The Vaccines a vécu déjà plusieurs vies en presque 15 ans d’existence. Seuls deux membres fondateurs subsistent dans la formation actuelle. C’est à la fin d’une session acoustique que nous rencontrons Árni Hjörvar, l’un des deux fondateurs du groupe. Cet entretien nous plonge dans les coulisses d’un groupe qui a su naviguer entre major et indépendance, tout en conservant son identité musicale.
Árni vous êtes l’un des membres fondateurs de The Vaccines. Aujourd’hui, il ne reste plus que deux membres originaux. Comment avez-vous vécu ces changements au sein du groupe ?
Oui, nous ne sommes plus que deux. Cela demande beaucoup de travail, d’engagement et d’âme pour maintenir un groupe ensemble. À un moment donné, il est compréhensible que certaines personnes veuillent explorer d’autres horizons. Pete (Robertson) est parti il y a longtemps, et Yoann (Intonti) et Tim (Lanham) nous ont rejoints il y a un bon moment maintenant. Ce sont des membres à part entière, donc je ne les considère plus vraiment comme des nouveaux venus.
Parlons de vos débuts. Comment avez-vous rencontré Justin Young ?
À l’époque, j’avais déménagé à Londres pour me consacrer à la musique, il faut dire que je suis islandais. C’était une période où la scène musicale londonienne bouillonnait. Justin jouait en solo sous le nom de JJ Pistole et j’étais fan de sa musique, car c’était très immédiat, c’est ce qui a été transmis aux Vaccines. Lorsque nous avons commencé, il y avait aussi cette immédiateté. Un jour, je suis allé voir son batteur et lui ai dit « Si tu as besoin d’un bassiste, fais-le moi savoir ». Quelques semaines plus tard, Justin m’a rappelé pour former un groupe. C’est comme ça que tout a commencé. J’ai joué dans JJ Pistole quand Justin pouvait se permettre de me payer 50 livres par jour. Puis Justin a arrêté le groupe et a disparu pendant un moment. Puis, un jour, il m’a appelé pour me demander si je voulais monter un groupe avec lui. Je pense que c’était surtout parce que j’avais les cheveux longs (sourire). Mais surtout ce que j’aimais dans le fondement même du groupe, c’était que tout devait être net, rapide, simple, aller droit au but.
Vous avez rapidement signé avec Columbia, un grand label. Quel a été le déclic pour rejoindre une telle major ?
À l’époque, nous venions de sortir Wreckin’ Bar (Ra Ra Ra), qui est une chanson très courte (1 mn 24). Notre management, qui avait beaucoup d’expérience nous avaient aussi aidés à rencontrer plusieurs labels, et finalement, Columbia était le label le plus cool parmi les majors. Mike Smith en était à l’époque le directeur général. Il s’est vraiment investi dans le groupe. On a fait des trucs géniaux ensemble. Nous avons signé avec eux, et je ne regrette pas du tout cette décision.
Vous êtes restés longtemps chez Columbia, mais vous avez ensuite décidé de monter votre propre label. Pourquoi cette démarche vers l’indépendance ?
Mike avait quitté Columbia, il n’y avait plus un seul membre du personnel qui était là depuis le début. Je crois que nous étions là depuis plus longtemps que n’importe qui d’autre. C’était un peu bizarre. Nous avions rencontré chez Columbia Alison Donald, qui était co-présidente. Elle a rejoint par la suite Kobalt (société indépendante de gestion des droits et d’édition musicale, NDLA). Lorsque nous avons décidé de créer notre propre structure, nous sommes allés la voir pour la distribution. Ce qui est drôle, c’est que dès que nous avons signé le contrat de distribution avec AWAL, Sony a acheté AWAL à Kobalt. Notre cinquième album Back in Love City qui devait être indépendant est donc devenu un album Sony. Créer son propre label, c’est effectivement plus risqué, car on doit mettre beaucoup d’argent sur la table. Mais cela donne aussi une liberté immense. On ne dépend plus de compromis externes, et on présente notre musique exactement comme nous l’imaginons. Même si les labels avec lesquels nous avons travaillé ont toujours été respectueux de notre vision, cette indépendance nous permet une totale liberté créative.
En parlant de créativité, j’ai remarqué que chaque album a un nouveau producteur. Pourquoi ce choix ?
Pour nous, chaque enregistrement est une expérience unique. Changer de producteur nous permet de capturer une atmosphère particulière à chaque album. C’est une manière de rendre chaque projet distinct et de ne pas répéter les mêmes schémas. Nous avons toujours entretenu d’excellentes relations avec nos producteurs, mais je pense qu’après une collaboration, il est parfois préférable de passer à autre chose pour ne pas tomber dans une routine. Andrew Wells (Halsey, Celine Dion et producteur de Pick-Up Full of Pink Carnations) voulait un son immédiat, percutant, en pleine face. C’était sa vision du son. Chaque fois qu’on s’en éloignait et qu’on essayait d’aller ailleurs, il nous ramenait à la raison. Il nous rappelait que c’était censé être un disque de réverbération distordue. Je me suis dit : « oui, c’est vrai. Restons-en là ». Je ne sais pas si on aurait pu faire cet d’album sans lui.

Le nouvel album est plus pop, avec des paroles plus sombres. Comment gérez-vous cet équilibre entre légèreté musicale et profondeur lyrique ?
Nous avons toujours aimé brouiller les pistes émotionnelles. Il y a quelque chose de fascinant à juxtaposer des mélodies joyeuses avec des textes plus sombres et mélancoliques. Cela crée une certaine confusion chez l’auditeur, ce qui peut être un outil puissant. C’est une manière pour nous de cacher une certaine noirceur derrière des mélodies plus légères… Nous nous en sommes éloignés quelques fois au cours de notre carrière. Par exemple, en 2022, j’étais en Islande, Tim était en Australie, Johan était en Martinique, et Justin était à Los Angeles. Je pense que lorsque vous démarrez un groupe, il est très important que vous ne passiez pas tout votre temps ensemble et que vous ne soyez pas au même endroit. Maintenant, ça n’a pas vraiment d’importance. Quand le groupe a besoin de faire des choses, nous nous retrouvons quelque part, pas forcément Londres, ça peut être n’importe où ailleurs. Tu sais, nous avons passé beaucoup de temps dans des salles de répétition, beaucoup… Et je pense que nous avons essayé de raviver cette énergie vive, simple et immédiate sur le nouvel album.
Ces distances géographiques ont elles changé votre processus de création ?
Non, pas vraiment. Justin est sans conteste le principal compositeur. En général, il nous présente une démo d’une chanson, puis on la travaille jusqu’à ce qu’elle soit aussi percutante qu’une piqûre de vaccin. La démo se limite souvent aux accords, à la mélodie et aux paroles, et à partir de là, on s’en empare pour l’adapter à notre style. C’est ainsi que le processus se déroule la plupart du temps. Parfois, il coécrit avec nous, parfois on assemble quelques idées ensemble, mais dans la grande majorité des cas, c’est lui l’auteur principal. C’était évident dès le départ, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai voulu collaborer avec lui : je le trouvais déjà brillant en tant qu’auteur-compositeur.
Pour conclure, pourriez-vous nous parler de vos premiers concerts ?
Ah, nos premiers concerts étaient assez amusants. Nous jouions sous différents noms à chaque fois, tout simplement parce que nous ne savions pas comment nous appeler. Et certains de ces noms étaient vraiment horribles. Le premier nom sous lequel nous avons joué était Young Mothers. C’était dans la petite salle de The Rescue Rooms, personne ne savait vraiment qui nous étions. On était assis dans une camionnette, dehors, et on a vu des centaines de personnes faire la queue devant le Rescue Rooms. On s’est dit : « Putain, c’est dingue ! Personne ne nous connaît, on ne pensait pas que des gens viendraient nous voir ». On croyait que les gens étaient juste là pour sortir. On était super excités, bien sûr. Mais une fois à l’intérieur, on a remarqué que tout le monde passait devant la salle où on jouait, comme si on les filtrait vers une autre pièce où se déroulait une fête. Finalement, on est montés sur scène et on a joué… devant personne. Personne, sauf le barman. Juste lui. Pendant que 250 personnes s’amusaient ailleurs. Il y avait notre manager, venu avec sa femme je crois, et tout ce qu’il m’a dit après le concert, c’était : « Ton pull était vraiment moche ». C’est une expérience assez drôle à raconter aujourd’hui !
Nous avons pu constater lors de votre tournée, seul un rideau et des fleurs ornent le plateau. Est-ce par soucis écologique ?
J’ai toujours opté pour la simplicité. Je pense qu’on est tous fans du rock’n’roll classique, sans fioritures. On a déjà tenté des trucs extravagants, mais ça n’a jamais vraiment fonctionné. On ne sentait pas que ça collait à notre musique ou à notre énergie. On préfère un spectacle simple, des éclairages minimalistes, une imagerie sobre. Notre tournée est donc légère, avec une production réduite. Je n’avais pas pensé à une démarche écologique, mais dans une certaine mesure, c’est le cas. Mon ampli de basse, par exemple, est à peine plus grand qu’un ampli d’entraînement, mais il dégage un son énorme. On aime cette esthétique, et ça nous permet de voyager avec très peu de matériel. Cela dit, la réalité des tournées reste polluante à cause des nombreux vols et déplacements nécessaires, du matériel à transporter… Il y a des problèmes à tous les niveaux. Mais on se dit que c’est toujours mieux de faire venir les gens à nous plutôt que d’obliger tout le monde à se déplacer individuellement. C’est un compromis, certes difficile, mais c’est la réalité. Il n’existe pas encore de solution parfaite pour compenser l’impact environnemental des tournées, mais il serait temps d’en trouver une.
Et vous, qui vivez en Islande, quel regard portez-vous ?
L’Islande est un pays assez unique. Elle fonctionne à 100% avec des énergies renouvelables, principalement grâce à la géothermie, ce qui signifie qu’il n’y a ni gaz ni énergie nucléaire, ni grandes industries de combustibles fossiles. C’est pour cela que l’Islande est très consciente de son empreinte carbone. Cependant, c’est un peu trompeur, car les gens pensent avoir fait leur part simplement en utilisant des énergies renouvelables. En réalité, on vit sur une île isolée où chaque importation compte. Par exemple, manger une tomate en septembre implique un long trajet pour l’amener ici. Les gens ferment souvent les yeux sur le fait que, malgré son image « verte », le pays génère probablement beaucoup de pollution à cause de ces importations.
Nous poursuivons l’entretien de manière informelle en accompagnant les autres membres du groupe à leur hôtel, où l’on découvre qu’Árni possède son propre studio en Islande et collabore également avec le studio de Sigur Rós.
Pick-Up Full of Pink Carnations est disponible via Super Easy/Thirty Tigers.
En tournée mondiale, Paris (Cigale) le 10 octobre, Orléans (l’Astrolabe) le 11 octobre, Aix en Provence (6MIC) le 18 octobre, Bordeaux (Rock school Barbey) le 19 octobre.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing