Du marché local aux podiums de la Haute Couture, le madras, tissu emblématique des Antilles, raconte une histoire riche de culture, d’identité et de réinvention. À la fois symbole des identités culturelles caribéennes et reflet du capital culturel des élites, le tissu madras a su s’imposer dans le monde élitiste de la mode, et en particulier de la Haute Couture.
Oscar de la Renta, Louis Vuitton ou encore Ralph Lauren, ils ont tous en commun l’utilisation du madras, un tissu profondément ancré dans la culture populaire des Antilles.
Originaire de Madras, aujourd’hui Chennai, en Inde, cette étoffe est appréciée pour ses couleurs vives et ses motifs, née de l’entremêlement de fibres de bananier secs, puis en coton.
La vague caribéenne
Elle est arrivée aux Antilles à la suite de l’abolition de l’esclavage en 1848, lorsque les colons, en quête de main-d’œuvre, déportent des Indiens qui emportent avec eux ce tissu, devenu un héritage culturel de trois départements d’Outre-mer : Guadeloupe, Martinique et Guyane.
Bien qu’originaire d’Inde, le tissu madras est aujourd’hui un symbole d’identité et de résistance pour ces populations. Il a trouvé sa place dans les traditions vestimentaires, les coiffes et les accessoires de décoration, enrichi par les techniques créatives des artisans locaux.
À mi-chemin entre la mode et l’amour pour ses racines caribéennes, le styliste Oscar de la Renta a su réinterpréter ce tissu traditionnel pour mettre en avant son identité culturelle.
Lors de son défilé printemps-été 1992, il a intégré le madras dans plusieurs de ses créations, contribuant ainsi à sa reconnaissance dans le monde de la Haute Couture.
Cependant, la Haute Couture conserve une identité élitiste qui revendique un désir de distinction sociale, comme l’indique le sociologue Pierre Bourdie : « La haute couture présente des similitudes fonctionnelles avec les structures des fractions (et secondairement avec les groupes d’âge) des classes dominantes qui la prédisposent à devancer constamment les attentes de sa clientèle, le style jeune, pas cher, moderne, intellectuel s’opposant au style luxueux, traditionnel, conservateur, bourgeois ».
Lorsqu’elles s’approprient des éléments culturels comme le madras, les marques de luxe recontextualisent ces tissus dans un univers de prestige et d’exclusivité. Les maisons de Haute Couture jouent un rôle clé dans cette dynamique, tandis que le madras incarne des cultures spécifiques souvent marginalisées.
Pourtant, l’appropriation de ce tissu, ainsi que de la culture qui lui est associée, ne se limite pas aux marques de luxe, car elle trouve également un écho puissant dans la musique, où des artistes d’origine caribéenne s’inspirent du madras pour exprimer leur identité.
La culture caribéenne par la musique
Au-delà de la mode, la culture antillaise continue de se réinventer et s’impose désormais sur la scène musicale, où elle gagne en popularité.
Les genres musicaux traditionnels comme la biguine et le bèlè ont historiquement valorisé les éléments culturels caribéens, utilisant des symboles comme le tissu madras pour exprimer un attachement aux racines locales. Aujourd’hui, des artistes contemporains perpétuent cette dynamique, rendant hommage à leurs origines en adaptant des symboles visuels et sonores dans des contextes plus modernes.
De ce fait, de nombreux artistes intègrent des éléments traditionnels dans leurs performances visuelles comme Rihanna, avec son clip Work, véritable fusion entre son et image sensuelle, et ses racines barbadiennes, et Kalash, avec sa chanson Mwaka Moon, en collaboration avec le Belge Damso, arrivée n°1 en France lors de sa sortie en 2017. De même, Nicki Minaj, originaire de Trinité-et-Tobago, célèbre son identité caribéenne dans le clip Pound the Alarm.
En dehors de ces styles musicaux traditionnels, certains genres gagnent également en visibilité et mettent en avant la culture caribéenne à leur manière.
À titre d’exemple, Theodora, la chanteuse de bouyon derrière le récent tube Kongolese sous BBL, accapare la 11e place du Top Spotify France. Cette musique, née en Dominique, est propulsée à l’instar du shatta, un genre musical martiniquais hérité du dancehall qui, comme le madras dans la Haute Couture, connaît lui aussi une reconnaissance mondiale.
À de nombreuses reprises, et en particulier lors de l’événement Vogue World à Paris, le rappeur Kalash, icône de la scène dancehall, a ainsi eu l’occasion de faire rayonner le shatta et par extension, la culture caribéenne, devant un public international.
À l’image du madras dans l’industrie de la mode, ces sonorités caribéennes se sont diffusées et sont devenues des vecteurs de revendications identitaires, contribuant à faire entendre une voix culturelle forte et authentique.
Aujourd’hui, le madras continue d’inspirer le monde, en particulier les jeunes créateurs caribéens qui se lancent dans le prêt-à-porter et cherchent à mettre en valeur leurs racines.
Texte Jade Maurinier