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En ce début d’été dans la capitale, la mode masculine Printemps/Été 2026 a moins chuchoté qu’elle n’a résonné. Les looks, tout en audace et fraîcheur, ont défilé sous des architectures parfois inattendues, où la lumière jouait autant que les silhouettes. Mais ce qui reste en tête, c’est la bande-son, soigneusement sélectionnée, pensée comme une extension sonore de chaque collection. Entre samples inédits, hommages appuyés et collaborations live, cette Fashion Week sonnait comme un vinyle rare, que l’on ne cesse d’écouter en boucle.
Saint Laurent, by Anthony Vaccarello
Sous la majestueuse coupole de la Bourse de Commerce – Pinault Collection, Vaccarello orchestrait la nouvelle collection autour de Clinamen, l’installation aquatique de Céleste Boursier‑Mougenot. L’eau s’infiltrait visuellement dans l’espace, laissant place aux silhouettes fluides et aux couleurs colorées, suspendant le temps sur des pièces qui ouvraient le défilé et faisaient écho à un jeune Yves Saint Laurent à Oran, comme les chemises transparentes et les shorts paperbag des années 1970. Les extraits de murmures électro-ambient, attendus, ponctuaient le tempo lent du show, évoquant la douceur et la dureté de l’été.
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Louis Vuitton – From Paris to India, by Pharrell Williams
Après s’être emparé du Pont Neuf et de l’UNESCO, Pharrell Williams a décidé de transformer la place Georges-Pompidou en un plateau géant de Snakes and Ladders, imaginé par Studio Mumbai, qui semblait presque sur le point de prendre vie. Une invitation à un voyage au-delà des frontières a été envoyée aux spectateurs, à travers la réinterprétation du tailoring moderne et des accessoires qui apportaient une touche d’exotisme raffiné. La musique, véritable colonne vertébrale du show, a plongé le public dans une expérience sonore unique. Le défilé s’est ouvert sur Intro et SS26 Show Music, composés par Pharrell Williams et orchestrés par Thomas Roussel, avant de basculer dans l’intensité spirituelle de Miracle Worker de Voices of Fire, un gospel exalté, produit par Pharrell Williams, Ezekiel Williams et J Drew Sheard, et coécrit avec The Dream. Puis est venu Yaara Punjabi, une collaboration live de Pharrell et A. R. Rahman, fusion envoûtante mêlant gospel, tablas et chœurs, qui a fait résonner la place comme un pont entre les cultures. L’intensité a monté avec So Be It Pt. II interprété en live par Clipse, dans une montée d’énergie brute. Enfin, le show a explosé en apothéose avec un extrait inédit de Get Right, interprété par Doechii et Tyler The Creator, pour clôturer le défilé en rythme.
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Lemaire, by Christophe Lemaire and Sarah-Linh Tran
Au fond d’un cube noir dressé dans le lycée Turgot, Christophe Lemaire et Sarah‑Linh Tran ont laissé la lumière s’écouler comme un verre d’eau fraîche : chemises de popeline crème qui respirent, parkas en toile lavée, blousons western en denim japonais, pantalons évasés noués à la taille d’un simple cordon. Sur scène, en live, la batteuse Valentina Magaletti et le producteur Zongamin improvisaient un motif de cloches distordues, basses sinueuses et ruptures garage‑funk qui se fondait dans le bruit de la ville projeté en sourdine. La bande‑son, moitié transe tactile moitié jazz minimal, suivait le tempo du pas – comme un rappel que, chez Lemaire, le vêtement est d’abord un état de corps qui marche.
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3.Paradis, by Émeric Tchatchoua
Dans un désert de sable blond installé au cœur de la capitale, Émeric Tchatchoua invite au mirage : silhouettes ralenties, vestes tapissées de montres figées, street‑tailoring adouci par des drapés d’organdi couleur couchant. Inspirée du Petit Prince, la collection interroge le temps qui file – ou se fige – tandis qu’un sound design quasi silencieux souffle des rafales de vent, de battements cardiaques lointains, et quelques accords mineurs écrits sur mesure par Thomas Roussel.
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AMI Paris – Ami c’est la vie, by Alexandre Mattiussi
AMI s’est offert la Place des Victoires comme scène ouverte, théâtre du quotidien sublimé. Là, les passants devenaient muses, les statues des mannequins immobiles, et le ciel de Paris, la plus belle des toiles. Mattiussi a célébré les hommes qu’on croise tous les jours, mais avec une touche d’élégance désarmante : costumes lavande, chemises en lin blanchi, vestes croisées portées nonchalamment sur l’épaule. La bande son, elle, se jouait en contraste : La Foule d’Édith Piaf, magnifiée par une orchestration symphonique de Nathan Stornetta, ouvrait le défilé avec grandeur. Puis, Boléro de Ravel, réinterprété par le Brussels Philharmonic, étirait la tension, chaque crescendo répondant au pas des mannequins. On aurait pu croire à une parade militaire pour romantiques endurcis. C’était beau, poignant, presque cinématographique.
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Amiri – Château AMIRI, by Mike Amiri
Le Carreau du Temple s’est mué en patio californien : treilles en bois clair, pergolas noyées de bougainvilliers et fontaine susurrant un jazz‑rock discret, comme si l’on avait téléporté Sunset Boulevard sous la verrière parisienne. À travers cette carte postale vintage, Mike Amiri déroule un vestiaire d’esthète en goguette : smokings pastel beige à poignées de clefs d’hôtel, pyjamas soyeux brodés d’oiseaux par Wes Lang, et grands trenchs sable dont la ceinture se noue façon peignoir de suite cinq étoiles. Les basses nonchalantes de You Call d’Emil Axelsson, les percussions salsa de Tamarindo de Dexter & The Disciples, puis le groove boogie‑surf de Dust Bunny de Ryan James Carr et Swirly Bird d’Arc De Soleil rythment ce matin‑après‑la‑fête ; chaque morceau sonne comme l’écho d’un hall d’hôtel encore parfumé au tabac blond.
Rick Owens – Temple, by Rick Owens
Au Palais de Tokyo, l’eau n’était pas un détail décoratif mais une matière scénographique. Rick Owens a immergé son défilé – littéralement. Les mannequins, torches fumantes à la main, avançaient dans un bassin noir, robes en cuir démesurées traînant dans l’eau, coiffes sculpturales défiant les lois de la gravité. Le corps était un temple, sculpté, sacré, reptilien parfois. Le son ? Un vacarme céleste. Une boucle funèbre signée Klaus Nomi ouvrait la procession avec The Cold Song, sa voix androgyne résonnant comme un appel post-apocalyptique. Des drones industriels, des souffles sourds, des respirations amplifiées : Rick Owens ne propose jamais une playlist mais une immersion sonore totale, où le silence fait autant trembler que les basses.
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Dior Homme – Chardin Rooms, by Jonathan Anderson
Pour son baptême chez Dior, Jonathan Anderson a réinventé un intérieur XVIIIe – velours, boiseries, tapisseries – dans les salons de l’Hôtel des Invalides . Le show démarre sur State Trooper de Bruce Springsteen : tension narrative, détails militaires sur la version homme de l’iconique Bar Jacket conçue par Christian Dior en 1947. Ensuite, Makeout de New York installe une atmosphère post‑punk, presque frondeuse. Le passage à Otis de The Durutti Column adoucit les angles, avant de renouer avec State Trooper : un cycle sonore bouclé, métaphore de l’héritage repris et transcendance assumée. Les pièces – bar jackets en tweed Donegal, shorts cargo XXL, cravates néoclassiques – fusionnaient l’académisme et une fantaisie britannique. Rihanna et A$AP Rocky, front row, incarnaient cette jonction chic‑rebelle.
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Willy Chavarria – HURON, by Willy Chavarria
Le rideau se lève à la Salle Pleyel, et ce n’est pas une chanson qui commence, c’est une prière. California Dreamin’ par José Feliciano fend l’air comme un souffle chaud, la guitare râpeuse portant la nostalgie d’un exil intérieur. Willy Chavarria construit son show comme une cérémonie – les silhouettes larges, solennelles, fragiles et puissantes à la fois, s’avancent sur une bande-son ciselée, chargée d’histoire et d’émotion. Chaque morceau est un chapitre : Te Mereces Un Amor de Vivir Quintana, ode féministe en velours rouge ; Bésame Mucho par Los Panchos, l’amour en chœur ; Bienvenido Granda de Paracal, le souvenir d’un boléro dansé seul ; puis Suavecito de Malo, groove chicano doux-amer pour clôturer le défilé dans une lumière tamisée. Ici, la musique n’illustre pas – elle incarne. Elle pleure, elle embrasse, elle témoigne. Chaque titre semble chanté par les vêtements eux-mêmes, comme si les coupes, les textures et les couleurs avaient besoin de cordes vocales pour dire leur vérité.
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Jacquemus – Le Paysan, by Simon Porte Jacquemus
Sous la verrière citronnée de l’Orangerie du Château de Versailles, Jacquemus a cueilli l’été comme une scène d’auteur : silencieuse, ample, méditerranéenne. Pieds nus, silhouettes en tabliers de coton blanc, paniers débordants de tomates ou de poireaux, le défilé avançait sur la bande son magistrale d’Ennio Morricone. L’Arena ouvrait le bal, suivi de Il Mercenario (Ripresa) et Per Un Pugno Di Dollari, comme un western transposé en Provence. En clôture, la Neuvième variation du Vent, le Cri soufflait une dernière brise mélancolique. Entre cinéma et champs d’oliviers, Jacquemus a offert une fable rurale stylisée, orchestrée comme un après-midi d’été qui ne finit jamais.
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Et quand le rideau sonore est enfin tombé sur Paris, ce n’est pas tant les tendances que l’on retenait, mais les vibrations. Cette Fashion Week SS26 aura prouvé, une fois encore, que la musique n’est pas un simple accompagnement – elle est l’âme du défilé, sa pulsation secrète. Entre samples cultes, performances intimes et montages cinématographiques, les maisons ont composé leur propre partition. Et dans nos esprits, les looks dansent encore.
Blu Clara Rapps-O’Dea Valey
Image de couverture Kristy Sparow/Getty Images