Dans l’univers de la mode, tout existe et cohabite. Pour certains, un vêtement est un simple ustensile : on s’habille par nécessité ou par habitude. Cependant, un vêtement est quelque chose que l’on choisit et qui inévitablement nous représente. Ce langage visuel, sous-estimé par les médias, est un condensé de tissus, de coupes et de couleurs qui traduisent notre identité. Mais comment un style personnel s’adapte aux attentes d’un cadre professionnel ?

 

 

Pour explorer cette question, nous avons interrogé huit professionnels du milieu : stylistes, créateurs de mode, créateurs de contenus de mode, attachés de presse et photographes. Chacun nous a partagé sa vision et son style personnel, mettant en lumière les liens complexes entre expression individuelle et exigences du monde du travail.

Car si la mode est un moyen d’exprimer ses valeurs, ses origines, ses opinions et ses goûts, elle doit aussi s’inscrire dans un cadre. Nous nous habillons en fonction du métier que nous exerçons, du lieu où nous vivons, et parfois, de normes implicites dictées par notre environnement. Il serait impensable, par exemple, d’opter pour une tenue légère lorsque les conditions météorologiques ne le permettent pas.

Dans les métiers de la mode, on applique le même concept. Nous adoptons souvent une forme d’« uniforme », une signature stylistique qui nous est propre et que nous revendiquons, tout en répondant aux attentes de notre environnement professionnel.

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Shady : Entre studio et terrain, l’équilibre du style (@leblanshady)

Dans le cas de Shady, photographe et passionné de mode, sa tenue change s’adapte à l’espace dans lequel il évolue. En studio, il a la liberté de porter ce qu’il souhaite et affiche son goût pour le streetwear et l’esthétique japonaise, comme témoigne sa sensibilité pour la marque Comme des Garçons. En revanche, sur le terrain, il ajuste son style à son environnement qui peut être venteux, froid, boueux… Il opte alors pour des vêtements délavés et usés qui lui permettent d’affronter les conditions extérieures sans ruiner ses plus beaux vêtements.

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Dorothée : Confort et créativité au cœur du rythme parisien (@dorotheeevouna)

De son côté, Dorothée, styliste photo et intervenante dans une école de mode, doit concilier style et confort. Son rythme effréné l’amène à privilégier des vêtements plus confortables, influencés par la culture du streetwear et la mode des années 90, lui permettant de se déplacer à travers Paris en toute sérénité. Elle insuffle sa touche personnelle et son goût pour le punk avec des accessoires : cheveux, bijoux et maroquinerie comme son sac Vivienne Westwood auquel elle est très attachée. Être styliste ne l’oblige pas à suivre un dress code strict ; elle considère ses vêtements comme une expression de son état d’esprit et apprécie la souplesse avec laquelle ses pièces favorites s’intègrent à sa garde-robe.

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Olivier Davy : L’élégance discrète au service de l’enseignement (@creadavy)

Pour Olivier Davy, designer de mode chez Mugler et responsable de la filière création au sein de Mod’Spe, l’approche est différente. Enseigner est un métier de scène où pédagogie, expertise et outils s’articulent face à un auditoire. Pourtant, Olivier opte pour un style vestimentaire délibérément discret, conçu pour ne pas détourner l’attention de ses élèves. « Je veux que mes étudiants se concentrent sur ce que j’enseigne, pas sur ma tenue », précise-t-il. Ce choix, loin de refléter un désintérêt pour la mode, illustre sa volonté de placer le contenu pédagogique au cœur de l’interaction. Son style gravite ainsi autour de pièces fonctionnelles et confortables, privilégiant des coupes minimalistes et des teintes neutres. Par exemple, un pantalon en laine sobre et un pull ajusté en coton ou cachemire : des vêtements qui allient élégance discrète et praticité.

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Chris : La liberté de créer sans compromis (@enncci.don)

Chris, fondateur de la marque ENNCCI (@ennccicrew) aux inspirations streetwear et contemporaines, possède liberté vestimentaire totale. Il revendique la créativité et laisse à chacun la liberté de s’exprimer au sein de son équipe afin d’encourager une atmosphère de travail prolifique et sereine. Son style personnel touche l’univers du sportswear et du streetwear, et s’inspire des figures emblématiques de cette catégorie comme Nigo (directeur artistique de Kenzo), Pharrell Williams (directeur artistique de Louis Vuitton) et Virgil Abloh (ancien directeur artistique de Off-White). Seule concession à son environnement professionnel : un équilibre subtil entre formel et informel, préférant évidemment un costume trois-pièces aux jeans, lorsque l’occasion s’y prête.

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Elsa Magnier: Un style éclectique pour une déclaration personnelle (@elsa.magnier)

Du point de vue d’une étudiante de mode comme Elsa Magnier, une tenue est surtout une combinaison d’influences. « Je porte un style éclectique, mais cohérent » dit-elle en exhibant une silhouette Mugler (épaules larges, buste en sablier, coupes droites et féminines) avec des tenues soigneusement composées. Elle s’oppose aux marques nouvelles qui reproduisent des tendances sans en capter l’essence et préfère se tourner vers la seconde-main. Pour Elsa, son style doit surtout mettre en avant ses valeurs personnelles. Fidèle à une mode durable et réfléchie, elle revendique une approche punk et anticapitaliste. Ses vêtements deviennent alors bien plus qu’un simple choix esthétique: ils se transforment en une déclaration politique et culturelle, un moyen de revendiquer des idéaux dans un milieu dominé par l’éphémère.

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Willy: La mode comme héritage culturel et expression d’identité (@wcazuguel)

Willy aussi porte son individualité comme un blason. Polyvalent, il revêt plusieurs casquettes: artiste-peintre, assistant-styliste, coiffeur-barbier, son style mélange l’univers du skate à la culture hip-hop. Il prône la même authenticité qu’Elsa, cherchant à capturer l’essence d’un style plutôt qu’à se soumettre au diktat des tendances. Ayant baigné dans les années 90 et la culture américaine, il affectionne des marques de sportswear et streetwear tels que Dickies, Tommy Hilfiger et Karl Kani. Mais il ne s’arrête pas là. Il incorpore des pièces statutairement fortes comme Ralph Lauren, tout en restant fidèle à l’esthétique workwear de Carhartt, un label né dans l’univers du travail manuel et aujourd’hui ancré dans une mode urbaine et décontractée. « C’est important de creuser quand on aime quelque chose », conseille-t-il aux jeunes passionnés de mode en quête de leur identité vestimentaire. Son uniforme est une composition maîtrisée : baggies amples, bonnets, palettes de couleurs ternes ou chromatiques. Il admet ne plus s’aventurer en termes de style, ayant trouvé ce qui lui correspond parfaitement. Son style est devenu une signature, un équilibre entre héritage et affirmation personnelle.

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Maeva: L’alliance entre le style personnel et les influences extérieures (@ntibp)

Le travail de Maeva Batina, attachée de presse pour l’agence North Communication, impose certaines obligations. Entre voyages, communiqués de presse, et déjeuners avec les journalistes, elle incarne l’univers des marques avec lesquelles elle collabore, tout en adoptant un style proche du gorpcore. Le gorpcore, tendance popularisée à la fin de la pandémie par la soif de découverte du monde extérieur, se caractérise par un vestiaire en fibres techniques inspiré des sports de montagne. Ce style met en avant des marques emblématiques telles que Columbia, qu’il détourne pour les adapter à un mode de vie plus urbain et contemporain. Ce style a aujourd’hui largement trouvé sa place auprès de nouvelles figures publiques, et intégré par de nombreuses marques de luxe dans leurs défilés. En tant qu’attachée de presse, Maeva doit représenter les marques avec lesquelles elle travaille, mais cela ne l’empêche pas de mettre sa touche personnelle, notamment son côté solaire qui se reflète dans ses bijoux.

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Eddy Bilou: Le style sous plusieurs facettes (@eddybilou)

Quand on parle de mode, on parle d’identité, on parle de style, on parle de soi et des autres, comme une communication silencieuse. Selon Eddy Bilou, créateur de contenus de mode, la mode est un jeu parmi ces codes. Il s’amuse avec les différents traits de sa personnalité, associant l’univers du chic et du sportswear à son caractère à la fois pointilleux, intellectuel et éloquent, à la manière de Cristobal Balenciaga à son époque. Eddy incarne des valeurs nobles qu’il transmet non seulement par ses choix de consommation mais aussi dans son travail, notamment en évitant le polyester et les matériaux synthétiques. Grâce à son œil de journaliste et d’influenceur mode, il explore les différents éléments de son style, adoptant des uniformes selon l’événement auquel il est invité. Son environnement devient une source d’inspiration constante, tout en incarnant l’univers de certaines marques qu’il apprécie, jamais sans versatilité. Son style personnel devient ainsi une forme d’ethos, où ses vêtements témoignent de sa vaste culture de la mode.

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Jean-David: La sobriété qui conquis le glamour (@httsdav)

Dans le monde de la mode, certains styles évoluent, tandis que d’autres restent fidèles à eux-mêmes. C’est le cas de Jean-David, qui révèle une personnalité et un style sobre, contrastant avec son travail de mannequin photo et de défilé. Sa personnalité calme se reflète dans son style personnel, qui mise sur les coupes droites et une allure épurée, entre chic et décontracté. Jean-David privilégie la longévité et l’adaptabilité de ses vêtements, lui permettant de suivre la forte cadence de sa double activité en tant que mannequin et étudiant en conception web. Son uniforme se compose des éléments phares de toutes les garde-robes : des jeans, des t-shirts et des hoodies, tous dans des tons neutres. Cependant, sa simplicité cache un sens aigu de la mode. Jean-David sait mettre en avant des accessoires issus de son patrimoine ivoirien pour enrichir son look. Bagues, bracelets, colliers artisanaux et de qualité : ces détails reflètent ses origines et confèrent à son style bien plus qu’une simple démarche esthétique. Pour lui, la mode est un moyen de revendiquer ses racines, transformant chaque tenue en une affirmation de son identité.

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La mode, comme un miroir, reflète ce qu’on souhaite montrer. Pour beaucoup, elle est un plaisir, une véritable expression de soi. Pour d’autres, elle impose certaines obligations que l’on peut contourner ou apprécier. Beaucoup disent qu’elle change, mais nous, nous dirions plutôt qu’elle évolue. Bien qu’elle soit un outil d’expression, au travail, elle est régie par le contexte professionnel, et le style varie en fonction du métier.

Ce que toutes les personnes interviewées ont en commun, c’est leur passion pour la mode et leur volonté de la voir évoluer, tout en restant fidèles aux valeurs des pièces qu’ils portent et de celles qu’ils créent.

 

 

Texte Johanna Payet