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Entre nostalgie des nuits électriques et rébellion vestimentaire, l’indie sleaze renaît en fusionnant indie rock, électro-clash et hyperpop. Des perfectos usés aux baskets à talons Isabel Marant, l’esthétique désinvolte des années 2010 s’impose comme un courant mode et musique qui est là pour durer, où l’énergie des fêtes sans lendemain fait face aux crises d’aujourd’hui.
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Naissance chaotique
L’indie sleaze n’est pas une tendance : c’est une esthétique musicale et vestimentaire née entre la fin des années 2000 et le début des années 2010, caractérisée par une allure délibérément désinvolte, un goût pour le vintage, une énergie brute, chaotique et organique. Ce courant s’est imposé d’abord dans les milieux indie rock new-yorkais, avec des groupes comme The Strokes, Yeah Yeah Yeahs ou Interpol, puis a traversé l’Atlantique pour inspirer la scène britannique, incarnée par des figures telles que Pete Doherty, Alexa Chung ou encore Kate Moss, icône du mouvement.
Sur le plan musical, l’indie sleaze se nourrit d’un mélange d’indie rock, d’électro-clash et d’hyperpop, où l’on retrouve aussi bien Crystal Castles (notamment via leur apparition dans la série Skins) que MGMT, M.I.A., et plus récemment The Dare et Snow Strippers. L’esthétique sonore est marquée par des beats synthétiques, des guitares nerveuses, et une ambiance de fête sans lendemain, cristallisant l’esprit d’une jeunesse en quête de sensations et de liberté.
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Allure désinvolte et maximaliste
Côté mode, l’indie sleaze se reconnaît grâce à son mélange unique de pièces vintage, d’influences grunge, glam et punk, avec un côté très DIY. D’un côté, il y a le style plus trash et ado, incarné par des icônes comme Effy Stonem (Skins) et Sky Ferreira. Ce look se compose de micro-jupes très courtes, collants résille déchirés, boots de travail et t-shirts oversize pour un résultat aussi décontracté que provocant. Le personnage d’Effy Stonem, jeune adolescente britannique de la série Skins, représente le style dans tout son chaos et sa créativité : cheveux en bataille, maquillage sombre et nombreux bijoux.
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D’un autre côté, l’indie sleaze a aussi un versant plus chic, porté par des modèles comme Kate Moss, Alexa Chung ou les sœurs Olsen. Leur style mélange des blazers masculins, des robes vintage et des bottines en cuir usé avec des pièces grunge comme les t-shirts larges ou les jeans délavés. Une touche de luxe s’ajoute avec des sacs Balenciaga ou des blousons en cuir de qualité, mais le côté un peu négligé, avec des chemises mal boutonnées, des accessoires accumulés et des cheveux légèrement décoiffés demeure.
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Les accessoires jouent un rôle essentiel : écharpes fines, lunettes oversize ou shutter shades, ceintures cloutées, gros bijoux dorés, et bien sûr, les sacs Balenciaga City ou Longchamp XXL que l’on porte négligemment sur l’épaule. Le maquillage charbonneux, les cheveux décoiffés, les racines apparentes et le vernis écaillé complètent cette allure, donnant l’impression d’un style à la fois spontané et travaillé, où chaque détail compte pour affirmer une identité singulière. Le tout s’accompagne d’une attitude faussement négligée, d’une esthétique de fête immortalisée par des flashs d’appareils jetables, et d’une expression de soi sans concessions.
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Nouveaux artistes, nouvelles icônes
Depuis 2024, l’indie sleaze connaît un retour spectaculaire, propulsé par les réseaux sociaux comme Instagram et TikTok, et par une nouvelle génération d’artistes et de créateurs qui réinventent ses codes. Certaines marques contemporaines, comme Minga London et Racer Worldwide, créent des guides « indie sleaze » et y dédient des collections entières, incarnant ainsi la réactualisation de cette esthétique emblématique.
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Parmi les icônes de ce revival : The Dare, aka Harrison Patrick Smith, s’impose avec des morceaux comme Girls ou I Destroyed Disco qui incarnent l’esprit insouciant et dansant du genre. Le duo Snow Strippers, quant à lui, mélange sonorités électro et paroles désabusées, avec des titres sulfureux comme So What If I’m a Freak ou TV Sex, et séduit un public avide de nouveauté et de nostalgie. BassVictim s’inscrit également dans cette mouvance ; lors d’un récent concert à Toronto, le public, habillé dans le plus pur style indie sleaze, a été photographié pour immortaliser l’instant et témoigner de la vitalité du mouvement. D’autres artistes comme EQ, Suzy Sheer ou encore 2hollis perpétuent cette esthétique sonore et visuelle sur les plateformes digitales, prolongeant l’influence de l’indie sleaze auprès d’une audience toujours plus large et connectée.
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Les marques et créateurs surfent aussi sur la vague : retour des sacs Balenciaga City, des bottes à franges, des jeans skinny, et des accessoires clinquants. Gucci, Diesel, ou R13 réinterprètent les codes du passé pour les adapter à l’air du temps. Isabel Marant s’impose à nouveau avec le retour remarqué et toujours aussi clivant de ses baskets à talons compensés. Les modèles phares, Bekett et sa petite sœur Balskee, se déclinent désormais en nouvelles versions plus robustes et colorées, séduisant une génération connectée via TikTok et le hashtag #2010sfashion. Cette renaissance, portée par un style baggy et décontracté, confirme l’intemporalité de ces sneakers iconiques, désormais revisitées aussi dans une collaboration inédite avec Converse.
Le célèbre compte Instagram @indiesleaze, suivi par plus de 200 000 abonnés, s’est imposé comme une référence incontournable dans la documentation de l’esthétique indie sleaze, mêlant archives visuelles des années 2000 et inspirations contemporaines. Loin de se limiter à un travail de mémoire, ce compte participe activement à la réactualisation de la subculture en organisant des soirées collaboratives avec thedanceparties à travers les États-Unis, où l’énergie désinvolte des fêtes Y2K est recréée à travers des looks excentriques immortalisés par les flashs des appareils numériques et partagés massivement en ligne. Son rôle est central dans la renaissance de ce mouvement, et illustre comment les réseaux sociaux sont devenus le principal vecteur de transmission des tendances, transformant une contre-culture autrefois underground en phénomène populaire. Bien que mainstream, l’esprit rebelle et festif du genre et la volonté de se démarquer demeurent, tout comme l’authenticité cinglante de son expression au travers de la mode et de la musique.
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Courant esthétique miroir d’une nouvelle ère
L’indie sleaze n’est pas qu’une paire de bottes ou un groupe d’électroclash parmi tant d’autres : c’est une subculture où mode et musique se répondent pour former un courant artistique, révélateur d’une époque et d’un état d’esprit. À l’origine, le mouvement s’est développé en réaction à la morosité économique de la fin des années 2000 (crise de 2008), offrant une échappatoire festive à une jeunesse désabusée, en quête de sens et de connexion. On retrouvait alors une atmosphère de fêtes improvisées, de photos prises à la volée, de soirées dans des clubs alternatifs, et une volonté de s’affranchir des codes bourgeois ou mainstream. L’indie sleaze, c’est aussi le refus du perfectionnisme, l’acceptation du chaos, et la recherche du plaisir immédiat, que ce soit dans la musique, la mode ou le lifestyle.
Le revival de ce courant en particulier n’est alors pas un hasard. Il s’inscrit dans un contexte de crise économique et sociale, où la jeunesse, confrontée à l’incertitude et au manque de repères, cherche à retrouver une forme d’insouciance et de liberté. Comme lors de la crise de 2008, la mode et la musique deviennent des échappatoires, des moyens de s’amuser, de s’exprimer et de braver la morosité ambiante. La nostalgie joue aussi un rôle majeur : les sonorités électro-clash, les looks excentriques et les fêtes improvisées rappellent l’adolescence de toute une génération, tout en offrant un terrain de jeu créatif pour les nouvelles. Porter des mini shorts, des collants rayés, des couleurs fluo, c’est revendiquer le droit de s’amuser, de ne pas prendre la vie trop au sérieux, et de créer du lien dans un monde de plus en plus digitalisé et anxiogène.
Texte Tiphaine Riant
Image de couverture Mark Hunter