Diana Dobrescu, aka Dance Divine, s’impose comme une artiste complète : entre expérimentations musicales, esthétiques alternatives, projets aux allures cyberpunk et astrologiques. Née à Bruxelles d’une famille ayant fui le régime communiste roumain, et désormais installée à Tunis, ses univers hybrides mêlent énergie rave, queerness et engagement pour la diversité. Connue pour ses performances immersives et ses productions radicales, elle a marqué les esprits avec Push The Ground et Salvation, manifestes de la scène électronique indépendante. Comme elle nous l’a confié lors de la Strasbourg Music Week, son récent déménagement en Tunisie ouvre un nouveau chapitre créatif : la promesse de ponts inédits entre les cultures et les sons. Elle incarne ainsi une génération d’artistes qui bousculent les codes, entre revendication et fête.

 

 

 

Tu proposes une vision engagée de la fête et de la musique. Comment est-ce que ton identité nourrit ta création ?

Je pense qu’à travers les shows que j’ai faits, j’ai eu la chance de pouvoir me libérer. Plus jeune, je n’ai jamais vraiment senti que j’étais bien dans un collectif. Je crois que l’engagement peut aussi venir du fait que j’ai décidé d’être tenace, c’est-à-dire féministe, éco-féministe, engagée politiquement, activiste. Tout ce labeling, c’est très limitant, mais l’idée, c’est que je me suis retrouvée dans une quête de liberté. Et quand on cherche la liberté, on la cherche souvent contre un système en place. Je me suis démarquée par mon courage de vouloir mettre en texte et en musique ce que je pense de la société.

 

Tu te définis comme astrocrafter et performeuse transmédia. Est-ce que tu peux nous expliquer ce que ça signifie et comment ça se manifeste dans tes projets ?

Transmédia, parce que dans beaucoup de ce que je fais, j’essaie de créer une continuité, un fil qui relie toutes les créations, comme un ADN sinusoïdal. Rien n’est détaché, tout fait partie d’un ensemble, consciemment ou non. Ça se retranscrit dans des projets audiovisuels, de la musique, des podcasts, des événements, des installations. L’idée, c’est de créer et d’exprimer à travers tous ces médias qui s’entre-répondent.

 

Tes vidéos et performances brouillent les frontières entre les genres artistiques. Qu’est-ce que le format vidéo t’apporte que la musique seule ne permet pas ?

Ça fait un moment que je n’ai pas fait de vidéo, mais entre 2020 et 2022, j’essayais de retranscrire les raisons pour lesquelles un esthétisme me touche et pourquoi j’écrivais de la musique. Il y a des choses que tu ne peux pas dire dans le son, mais que tu peux retranscrire dans l’image, et inversement. Je me suis rendue compte que je pouvais créer un univers grâce à la vidéo aussi. J’ai un album sur YouTube, un peu niche, qui s’appelle Dark Goddess Yod  Transmutation, que j’ai voulu faire comme un album movie. Chaque track est cosmologique, répond à des placements astrologiques, et je cherchais à comprendre pourquoi je pense comme ça, pourquoi je suis différente. J’ai essayé de trouver ces réponses là dans la création.

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Comment vois-tu l’évolution de la scène queer techno et punk en Europe ou en Tunisie ? Et quel rôle aimerais-tu y jouer dans les années à venir ? Si tu pouvais créer ton propre espace de fête, à quoi il ressemblerait ?

La scène queer techno punk en Europe, je l’ai beaucoup aimée. Mais qui dit punk dit aussi véracité des échanges.  Maintenant je suis heureuse de bouger en Tunisie, par rapport à mon activisme, à différentes choses politiques, et aussi pour découvrir d’autres systèmes qui se rapprochent plus de mon état actuel. La scène tunisienne est super riche. Ce n’est pas « regardez-moi je suis là », mais « regardez-nous, on construit quelque chose ». Cet écosystème très fluide et subtil, j’adore m’y positionner en tant qu’élève. Je suis plus dans un état d’absorption par rapport à ce qui se passe en Afrique du Nord, tout en utilisant mon privilège pour créer des choses qui m’enrichissent et enrichissent les autres. Avec Aquatransmute, mon label, on organise des événements où on produit de la déconstruction. Beaucoup d’artistes en Afrique ne peuvent pas être libres ou labellisés clairement, car cela les mettrait en danger. Cette réalité nourrit une subtilité de création qui ne passe pas par « je suis ça », mais par « je crée, et tu prends cette création comme tu veux ». Il y a un vrai pouvoir dans l’émotion exprimée.

 

Est-ce que tu penses que la piste de danse peut être un lieu d’émancipation voire de transformation sociale ? As-tu des exemples de moments où la fête a permis de faire émerger une chance collective ou une forme de solidarité ?

Le dancefloor, c’est un peu le temple d’une jeunesse sacrifiée. C’est à nous, à travers les générations, de prendre cette culture, de la respecter et de la renouveler. Il n’y a rien de nouveau, mais il faut remettre en contexte. J’ai vécu des choses incroyables, autant positives qu’extrêmement perturbantes, car tout peut s’y passer selon ton état mental et social. L’année dernière, j’ai eu la chance de jouer à la Luxembourg Pride, où j’ai grandi. J’ai fait le closing DJ Set et le stage artiste pop, c’était incroyable de représenter mon travail transmédia, avec live signing et fashion. J’ai porté une robe Diesel argentée, un corset noir et j’ai réalisé moi même un chapeau de lotus. C’était une aventure transmédia de A à Z. J’ai fini avec une standing ovation sur les deux scènes. Ce moment a été une validation : quand tu es différent au lycée, tu te demandes si tu as ta place. Et puis là, déclic : Je vais faire ça jusqu’à ce que je ne puisse plus marcher.

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©Pit Redding

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Quels sont tes favoris mode du moment ?

J’ai des inconditionnels, surtout maintenant que je vis en Tunisie. Il y a cette coutume des fripes, des habits venus d’un peu partout, surtout des States. Tu trouves des pantalons pour 1 €, c’est l’art du digging, comme les musiciens ou DJs qui cherchent des perles musicales, les fashionistas cherchent la perle pour la soirée. Récemment, je suis tombée amoureuse de la marque George Gina & Lucy, une marque de sacs. Toute la communauté en Tunisie adore, chaque sac a un petit nom. Mes incontournables sont Diesel, Adidas, et j’ai un crush sur Rick Owens pour le brutalisme de ses designs. J’aime aussi des artistes chinois moins connus qui représentent une scène rave très écologique en Chine.

 

Ton univers visuel est aussi fort que ta musique. Quelles sont tes principales sources d’inspiration visuelle ?

J’ai eu un gros crush sur les mangas et la science-fiction de 16 à 20 ans. Ensuite, ce sont surtout les installations performatives découvertes à Bruxelles, les artistes plasticiens, les expositions. Par exemple, Meat Loaf, Bob Wilson. Et pour moi, encore plus intéressant que Björk, c’est Laurie Anderson, pour sa subtilité politique et sa déconstruction de la surveillance des états occidentaux. Visuellement, il y a aussi des trucs subconscients qui se mettent en place. J’aime tout ce qui est gore, cyberpunk, le monde du tatouage, du métallique noir. En ce moment, je porte beaucoup de gris métallique noir, il y a quelque chose de très vrai dans ces nuances, un côté indestructible.

 

Peux-tu nous décrire ta scénographie idéale où tous tes univers (musical, astrologique, politique et visuel) se rencontrent ?

Ma scénographie de rêve, ce serait avec beaucoup de danseurs, performeurs qui n’ont pas peur de confronter leur ancestralité et la monstruosité des paroles non dites. Pour mon prochain album, il y aura une création de masques digitaux et physiques. Dans cette scénographie digitale, j’imagine d’énormes panneaux LED qui retranscrivent des schémas visuels, des glitchs astrologiques qui permettent aux gens de se projeter, même s’ils ne comprennent pas le système, ils se sentent représentés. Toute l’installation aurait des plateformes nivelées pour le live set, une partie a capella avec des instruments faits maison, représentant comment mes ancêtres créaient la musique en Roumanie, et une partie DJ set sur une estrade plus haute, pour raconter l’histoire de la musique et de mon parcours, des jams a capella aux groupes punk puis au DJ set. Je veux permettre aux gens de voir ce monde transmédia dont je parle, même si parfois c’est difficile à saisir. Ce serait une performance avec d’énormes panneaux LED, si possible, des écrans… Et aussi une installation pour le Cyborg Amazon avec un costume audio que j’ai créé, et une technique qui me permettrait aussi de m’élever dans l’espace pour pouvoir chanter tout autour, à 360°, et permettre aux danseurs de me rejoindre dans ce système d’invitation. Waouh.

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Une toute dernière question, c’est quoi ta chanson du moment ?

Alors, en ce moment, j’adore l’artiste Théodora. Il y a un track que j’écoute chaque matin avant de faire mon café, ça me met direct dans l’ambiance Fashion Designa. Tout son album, tu te demandes comment elle fait pour n’avoir que des hits à chaque fois. Elle a tout compris, elle reste dans son flow. La couverture de l’album, chaque jour de nouveaux cheveux, des mini-jupes, elle assume tout, c’est vraiment slay. Bravo à elle.

 

En concert à la Pride du Luxembourg le 12 juillet.

 

 

Texte Tiphaine Riant

Image de couverture Pit Redding