissant, il y a quelque chose de très « cœur » dans ces images. Si tu les regardes bien, certaines formes ressemblent à des cœurs. C’est une autre dimension qu’on a intégrée sans vraiment y penser au départ ».

Kojo : « Oui, le hasard a sa propre beauté. La vie, c’est un peu ça, non ? »

Barney : « C’est tellement vrai. C’est ce que je dis tout le temps. Voilà, on garde cette idée. Elle est tellement puissante ».

 

Vers de nouveaux horizons

Après la pause des fêtes, le duo reprendra le chemin de la scène avec une performance à l’Eurosonic Festival aux Pays-Bas, poursuivant leur rêve de jouer à Glastonbury.

Kojo : « On a vraiment hâte. Notre objectif à long terme, c’est de jouer à Glastonbury ».

Barney : « Oui, exactement. On rêve de jouer sur la scène Park de Glastonbury, c’est vraiment un gros objectif pour nous. Et Eurosonic, si tout va bien, pourrait être une bonne opportunité pour nous ».

Kojo : « C’est un rêve, vraiment ».

Barney : « On croise les doigts ».

Nous voilà à comparer nos méthodes de croisement de doigts, Kojo trouvant bizarre de notre façon de le faire.

 

Art cover

Les textes : entre réalité et espoir

Pour MRCY, les paroles de leurs chansons sont un reflet de leurs vies et des thèmes universels comme l’amour, le chagrin, et la réalité parfois difficile de notre monde.

Kojo : « On écrit toutes nos chansons ensemble, et tout ce qu’on aborde est quelque chose qui nous touche directement ou qui peut résonner avec d’autres. Sur Volume 1, les thèmes principaux sont l’amour, le chagrin d’amour, bien sûr, mais aussi notre environnement à Londres et la manière dont le monde semble de plus en plus incertain. C’est difficile de s’y retrouver parfois. Le son de l’album est plutôt positif ».

Barney : « Exactement, c’est aussi une façon de dire qu’on doit se réjouir d’être là, malgré tout. Personnellement, je ressens souvent comme une lutte intérieure : je ne suis pas heureux, je ne suis pas satisfait, il y a toujours un problème. Mais pour avancer, il faut célébrer d’être en vie ».

Kojo : « Oui, c’est ça. Toujours essayer de voir le positif ».

Barney : « Mais dans certaines chansons, comme Fear (nouveau titre qui ouvre le set, NDLA), on exprime aussi plus de colère. Je suis en colère, tu sais, contre le monde. C’est important de parler de ça. Beaucoup d’artistes ont peur de le faire, mais on doit le dire. On essaie de le faire sans que ça devienne un prêche. C’est un équilibre délicat, mais je pense qu’on l’a trouvé sur Fear, non ? »

Kojo : « Absolument, j’adore Fear. C’est l’une de mes préférées ».

Il faudra donc attendre quelque peu avant d’entendre la version studio de ce nouveau titre.

Avec MRCY, Kojo et Barney réinventent les codes de la soul en y insufflant une fraîcheur et une sincérité singulières. Leur énergie contagieuse et leur complicité naturelle rappellent que MRCY est bien plus qu’un projet musical : c’est une invitation à la connexion, à la compréhension et à la compassion.

 

Volume 1 est disponible (en streaming et physique) via Dead Oceans/Secretly Group.

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture Ben Quinton