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Alors que l’hiver s’installe à Paris, la scène musicale, quant à elle, est à son zénith. Le Pitchfork Music Festival Paris nous a bercé les oreilles du 4 au 10 novembre 2024, entre le 11ème (Badaboum, Supersonic, La Mécanique ondulatoire, Café de la Danse, Pop Up!…) et l’Eglise Saint-Eustache, le Trianon et le Trabendo. Naviguer d’une salle à l’autre, toujours plus pressés, fut un défi, les programmations se chevauchant sans cesse. Parmi les quatre-vingts artistes qui ont fait trembler la capitale, voici ceux qui ont marqué nos esprits.
Okay Kaya, une impression de sacré
Une impression de sacré. Okay Kaya nous donnait rendez-vous dans un lieu inhabituel : 20h à l’Eglise Saint-Eustache, l’immense bâtisse gothique qui trône au-dessus du quartier des Halles. La scène, petite et dépouillée au milieu du chœur, est seulement habillée d’un rang de petites bougies qui auréolent l’artiste américano-norvégienne d’une lumière presque divine. Ses ballades qui romancent la dimension banale de la vie résonnent contre les murs épais, les vitraux fragiles. Une voix douce, certes, mais qui sait se faire puissante ; durant Spacegirl (Shirley’s) de son dernier album Oh My God, That’s So Me, les notes vont presque chatouiller la nef. Okay Kaya, c’est définitivement une pop étrange, mais très attrayante. Sûrement à son image : elle s’en va avec quelques mots et un signe de main. Pas de traditionnel faux départ pour revenir chanter une dernière chanson, elle est vraiment partie.
Sega Bodega, la musique du futur d’aujourd’hui
Sega Bodega produit vos artistes favoris et il inspire les artistes favoris de vos artistes favoris. Après plusieurs années passées à remixer des titres et à DJ, Salvador Navarrete s’est fait une place dans le milieu de l’avant-garde électro, club et hyperpop. Au Trianon, le londonien trimballe son installation complexe d’effets de lumière pour offrir au public un spectacle. S’il n’est pas du genre à performer, les flashes lumineux emportent complètement le spectateur dans sa musique : emphase colorée sur les basses énormes et saturées, les beats syncopés, hachés, les synthés abrasifs. Aller voir Sega Bodega en concert, c’est payer sa place pour le meilleur club où vous puissiez jamais mettre les pieds. S’il a presque uniquement joué des titres de son dernier album, Dennis, il a complètement retourné et électrisé la salle, en restant presque statique dans son survêtement hors de prix. Peut-être que c’est à cela que l’on reconnaît un grand artiste.
Cobrah, performance sensuelle et magnétique
La jeunesse parisienne edgy s’est pressée pour voir Cobrah : une vague de chaussures à plateforme et de cheveux rouges, verts, bleus ont couru à travers les couloirs du Trianon quand il a été annoncé qu’elle entrait enfin sur scène. Cobrah, c’est une suédoise blonde et pâle qui ne chante pas ce qu’on attendrait d’elle. Culture BDSM et libération sexuelle sont ses mantras, qu’elle tonne sur des instrumentations électro, puissantes et incarnées. Sur Good Puss, on crie, sur Brand New Bitch, on hurle. S’il ne s’agit pas de la pop la plus cérébrale qui existe, Cobrah fait tout pour faire de ses concerts une fête : très bavarde, elle raconte des anecdotes, est tactile avec le public… C’est LA bad bitch qui est aussi super sympa, au final.
MRCY, la chaleur d’une certaine soul
Barney Lister et Kojo Degraft-Johnson, entrent sur le plateau du Café de la Danse appuyés par trois complices : Jerome Johnson (batterie), DoomCannon (clavier), et le multi-instrumentiste Harry Fausing Smith (saxophone, guitare, violon, clavier). C’est avec un inédit, Fear, qu’ils lancent leur set, nous plongeant immédiatement dans leur fresh soul. Ils explorent une grande partie de leur premier opus, Volume 1, avec des morceaux comme l’envoûtant Lorelei – une ode aux relations vouées à l’échec – et le bouleversant Flowers In Mourning, qui touche même les âmes les plus endurcies. Voir MRCY en live, c’est vivre un véritable moment de partage. On pourra dire : « J’y étais ».
Infinity Songs, électrique soft rock
La fratrie newyorkaise de soft rock, composée d’Abraham, Momo, Angel et Israel, sous le regard attentif de leur père, John Boyd, présent dans la salle, évoque une autre famille emblématique, celle des Jackson 5 – sans les chorégraphies. Même si leur riche héritage musical et choral, forgé depuis leur enfance, n’est pas immédiatement évident, le groupe déploie sur la scène parisienne tout son talent, témoignant des années passées à perfectionner leur musique. La performance vocale est fluide, agréable et pleine de passion. Chacun chante remarquablement en solo, mais la véritable magie opère lorsqu’ils harmonisent leurs voix. C’est surtout avec leurs titres viraux, Hater’s Anthem et Sinking Boat, qu’ils électrisent la salle. Israel, tous muscles dehors, se donne en show, incarnant son fantasme de rock star : il prend la pose, se couche sur scène, et même joue de la guitare électrique derrière sa tête. Energique et plein de passion.
Humble The Great, la simplicité contagieuse
Nous arrivons en milieu de set de Humble The Great dans un Pop Up! bondé et moite. Très vite, il devient évident que nous assistons à un moment unique de communion entre l’artiste et son public, lorsque ce dernier chante plus fort qu’Humble lui-même sur Angie. Peu de portables levés, tout le monde est absorbé dans un partage d’énergie pure avec le chanteur, qui, visiblement ému, ne cesse de sourire face à cette ferveur. Après son concert, il prendra le temps d’échanger longuement avec ses fans à l’extérieur. Something That We Can’t Give Up, son dernier single, trouve un écrin simple et intime, à l’esprit indie. Humble The Great incarne pleinement son pseudonyme, illuminant la scène de son énergie contagieuse et de sa joie sincère de partager ses mélodies avec le public parisien. Revigorant.
Notons le premier live ever de Chloe Quisha qui, avec sa pop parfaite mais avec un côté sombre et ludique, délivrera un set d’une rare maîtrise, les paysages sonores habités de la violoncelliste guatémaltèque Mabe Fratti, la performance décevante toute en poses de la néerlandaise Rimon, la pop maximaliste bricolée des londoniens Georgie & Joe et l’énergie disco-punk foutraque et jubilatoire des Fcukers.
Le Pitchfork Music Festival Paris a, une nouvelle fois, répondu à sa promesse et à nos attentes : un véritable laboratoire sonore où l’audace se mêle à l’expérimentation, et où les musiques du monde entier trouvent un espace d’expression scénique, une expérience hors du temps, reflet d’une génération avide de nouvelles sonorités. Merci à Ugo et Super!
Texte Antonin Pons et Lionel-Fabrice Chassaing