Nectar Woode, Londres, novembre 2024. Aux légendaires studios RAK, un rendez-vous avec une artiste en pleine ascension. Vêtue d’un jean et d’un tee-shirt simple, Nectar s’assoit face à nous, à l’aise et souriante. « Tenue de studio », précise-t-elle. Derrière son naturel, une force intérieure indéniable. À l’aube de Head Above The Water, son nouvel EP et avec une nouvelle date parisienne, nous entamons notre échange.

 

 

 

L’artiste avait déjà posé ses valises sur scène à Paris, au Pop Up du label, en mars dernier, un souvenir marquant : « C’était mon premier concert à Paris. J’étais seule avec ma guitare dans une salle à guichets fermés. J’ai eu un moment de doute avant de monter sur scène : est-ce que le son serait assez fort ? Est-ce que les gens allaient apprécier ? Mais une fois que c’était lancé, c’était incroyable. Le public français est si attentif ; ils écoutent vraiment chaque mot, chaque nuance. Ça m’a vraiment touchée. » Nectar semble à l’aise dans ce partage. Pour elle, les paroles comptent énormément, chaque mot a du sens. « Quand j’écoute une chanson, j’ai besoin de connaître l’histoire derrière. Je veux savoir dans quelles circonstances elle a été écrite, ce qui a poussé l’artiste à poser ces mots-là. Ça m’aide à m’imaginer l’image entière, et c’est ce que j’essaie de transmettre dans mes propres morceaux. »

La naissance de sa passion pour la musique

Née dans une famille où l’art était au cœur du foyer, Nectar fut bercée pendant son enfance par la musique. À 15 ans, elle apprend la guitare en autodidacte. Mais rapidement, elle veut comprendre plus en profondeur, se former. Elle rejoint alors l’ICMP, The Institute of Contemporary Music Performance à Londres, où elle étudie la musique populaire. « Ce n’était peut-être pas la meilleure formation possible, mais j’y ai rencontré des gens formidables. Grâce aux jams et à la scène jazz en plein essor à Londres, j’ai découvert des artistes comme D’Angelo et plein d’autres styles qui m’ont enrichie. » L’envie de se connecter aux autres musiciens, d’échanger et de s’imprégner de l’énergie collective était déjà là.

 

©️ Jelani Pomell

Ses débuts dans l’industrie musicale

« Après mes études, j’ai fait des chœurs pour d’autres artistes, puis j’ai commencé à écrire avec Dom Valentino, un producteur. Ça m’a vraiment aidée à me lancer et à trouver mon propre style. » Elle se souvient avec un sourire : « Au début, j’étais terrifiée à l’idée de sortir mes chansons. Je suis une perfectionniste, je trouve toujours que rien n’est assez bien. Mais mes managers, Thomas et Charlie, m’ont encouragée, ils m’ont dit que le monde avait besoin d’entendre ce que je faisais. C’est comme ça que Waiting et For the Best sont nés (ses deux premiers singles autoproduits, NDLA). » L’accueil positif du public l’a poussée à continuer et à collaborer avec des producteurs comme Bad Sounds, notamment sur Good Vibrations, qui l’a fait exploser.

L’évolution avec Communion Records

Signer avec Communion Records a marqué un tournant. « J’ai sorti mon premier EP, Nothing to Lose, avec eux, et ça a été un tel bonheur que j’ai tout de suite voulu recommencer. » Nectar est prolifique, toujours inspirée. « J’ai énormément de chansons. Pour moi, chaque concert est une nouvelle expérience où je teste parfois des morceaux que je n’ai pas encore enregistrés. Ainsi, lors du concert à Paris, j’ai joué When the Rain Stops. Personne ne l’a entendue en Angleterre et de plus je n’ai pas l’intention de sortir cette chanson. » Jouer ses compositions devant un public lui permet d’en continuer leur exploration. « J’adore expérimenter et me sentir libre sur scène. »

 

Le processus créatif derrière Head above Water

Si Nothing to Lose représentait une période où elle se découvrait en musique, Head Over The Water est l’EP de la maturité. « C’est une excellente analogie. Le premier EP, c’était un peu l’excitation de la nouveauté, une envie de tout donner sans trop réfléchir. Cette fois-ci, j’ai voulu être encore plus honnête avec moi-même et mon public. Ma vie n’a pas été simple ces derniers temps. Je me suis dit : « Nectar, tu dois être honnête avec ton public. Tu dois leur dire que parfois, la vie est merdique ». Ca m’a poussée à écrire d’une façon plus mature. »

L’esthétique visuelle a également évolué : « Pour ce projet, j’ai voulu quelque chose de super lumineux, des couleurs vives. Le vinyle est jaune J’adore les vinyles. Nothing to Lose, c’était plutôt une ambiance vintage des années 70, qui m’influencent beaucoup. » Avec Head Over The Water, elle mêle son amour du vintage à des visuels résolument modernes.

Créer avec le cœur et l’instant : la genèse de Head Above Water

L’année dernière, Nectar a traversé une rupture amoureuse difficile, qui a imprégné son écriture. « Quand j’écrivais Good Vibrations, j’étais censée être heureuse, mais en réalité, ça n’allait pas du tout. Je ne le disais à personne, même pas au producteur avec qui je travaillais. Je suis gémeaux. Et conformément à mon signe astrologique, je ne dis pas aux gens ce que je ressens. Je me contentais de demander au producteur de me donner le micro et j’y mettais toute ma douleur. C’était comme une thérapie. » Elle explique que cette catharsis a façonné l’EP, notamment le titre Grow, qui symbolise le processus de guérison. « J’avais toutes les chansons de l’EP, sauf Grow. À la première session avec Jez Ashurst, j’ai été honnête sur ma rupture. Ce moment de sincérité a rendu Grow spécial, différent de ce que j’écris d’habitude. En rentrant chez moi, j’ai pleuré en le réécoutant, c’était comme une séance de thérapie. Tout s’est aligné. En avril, j’ai compris : « OK, l’EP est complet, tout a du sens ». »

« Head Above Water se trouve entre tout ça, un peu un mélange de Grow et de ce que j’ai vécu. C’est pour ça que j’ai choisi ce titre pour l’EP : il incite à réfléchir. Si j’avais choisi Grow, ça aurait été trop évident. J’espère que les gens prendront le temps de creuser, au-delà de ce qui saute aux yeux dans les réseaux sociaux, et d’explorer la profondeur de Head Above Water. »

 

©️ Jannell Adufo

 

« J’écris souvent seule, en enregistrant des notes vocales pour ensuite construire la chanson. Pour la chanson Head Above Water, j’étais venue avec une progression d’accords jazz que j’aimais bien. C’était aussi ma première session avec Daniel Hylton, le producteur, et je lui ai apporté ce petit squelette de chanson. Juste avant, j’avais assisté à un concert de trois heures de musique soul, c’était intense ! Alors j’ai demandé : « Est-ce que je peux juste m’exprimer librement, crier dans le micro ? » La session a duré six heures, dont quatre passées à discuter. C’est de là que tout est parti. On a évoqué la sensation d’être submergé, de se sentir comme un simple numéro au milieu de la foule, comme dans une gare bondée aux heures de pointe. Cette idée d’isolement au milieu de la foule est devenue le concept de la chanson. »

« On a ensuite collaboré avec Martin Luke Brown pour peaufiner les paroles, et j’ai chanté avec un micro vintage, ce qui a donné une texture spéciale. Matt Zara s’est ensuite chargé du mix, découpant et assemblant le tout pour en faire Head Above Water. J’aime ces processus créatifs, chacun unique, chacun nécessaire pour arriver au plus vrai de ma musique. Pour moi, la sincérité se ressent à travers chaque note de ce second EP. J’ai l’impression de m’être débarrassée de ma peau. Chaque morceau de l’EP raconte une étape de ce parcours émotionnel. »

Sur l’EP, le lumineux premier single 30 Degrees garde une place spéciale, un morceau que Nectar avait écrit avant sa rupture amoureuse. « J’aime toujours qu’une chanson d’un projet ait une couleur un peu différente du reste. Je voulais qu’elle conserve une bonne vibe, mais avec un rythme plus enjoué, tu vois. Une chanson que tu pourrais écouter en roulant, c’est ce que je voulais. Je suis vraiment contente d’avoir gardé 30 Degrees. »

 

 

La vraie surprise de l’EP reste cependant Tell a Little Lie, une perle R&B. « C’est Dom Valentino, le premier producteur avec qui j’ai travaillé, qui a coécrit ce morceau avec moi. Dom vient de la scène hip-hop et R&B, et il fait pas mal de musique électronique. En studio, il expérimente beaucoup avec des samples et s’enflamme sur les percussions. Il se lâche complètement. » Elle se remémore l’atmosphère du studio avec un sourire : « Dom connaissait mon ex-partenaire, mais il ignorait tout de ma rupture. Je lui ai juste dit : « Imagine quand tu veux dire un petit mensonge pour ne pas te sentir mal, mais tu décides quand même de le dire ». Il m’a répondu : « Ouais, je connais bien cette sensation ». On a commencé à échanger plein d’idées, et c’est comme ça que la chanson est née. J’adore ce morceau. Il change tellement de ce que j’ai pu faire auparavant. C’est la troisième chanson de l’EP, et après 30 Degrees, j’avais envie que l’auditeur soit vraiment surpris par quelque chose de totalement différent en milieu de tracklist. Je crois que personne, en écoutant mon premier EP, ne s’attendait à ce que je sorte un titre comme Tell a Little Lie. »

Un groupe exclusivement féminin pour Paris

« Je commence ma tournée européenne à Leeds, puis je vais à Glasgow, avant de redescendre à Londres. » Mais elle n’oublie pas ses amis en chemin. Elle fera la première partie de MRCY au Jazz Café de Londres le 14 novembre : « C’est une salle mythique où de grands artistes se sont produits. Je vais soutenir mon ami Kojo Degraft-Johnson, le chanteur de MRCY. On va jouer ensemble à Manchester, Leeds, et Londres. »

Puis, le 10 décembre, ce sera au tour de Paris de l’accueillir. « Paris, c’est spécial ! Pour cette date, j’aurai un groupe entièrement féminin. Ces musiciennes sont incroyables, c’est inspirant de travailler avec elles. En grandissant, je n’ai pas vu beaucoup de femmes instrumentistes, même si cela change peu à peu. Maintenant, je peux apprendre d’elles. » Elle s’enthousiasme en racontant : « J’ai rencontré Alley (Lloyd), la bassiste, lors d’un concert de jazz cubain. Amy (Jaggs, aux claviers) vient de sortir diplômée de la School of Music & Drama Guildhall, elle est calée en théorie jazz. Et Jaleesa (Gemerts), notre batteuse R&B, apporte un groove exceptionnel. Elles sont toutes brillantes et ça fonctionne vraiment bien ensemble. On a déjà répété, mais il reste encore quelques séances. Tu sais que je suis perfectionniste, je veux que tout soit parfait. J’ai tellement hâte ! »

Paris retrouvera donc Nectar Woode avec sa formation, déjà applaudie cet été au Festival de Jazz de la Défense. Pour les autres dates européennes – Berlin, Varsovie – elle se produira seule avec sa guitare : « Je n’ai jamais été dans ces villes, mais j’ai très envie de jouer pour ceux qui aiment ma musique. »

 

Réseaux sociaux et musique : Connecter les points entre l’artiste et ses chansons

Consciente des défis de l’industrie, Nectar reconnaît l’importance des réseaux sociaux pour toucher un large public : « C’est un devoir pour nous, artistes, le seul moyen pour que les gens découvrent les artistes et la musique derrière leurs playlists. Aujourd’hui, les gens découvrent la musique via les playlists, les magasins comme Tesco, les réseaux sociaux. Ça me permet de montrer que je suis la personne derrière Good Vibrations, et c’est à nous de faire le lien, de montrer que nous sommes derrière ces chansons. Je veux que mon contenu reste authentique, organique, fidèle à moi-même ».

Mais au-delà du digital, elle chérit des valeurs plus anciennes, elle qui se souvient avec émotion de la découverte des albums physiques : « Je fais partie de la dernière génération CD. Mon premier a été celui de Christina Aguilera, son premier album. Et je me souviens l’avoir écouté en boucle, du début à la fin, dans la voiture. c’est une expérience unique. Les paroles, les images, tout était un voyage. »

« Je parlais justement à Jonathan, le producteur, de New Music Friday. Il y a tellement de musique qui sort chaque jour qu’on a l’impression qu’il y a une sorte de brouhaha. Les artistes que je respecte aujourd’hui sont ceux qui parviennent à créer une véritable culture autour de leur musique, ceux qui bâtissent un univers à part. Et c’est exactement ce qu’on veut : faire partie de ce groupe. C’est une bonne chose, car ça rappelle un peu l’esprit des années 90, quand il y avait ces sortes de « familles«  autour des artistes. Et cet esprit existe encore aujourd’hui. Puis, TikTok joue un rôle important dans le maintien de cette culture, avec tous ces sons qui deviennent viraux. Tout ça a évolué d’une manière complètement différente. »

 

©️ Jannell Adufo

Être une femme dans l’industrie musicale aujourd’hui : un choix inspirant

« Je me sens vraiment bien dans ma peau. En toute honnêteté, je préfère de loin être une femme dans l’industrie aujourd’hui, en 2024, plutôt que dans les années 70, même s’il y avait de grandes stars féminines à cette époque. Aujourd’hui, l’industrie vous apprend à être forte. C’est quelque chose avec laquelle je continue à grandir. Bien sûr, il y a encore des progrès à faire pour les femmes dans l’industrie, surtout pour les productrices qui sont toujours sous-estimées, simplement parce qu’elles sont encore trop rares. »

« Malheureusement, il n’y a pas assez de soutien pour encourager davantage de femmes à entrer dans la production ou à devenir musiciennes. Mais personnellement, avec mon groupe exclusivement féminin, mon objectif est de faire en sorte qu’une jeune fille vienne à notre concert et se dise : « Waouh, je veux apprendre à jouer de la guitare ! » J’aimerais qu’elle soit inspirée par le fait de voir des filles en train de déchirer sur scène, et qu’elle ait envie de jouer comme elles. Moi, c’est ainsi que j’ai découvert la guitare. C’était en voyant Lauryn Hill sur MTV Unplugged. Elle jouait de la guitare d’une manière très unique. Elle n’était pas vraiment guitariste, mais il y avait une telle émotion dans sa manière de jouer que ça m’a poussée à vouloir faire pareil. Je ne vais pas mentir : je préfère largement être une femme qu’un homme dans l’industrie. »

 

Mode, créativité et héritage familial

« J’ai toujours baigné dans l’univers de la mode. Ma mère, qui travaillait dans ce milieu, dessinait des croquis et des modèles. Ça m’a permis d’être très créative dès petite. Je me souviens lui dire : « Maman, je veux m’habiller comme ça, je veux cette robe ! » Et elle me répondait toujours : « Pas de problème ! » Quand je fais un concert, je m’amuse aussi à m’habiller un peu. »

« Ma mère, elle, aime quand je m’habille de façon audacieuse, un peu folle. Moi, je suis plus simple, j’aime les couleurs neutres, un peu de sobriété, parfois un foulard. Grandir dans un environnement créatif, c’était une vraie libération. Il n’y avait pas de pression, pas de jugement. On faisait ce qu’on voulait, et c’était ça qui était génial.
Mon père, lui, était plus concentré sur la musique. Il me disait souvent : « Continue à apprendre la guitare ! » Il est assez exigeant musicalement, car c’est un mélomane, il joue du saxophone et a l’oreille fine. Mais c’est ma mère qui m’a le plus inspirée, surtout par son éthique de travail. L’industrie de la mode est impitoyable, je pense même que c’est plus difficile que la musique. Je la voyais aller et venir de Londres, épuisée, mais toujours déterminée à créer, dessiner, à rester à la pointe de la mode. Son travail m’a vraiment motivée. Ma famille, dans son ensemble, m’a appris l’importance d’avoir un objectif, de toujours aller de l’avant. C’est l’héritage d’une maison créative. »

 

©️ Jannell Adufo

 

« Quant aux designers que j’admire, il y en a une nouvelle qui s’appelle Ahluwalia. C’est une styliste anglaise vraiment cool, qui mêle des influences d’Afrique de l’Ouest dans ses créations. Et comme je suis d’origine ouest-africaine, cela m’a particulièrement parlé. Mon père est ghanéen et ma mère est anglaise, ce qui donne un foyer particulièrement dynamique et inspirant. »

Nectar Woode incarne à la fois la douceur et la détermination. À travers ses mots, son parcours et sa musique, elle dévoile un univers où la sincérité, l’émotion et l’influence de ses racines se mêlent pour créer une œuvre humaine et authentique. Son message est clair : il n’y a pas de limite à ce que l’on peut accomplir lorsque l’on reste fidèle à soi-même. Head Over The Water, témoigne d’une maturité nouvelle, d’une introspection profonde et d’une connexion intime avec son public. Nectar Woode est bien partie pour écrire encore de nombreux chapitres dans sa carrière avec passion, talent et une détermination incontestable.

 

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture Jannell Adufo

Head Above Water est disponible via Abena’s Nectarines/Communion Records.

En concert à Paris (la Boule Noire) le 10 décembre 2024.