Un soir de pluie à Paris, dans un studio de répétition, La Femme prépare sa prochaine tournée aux États-Unis. Nous entrons au son de Sweet Babe, et une surprise les attend : la présence de Patrick Vidal, Sound Designer-DJ et ex-leader du groupe de new wave et mutant disco, Marie et les Garçons formé en 1976. Si cette rencontre peut sembler inattendue, elle repose sur deux points communs. D’une part, avant de s’appeler Marie et les Garçons, son groupe se nommait Femme Fatale. D’autre part, Marlon Magnée et Sacha Got citent régulièrement Marie et les Garçons comme une référence et une influence majeure. Long entretien croisé.
Nous commençons par égrener les souvenirs et les anecdotes. Le duo fondateur a rencontré Patrick Vidal pour la première fois en 2014, lors d’une soirée Calvin Klein où ils jouaient. Depuis, ils ne cessent de se croiser sur les plateaux ou dans les médias. Patrick a même partagé la scène avec eux au Trianon, et lors d’une invitation d’Étienne Daho, également fan de Marie et les Garçons, à la Cité de la Musique, où ils ont interprété ensemble Rien à dire de Marie et les Garçons. Un souvenir plutôt amusant : « Ils affichaient les noms des groupes comme sur une tombe. C’était beau, mais… très sombre, un peu épitaphe », nous explique Patrick. « C’était drôle, on s’est bien marrés », ajoute Marlon. « Mais bon, c’était beau, bien scénarisé, mais un peu sinistre », précise-t-il. « On aurait dû jouer Re-bop », continue-t-il, en référence à ce titre emblématique de Marie et les Garçons avec ses paroles répétées à l’infini. Marlon conclut en riant : « C’est comme notre morceau anti-taxi, avec Prends le bus, qu’on répète en boucle. Un jour, un mec complètement bourré à Bayonne m’a dit : “Je la connais par cœur, ta chanson anti-taxi, Prends le bus” ». Il était tellement sérieux, même pas de second degré, vraiment sérieux ».
Rock Machine : un album audacieux aux accents multiples
Une parfaite introduction pour évoquer Rock Machine, le nouvel album de La Femme qui sort cette semaine. Patrick Vidal commente : « Il y a des trucs hallucinants dans cet album. I Believe in Rock’n’Roll est incroyable. Ça me fait vraiment penser aux albums de Noël de Slade et Status Quo, avec un peu de Joan Jett (dont on reconnait le riff en fin de morceau, NDLA). J’ai même dit à Lionel : « Si tu mets des paroles de Noël sur cette mélodie, c’est numéro un assuré ».
Rock Machine est un album entièrement enregistré en anglais. Marlon explique : « Nos albums suivent des thèmes, pas des langues. Il se trouve qu’on a commencé avec un thème hawaïen, mais ce n’était pas une langue. Pour les prochains, ce sera encore des thèmes, mais pas des langues ». Sacha ajoute : « Enfin, peut-être en italien, ça c’est sûr ». Marlon poursuit : « On aimerait aussi faire quelque chose d’asiatique, un peu vietnamien et japonais, ce serait cool. Et en chinois aussi. D’ailleurs, j’avais fait un morceau en chinois il y a longtemps, enfin, en français que je voulais adapter. C’était un slow, un peu comme les slows des années 60, tu vois. Ça parlait d’un Chinois solitaire qui pleurait parce qu’il n’y avait pas assez de femmes en Chine, donc il ne pouvait pas se marier. Puis ça basculait sur la politique de l’enfant unique, et là je me suis dit : “Putain, je vais peut-être avoir des problèmes en Chine” ».
Patrick Vidal : « La direction artistique de cet album est beaucoup plus dans l’énergie ». Sacha : « Elle est née des morceaux eux-mêmes, elle s’est imposée d’elle-même. On n’a pas décidé de faire un album qui s’appellerait Rock Machine, avec du rock et des machines, des synthés ». Marlon : « Il y avait des morceaux en anglais, avec des machines et des synthés, et peu à peu, c’est devenu la tendance de l’album. On trouvait ça drôle, avec ce côté un peu second degré américain, genre épique Catch, Rock Machine. D’ailleurs, l’idée est venue à Sacha à Goa, à 7h du matin, après une soirée trance. Il m’a dit : “Ouais, Rock Machine, tu vois” ». Sacha : « C’est un peu comme une direction artistique de pub ». Marlon : « Tu l’imagines dire : “Ok, Rock 99, et là… ‘Rock Machine’. La nouvelle campagne, avec une fille et une guitare. Ça me fait penser à Zoolander, quand Mugatu décide d’appeler sa nouvelle collection, composée de robes en sacs-poubelle et de tenues en carton, Derelicte ».
Alors que cette discussion ne fait que commencer, Marlon nous remet le CD fraichement arrivé, nous en profitons pour l’examiner attentivement.
Patrick : « Ces looks vont être vos looks ou c’est juste une question stylistique pour la tournée ? » Marlon : « Oui et non, mais ça va être ça, à peu près, les looks de la tournée ». Patrick : « Billy Idol n’est pas loin, quand même ». Marlon : « Ouais, j’ai endossé le truc, quoi ». En feuilletant le livret, on découvre une illustration incroyable. Marlon : « C‘est Glenn Fabry (dessinateur de comics britannique, NDLR) qui a fait l’illustration. Ça devait être la pochette d’album. Mais finalement, on ne l’a pas pris. Mais j’aime bien la guitare qu’il a faite ».
Patrick : « Vous vous mettez direct sous le feu de la critique rock qui va sans doute vous tomber dessus ». Marlon : « Oh, la critique Rock and Folk, là, j’ai hâte de voir ça, quoi. Dans l’image de l’album, il y a un côté un peu bourrin, mais drôle ». Sacha : « Mais c’est du second degré, en fait. C’est à la fois moche et beau, en fait ». Patrick : «I Believe in Rock’n’Roll, c’est super culotté de faire ce morceau ». Marlon : « D’ailleurs, on a failli appeler l’album comme ça ». Sacha : « Après, c’est notre religion, en fait, pour de vrai ». Marlon : « Mon truc, c’est une guitare, une basse, une batterie, des copains, tu vois ».
Les collaborations inattendues de La Femme
Il est vrai qu’en quinze ans de carrière en 2025, ce n’est pas l’étiquette qu’on mettrait d’emblée sur la musique du groupe. Sacha : « Ouais, il y a des trucs, quand même. Ça dépend des morceaux, mais il y en a quand même pas mal qui ressemblent à des trucs qu’on a déjà fait. Les morceaux un peu cold wave, genre White Night, Ciao Paris, aussi, avec le côté sixties. Mais il est vrai qu’on est un peu partis dans tous les sens ».
Un album hommage au rock, efficace et intemporel qui comporte déjà trois extraits : Ciao Paris, Clover Paradise et Love is Over avec pas mal de guests. Marlon : « Il y a Josh Landau, des groupes The Shrines et Stolen Nova, qui joue de la guitare sur Clover Paradise ». Sacha : « Le compositeur William Lyons à la cornemuse sur Amazing ». Marlon : « On a également Dan Lyons, l’ancien batteur des Fat White Family, qui chante avec moi sur Love Is Over et Clover Paradise ». Sacha : « Et pas mal de chanteuses : Stella Le Page, Reni Lane, Freya Warsi… » Patrick, en feuilletant le livret : « Comment les avez-vous trouvées ? » Marlon : « Ce sont souvent des amies, en fait ». Sacha : « Elles sont Américaines ou Anglaises, surtout pour avoir les bons accents. Tant qu’à faire ! C’est déjà assez compliqué avec nous, alors on n’allait pas se compliquer encore plus la tâche ».
Patrick Vidal : « Et cette obsession de faire un accent français super exagéré, il est vraiment poussé ». Sacha : « L’accent… Franchement, on a essayé de le travailler. Ça dépend des morceaux. Mais sur des phrases comme “make you eat”, tu vois, c’est difficile de bien le rendre ». Patrick Vidal : « Il y a aussi Ciao Paris, c’est trop drôle ». Marlon : « On est vraiment allés à fond sur l’accent français sur certains morceaux, c’était fun ». Sacha : « Par contre, sur des titres comme Clover Paradise, on a essayé de sonner le plus américain possible. On se disait que ce morceau devait avoir un son sérieux, comme quand tu écoutes Blue Monday de New Order ou du Billy Idol ». Marlon : « Love Is Over, aussi. On a vraiment cherché à sonner au maximum. Et sur White Night, le thème et la direction artistique étaient plus proches d’une comédie musicale anglaise, avec des accents très marqués, presque maniérés, et des expressions théâtrales ». Patrick Vidal : «Love Is Over est très pop anglaise ». Marlon : « Mais Clover Paradise me fait plus penser à l’Amérique. Le solo, ce côté épique… Tu t’imagines traverser la Route 66 dans un gros camion en écoutant ça à fond ». Patrick Vidal : « C’est vrai. Et ça renoue avec une tradition de pop anglaise qu’on n’a pas entendue depuis longtemps ».
Un album où l’on renoue avec les solos, notamment sur Clover Paradise, deuxième single de l’album. Marlon précise : « Il y a plein de solos. À la fin, on a même enregistré un sax au cas où, et c’était dingue. Il y a aussi les deux solos de guitare de Josh Landau juste avant. Solo de saxe qu’on retrouve aussi sur Sweet Baby ». Le saxophone est joué par Patrick Bourgoin : « Il a fait toutes les grosses sessions des années 70 et 80. Il a joué avec Stevie Wonder, Duran Duran… C’est le saxophoniste rock des années 70 et 80. C’était la première fois qu’on mettait du sax dans nos albums. C’est un instrument tellement dur à placer parce que ça peut vite virer au ‘cheesy’. On en a tellement entendu dans les années 80 que ça peut paraître un peu ringard, mais là, je trouve que c’était cool, bien placé », conclut Marlon.
Sacha et Marlon ne cessent de composer, empilant les morceaux dans leurs disques durs, piochant à chaque album dans ce stock. Marlon : « On avait déjà les trois quarts, écrits sur les dix dernières années. Vénus, par exemple, il a été écrit pendant Psycho Tropical Berlin. Et j’imaginais des paroles en anglais. Mais après, on n’avait pas le niveau, on n’avait pas le truc. On a attendu et puis là, on l’a ressorti. Yeah Baby, Waiting in the Dark, ça date de 2017-2018. En fait, ce sont des morceaux qu’on a écrits sur le chemin. Et on en avait une quarantaine. On a sélectionné une quinzaine. On a dit, vas-y, on part là-dessus. On essaie de prendre les meilleurs globalement ». Sacha : « Là, l’unité, c’était l’anglais. Cela en a enlevé une grosse partie. Et après, il y a eu plusieurs facteurs. Déjà, on essaie de mettre les gros tubes ». Sacha : « L’état d’avancement des morceaux, surtout si ce ne sont que des maquettes. Mais parfois, ça peut être une maquette toute pourrie sur laquelle on voit direct le potentiel. Donc, on va se bouger le cul et y aller. Et parfois, on va se dire, que ce n’est pas assez abouti. Alors on attend. Mais c’est un vrai dialogue entre nous ».
Réinventer les styles
Marlon poursuit : «Sweet Babe, c’est intéressant parce qu’au final, il en est ressorti un côté rockabilly. L’idée, à la base, me trottait dans la tête depuis longtemps, et on l’a un peu concrétisée. Mais je pense qu’on peut aller encore plus loin. Ce que je voulais, c’était créer un nouveau son rockabilly, comme celui des années 60, puis celui des années 80 avec des groupes comme les Stray Cats ou les Polecats. Dans les années 80, on avait ces réverbérations plus marquées, et même des synthés chez les Polecats. J’ai trouvé ça intéressant de réinterpréter tout ça. Ce qui est intéressant sur Sweet Babe, c’est qu’on a remplacé les rythmiques de contrebasse électro par des synthés, avec un shuffle en ternaire. Ça rappelle le rockabilly, mais avec des synthés, ce qui donne quelque chose de complètement différent ». Le sax arrive à la fin du morceau, de manière très élégante. «Sweet Babe a un côté un peu bubblegum, mental home, mais qui reste cool avec ce vibe rockab. Mais c’est toujours difficile de trouver le bon équilibre, pour ne pas tomber dans le côté trop variét’ à la Forbans ou trop classique. Il faut que ce soit moderne sans être trop ‘tradi’. Par exemple, j’aimais bien le groupe Crazy Cavan ‘n’ the Rhythm Rockers des années 80, qui, bien qu’ancré dans un style intemporel, se rapprochait plus du rockabilly des années 60. Mais l’idée, ce n’est pas de faire un revival. De plus, Crazy Cavan, c’était un groupe de durs. Mon père me disait : “Regarde, ils ont une chaîne, c’était des vrais méchants !” Leurs paroles, c’était The Rockin’ Alcoholic. D’ailleurs, on travaille aussi en parallèle sur le ska. Comme pour le rockabilly, il y a eu le ska des années 60, puis celui des années 80 avec des groupes comme The Specials et Madness. L’idée serait de créer un nouveau son de ska, qui reste dans cette continuité, mais avec une touche moderne. »
Marlon : «Love is Over, par exemple, c’est drôle parce qu’on ne l’a pas fait exprès, mais ça sonne super anglais, années 90 ». Sacha : « Ouais, ça rappelle un peu la scène de Manchester, l’Hacienda, des groupes comme les Stranglers. C’est le genre de son anglais qu’on aime bien ». Marlon : « Ce qui est marrant avec cet album, c’est qu’il y a encore plein de styles différents au sein du rock. Par exemple, Venus est plus axé sur le côté Velvet Underground, Midnight Hippie a une vibe différente, et sur White Night, on est carrément revenus aux sources de la Cold Wave, avec un vrai son cold wave. D’ailleurs, c’est marrant d’en parler avec toi, Patrick, qui as bien connu les années 80. On a mélangé deux univers de cette décennie. Peut-être que ça ne saute pas aux yeux, mais sur Clover Paradise, on a combiné du glam rock et hard rock des années 80 avec de la New Wave de la même époque. C’est marrant, parce que ce sont deux mondes un peu différents, mais ici, ils se retrouvent ensemble, et ça fonctionne. Ce qui est intéressant, c’est qu’au lieu d’associer des décennies comme on le fait parfois, là on a associé des styles similaires au sein de la même décennie. Et on l’a fait de manière plutôt inconsciente. Par exemple, avec le beat, on s’est dit : “tiens, une guitare électrique irait bien là”. C’était compliqué de décider parce qu’on veut faire un morceau efficace, mais tu te demandes s’il faut vraiment mettre autant de solos. Mais les solos sont tellement beaux, surtout celui à la fin, très poétique. À un moment, il faut juste laisser la musique vivre, et tant pis si ça dépasse les codes ».
Marlon : « Et John Cale (membre fondateur du Velvet Underground, NDLA) tu le vois toujours ? C’était bien de bosser avec lui, en tant que producteur ? » Patrick : « Non, je ne le vois plus. (John Cale a produit Re-Bop, NDLA). On ne l’a pas beaucoup vu, c’est surtout son ingénieur du son qui était là. Lui, il est venu faire les marimbas, il donnait les indications. Le mec est resté là deux jours ». Sacha : « C’est lui qui l’a mixé ? » Patrick : « Oui après on était parti mais il a tenu à jouer du piano. Le mix est bien, il a tenu à le faire donc c’était cool. C’était un peu intimidant pour nous, c’était à Green Street Studios ». Marlon : « Comment vous avez eu le plan ? » Patrick : « C’était grâce à Michel Esteban (leur producteur, NDLA). J’étais avec lui, et il connaissait Michael Zilka le fondateur de Ze Records, le ‘Z’ de Ze Records (label new yorkais créé en 1978 avec Esteban, NDLA). Moi, j’avais rencontré John Cale au Nashville, l’année précédente. Il avait refusé de produire notre premier 45 tours, il n’avait pas le temps. Il était en tournée sur laquelle il portait le masque des films Scream. C’était incroyable. Il nous a dit que la prochaine fois, il le ferait. Entre temps, il avait arrêté la drogue. Il a produit plein de trucs, et finalement, il a produit Modern Guy (groupe français new wave, NDLA) ». Sacha : « Il n’a pas voulu mettre des violons chelous ? » Patrick : « Non, parce qu’on n’avait pas l’argent pour rester plus longtemps. On avait plein de morceaux, on aurait pu faire un album, mais on n’avait pas de cash. C’était Esteban qui payait. Cette fois-ci, il a payé, mais on n’avait pas les moyens de prolonger. C’est là qu’on a fait l’album disco, où là, il n’a pas payé le studio. On a fait l’album disco là-bas, mais Esteban n’a pas payé le studio. Chris Blackwell (fondateur du label Chrysalis, NDLA), dès qu’il savait qu’Esteban travaillait quelque part, il le faisait virer direct, à Nassau notamment. (Le groupe aura une nouvelle foi affaire avec Esteban sur une synchro Quicksilver. Le groupe entamera un procès contre son ex producteur, NDLA). Mais nous serons dans l’exposition intitulée I’m Coming Out dédiée à la musique disco en février à la Philharmonie. Le commissaire d’expo est Jean-Yves Leloup, avec en conseiller Patrick Thevenin (du 14 février au 17 août 2025, NDLA). C’est un gros événement. Ils vont exposer des disques de Marie et les Garçons. C’est sympa, surtout vu ce qu’on a vendu ». Marlon : « En vrai, vous êtes l’un des meilleurs de cette scène ». Patrick : « On est avec Cerrone et Juvet, mais c’est bien qu’ils reconnaissent notre contribution. Comme ça parle beaucoup de mode, j’avais un peu peur de cette expo. Mais finalement, ça va. J’ai vu les moodboards, et c’est plus politique que je ne le pensais. Je ne voulais pas que ça devienne juste paillettes, tu vois. Ça va aussi aborder les droits des gays. C’est vraiment bien pensé, avec un vrai travail sur le design et les lieux ». Sacha : « Au fond, tu t’en fous, non ? » Marlon : « Même si c’est un statement, tu es quand même dans l’exposition. Il y aura ton blouson de Castelbajac aussi ? » Patrick : « oui, d’ailleurs, j’ai revu de Castelbajac, à Hyéres, au Festival du Design, où je mixais. C’est assez marrant, je ne l’avais pas revu depuis 1979 ». Marlon : « On ira la visiter, même en off ».
Quand l’influence new wave croise l’art et la mode
La Femme a aussi travaillé pour Céline et Saint Laurent période Hedi Slimane. Sacha : « On a fait des musiques de défilé. C’était vachement cool. On était à un festival de musique psychédélique au Texas. Slimane travaillait chez Saint-Laurent sur une collection inspirée du rock psyché. On l’a rencontré là, grâce à un ami commun. C’était le bon moment et le bon endroit. Il suivait la scène rock psyché et à un moment, je lui ai proposé qu’on fasse une musique pour un défilé ». Marlon : « Il voulait qu’on fasse un morceau avec la nouvelle scène française, mais honnêtement, on n’aimait pas 90% de leur musique. Je lui ai dit qu’on irait plus vite si on le faisait nous-mêmes. Après, ça aurait pu être cool de faire des matchs. Tu vois, je suis sûr qu’avec Patrick, on se serait bien entendu à faire une musique ensemble. Tous les deux, on aime et on respecte sa musique. On a été fans et on l’est toujours ». Patrick : « C’est sûr que collaborer avec des gens dont tu n’apprécies pas la musique, c’est dur ».
La discussion bascule vers une liste d’artistes avec lesquels le projet devait se faire, tous passés au crible par nos trois comparses. S’ensuit un débat sur l’écriture des lyrics, évoquant Brassens, Carla Bruni, La Souris Déglinguée, Marquis de Sade… Ce qui nous mène naturellement à échanger autour des raretés et pépites musicales. Marlon : « Tu as déjà écouté X-Ray Pop ? C’est un groupe de Tours, ils faisaient de la New Wave, Cold Wave. Ils sont vraiment drôles, et il y a un peu de cette même folie que chez vous. Ils ont un morceau avec des paroles “Une Joconde en rangers joue au golf inhumain” (c’est le titre Alcool). C’est complètement décalé, mais c’est génial ». Sacha : « Il y a toujours des groupes un peu oubliés de cette époque qui refont surface. Tu arrives encore à déterrer des perles ? » Patrick : « Ouais, moi je découvre des trucs de New Wave électronique mexicaine, et c’est vraiment pas mal. Je suis tombé sur un label californien, Dark Entries, qui réédite plein de trucs, comme Patrick Cowley. Ils sortent des pépites incroyables ». Marlon : « Ah ouais, intéressant ! Moi, j’ai fouillé dans la Movida espagnole et trouvé des trucs dingues, comme Alaska et d’autres groupes de cette période ». Patrick : « C’est vrai que c’est parfois mal foutu, elles chantent faux, mais ça marche quand même ! » Sacha : « En fait, l’époque, on t’écoutait. Il y avait les compil’ Jeunes gens modernes, qui déterraient les trucs français, mais si tu commences à aller chercher dans les trucs espagnols, les trucs mexicains, en fait. Tu te rends compte que , tous les pays ont rebondi dessus ».
Revenons à l’actualité de La Femme. Patrick : « Vous tournez à l’international, avec l’anglais pour vous y développer, non ? » Marlon : « Oui, on fait ce qu’on peut, mais en restant une structure française, ce n’est pas évident sans les bons contacts et opportunités. On investit déjà beaucoup à l’étranger ». Patrick : « Vous gardez quand même votre liberté artistique ? » Marlon : « Absolument. Même si on investit à l’international, on reste maîtres de nos décisions. On doit s’adapter aux plateformes et aux algorithmes, comme lorsqu’on nous a dit de raccourcir l’intro de Paradigmes pour plaire à l’algorithme. Mais on gère tout, même les investissements. Par exemple, pas de campagne d’affichage à Paris, on préfère mettre le budget aux États-Unis, là où c’est vraiment nécessaire. C’est comme un jeu de stratégie, et ça finit par payer : on joue maintenant dans des salles plus grandes aux États-Unis ». Sacha : « On fait de belles salles, il faut être patients, on récoltera les fruits plus tard ». Marlon : « Oui, à New York et L.A., c’est sérieux ! trois mille personnes à Terminal 5 et trois mille huit au Palladium ». Sacha : « Pourtant, on risque de perdre de l’argent sur cette tournée. On est une dizaine, et tout est hors de prix ». Marlon : « Oui, entre les visas, les billets d’avion, la nourriture, et le tourbus qui coûte une fortune… Ça pèse lourd. Les groupes américains, eux, préfèrent souvent rester sur leur territoire, qui est assez vaste pour les maintenir à flot. Ils attendent d’être énormes avant de venir en Europe ». Patrick : « J’ai entendu un groupe indé américain dire qu’ils arrêtaient de tourner en Europe, sauf à Berlin, Londres et Paris ». Sacha : « C’est un peu pareil pour nous, ça coûte cher ». Marlon : « En France, on a la chance des aides pour les artistes, mais eux n’ont rien et doivent souvent avoir un autre job, surtout depuis le Covid ». Patrick : « Ils ne tournent plus en province, c’est devenu impossible ». Marlon : « Pour nous aussi, c’était dur au début en province, on remplissait peu. Paris était complet, mais maintenant ça va mieux, même si c’est toujours moins rempli qu’à Paris ». Patrick : « Vous faites combien en province ? » Marlon : « Entre mille et deux mille personnes, contre sept mille à dix mille à Paris, et on espère encore plus à Bercy ». Un vrai pari pour le groupe qui y met ses propres deniers.
Marlon : « Le succès dépend aussi des tournées, c’est ce qui fidélise le public ». Et des outils de communication TikTok, clips… Sacha : « Les clips sont trop coûteux et ça ne marche plus autant ». Marlon : « Pour Paradigmes, on avait clippé tous les morceaux, mais aujourd’hui, les labels préfèrent des formats courts pour TikTok. C’est super pour se faire connaître. Quelqu’un sans budget pour son album peut devenir une star du jour au lendemain s’il trouve le bon truc. Ça redistribue les cartes. Mais ça pousse certains à se forcer à faire des trucs qui ne leur ressemblent pas. Mais attention aux “one-hit wonders”, comme Patrick Hernandez avec Born to Be Alive. Nous, on a eu de la chance, 20 % de nos streams viennent de là. Cela nous permet aussi de toucher un public plus jeune ». Patrick : « C’est drôle, on est devenus les “vieux jeunes” maintenant ». Marlon : « Tu devrais ressortir Re-bop sur TikTok ». Patrick : « Pas vraiment envie de le rechanter ». Sacha : « Il suffit qu’une vidéo TikTok le relance ». C’est comme cela que l’on a vu le retour de Kate Bush, avec Running Up That Hill sorti en 1985. Marlon : « On a eu un phénomène similaire avec Elle ne t’aime pas (2016). Un mec largué a posté une vidéo, et ça a pris », soit six années après le premier EP éponyme qu’ils ont ressorti cette année.
Sacha : « Il n’était plus disponible en vinyle, et aussi car l’on a constaté que les versions physiques valaient entre 500 euros et 600 euros. On a donc décidé de le ressortir. Comme ça, les gens vont l’avoir ». Marlon : « C’était l’occasion de refaire des mix, aussi. Il y avait un morceau qui n’était pas sorti, Télégraphe ». Sacha : « Et Françoise, aussi, l’instrumental, c’était l’occasion de les faire, aussi, de les sortir. On a fait la quatrième version de La Planche. Cette fois-ci, c’est la bonne ! »
Ce long moment de partage avec La Femme et Patrick Vidal montre à quel point le groupe aime expérimenter et réinterpréter les styles musicaux. Que ce soit dans leurs albums, leurs collaborations ou même à travers leurs influences artistiques, La Femme continue de surprendre, d’évoluer et de se jouer des codes. Le prochain chapitre de leur aventure, aussi bien musicale que visuelle, promet d’être aussi riche et audacieux.
Rock Machine est disponible via Disque Pointu.
En concert à Paris (Accor Arena) le 26 novembre 2025 et en tournée aux USA et au Canada à partir du 7 novembre.
Pop up store à Paris (Restaurant Grand Amour) le 12 octobre : coupes de cheveux Rock Machine, dédicaces à 14 heures et Release Party (dj set) à 22 heures.
Patrick Vidal, album 2 avec Sutra est disponible via Discovery, exposition I’m Coming Out à la Philarmonie du 14 février au 17 août 2025.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture Laurent Chouard