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Rencontre avec phytocene, à l’occasion de la sortie de son prochain EP, Primary Blue, attendu le 20 juin. Pour célébrer cet événement, la jeune artiste organise seule une release party au Petit Bain le 22 juin, où des masques seront fournis à l’accueil afin de garantir un espace sûr et accessible à toutes et tous.
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Figure montante de la scène indépendante, phytocene est une chanteuse et productrice de pop ambient qui navigue entre chants éthérés, productions électroniques et textes percutants sur la condition des femmes et leur émancipation. La jeune artiste hyper-indépendante et multi-tâches est aussi engagée sur tous les fronts : elle défend l’anti-validisme et la covid consciousness, place l’inclusivité et la protection du public et des artistes au cœur de son projet. Pour elle, l’art et la politique sont liés, et leurs liens indéfectibles.
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Ton nom de scène est phytocene. Qu’est-ce que ce terme signifie ? Comment résonne-t-il avec ton univers artistique ?
phytocene est un nom que j’ai choisi en 2021 en m’inspirant de livres de géologie, de biologie et d’encyclopédies. « Phyto » signifie « plante » en grec, et « Cene » est un suffixe utilisé pour désigner les ères géologiques, comme l’Holocène, l’ère climatique actuelle. La « Phytocène » n’existe pas vraiment mais évoque l’idée d’une ère des plantes. La nature m’inspire énormément, je passe beaucoup de temps en forêt, et j’essaie d’apporter un côté organique et éthéré à ma musique. Je trouvais que ce nom sonnait bien, même en anglais.
Quelle est la chanson que tu as eu le plus de mal à écrire, ou celle dont le sujet est le plus sensible ?
La chanson la plus difficile à écrire était the notebook, qui parle de viol. C’est la première fois que j’utilise ce mot explicitement dans une chanson, alors qu’il est souvent censuré, même si d’autres genres musicaux abordent des sujets crus. C’est un sujet rarement traité dans la musique, où l’on préfère souvent les chansons d’amour. J’écris principalement sur des thèmes difficiles, notamment la condition féminine, le féminisme et l’empowerment, comme dans 4b thinking, inspirée du mouvement 4B. J’écris surtout pour les femmes, mais mes chansons restent assez universelles pour toucher tout le monde. Une autre chanson délicate est promised dried blue, sortie en juin 2023, qui aborde aussi le viol de manière plus implicite.
Qu’est-ce que le 4B movement ? Et comment vis-tu cette démarche d’empowerment au quotidien ?
C’est un mouvement féministe coréen qui repose sur quatre principes : ne pas se marier avec des hommes, ne pas sortir avec des hommes, ne pas avoir de relations sexuelles avec des hommes et ne pas avoir d’enfants. Cela consiste à se détacher du regard masculin et à s’émanciper des injonctions patriarcales. J’applique ces principes depuis maintenant un an. Cette démarche m’a apporté une vraie liberté et une nouvelle vision de l’indépendance féminine.
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Comment définirais-tu ton univers sonore à quelqu’un qui ne te connaît pas encore ?
Je fais ce que j’appelle de l’ambient pop : des structures pop (couplets, refrains) avec des mélodies accrocheuses, mais un univers sonore très ambient. Je m’inspire beaucoup de musique alternative et ambient, comme Kali Malone ou Caterina Barbieri. Je cherche à rendre ma musique accessible tout en y intégrant des éléments moins conventionnels, pour proposer une expérience différente, idéale par exemple pour conduire de nuit.
Quelle importance accordes-tu à l’image et à l’esthétique visuelle dans ton projet, et pourquoi portes-tu souvent du noir ?
Le noir est une couleur que je porte depuis toujours, je me sens plus moi-même ainsi. C’est mystérieux, sobre et ça va avec tout, surtout avec un maquillage parfois extravagant. Aujourd’hui, l’image est essentielle dans la musique : il faut une persona, une aura, pour fidéliser le public. Pour phytocene, je n’ai pas créé de personnage, c’est simplement moi. J’aime l’idée d’être une figure un peu mystérieuse, éthérée, presque « out of this world ». L’image et la musique se complètent et sont cohérentes dans mon projet.

Tu organises une release party au Petit Bain et tu as choisi de fournir des masques au public. Peux-tu expliquer ce choix dans un contexte post-Covid ? Est-ce un geste symbolique, sanitaire, artistique ou les trois à la fois ?
Avant tout, c’est un choix sanitaire. Nous ne sommes pas vraiment en post-Covid, car le virus circule toujours, même plus qu’en 2020-2021, et ses effets à long terme sont désormais connus. Je fais partie de la communauté Covid Conscious, qui continue à porter le masque pour se protéger, en s’appuyant sur de nombreuses études scientifiques. Aux États-Unis, il existe des concerts avec masque obligatoire, organisés par des collectifs comme le Clean Air Club, mais ce n’est pas encore le cas en France. En tant qu’artiste, je veux me protéger, car je connais des musiciens qui ont perdu la capacité de jouer à cause de séquelles cognitives ou de neuropathies liées au Covid. La musique est la chose la plus importante pour moi, donc je considère que mon public doit aussi me protéger, et je souhaite créer un espace inclusif pour tous, y compris les personnes vulnérables ou atteintes de Covid long. Ce choix est également artistique, car je pense que protéger la musique et l’art est essentiel. Malheureusement, ce sujet n’est pas pris au sérieux dans les lieux culturels. Je veux sensibiliser mon public à l’anti-validisme et à l’anti-eugénisme, des sujets qui me tiennent autant à cœur que le féminisme et la lutte contre toutes les discriminations. Le masque obligatoire permet de rendre le lieu plus sûr, inclusif et accessible. Je souhaite créer une communauté où l’on prend soin les uns des autres, sans ignorer l’impact des infections virales. Dans mon concert, il y aura aussi des purificateurs d’air avec filtres HEPA pour améliorer la qualité de l’air et filtrer les virus, allergènes et polluants. J’espère que le public jouera le jeu, car c’est aussi une expérience sociale : il s’agit du premier concert inclusif avec masque obligatoire en France depuis la fin des mesures sanitaires.
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Organiser un concert avec des masques obligatoires doit représenter un investissement important, à la fois en termes de travail et de finances. Comment fais-tu face à ces défis ?
C’est effectivement un gros investissement. Heureusement, je vais être aidée par le collectif Mask Bloc Paris. Il existe des Mask Bloc partout dans le monde, et à Paris aussi. Ce sont des associations qui fournissent gratuitement des masques, notamment aux personnes précaires qui n’ont pas les moyens d’en acheter, ou à l’occasion d’événements. Beaucoup de gens ne peuvent même pas se protéger, donc ces organismes sont essentiels. Ils m’aideront aussi à communiquer sur le sujet, car je pense qu’il y aura des questions. De mon côté, je m’occupe de toute la communication visuelle, notamment les affiches pour sensibiliser L’idée est de créer une communauté safe et inclusive pour toutes et tous.
N’as-tu pas peur d’être jugée ou critiquée pour ce choix, dans un contexte où beaucoup pensent que le Covid n’est plus un problème ?
Non, je n’ai pas peur. Je sais que certaines personnes pourraient penser que je suis parano ou exagérée, mais je pense que mon public est assez jeune et ouvert. Je suis consciente que l’information n’est pas accessible à tout le monde et que certains peuvent me trouver étrange, mais justement, avec les connaissances que j’ai acquises en lisant des études scientifiques, je considère que c’est mon rôle, en tant qu’artiste, de sensibiliser à ces causes. Ma position me donne une plateforme, et j’en profite pour défendre des sujets importants. Pour moi, la musique et l’art sont politiques, et mes textes sont déjà engagés, notamment sur le féminisme. Si je peux aussi être une voix pour les personnes handicapées ou non-valides, c’est mon devoir et j’en suis fière.
Tu fais tout toute seule, de la communication à la production de tes projets. Souhaites-tu rester indépendante ou envisages-tu de signer avec un label à l’avenir ?
Je souhaite vraiment rester indépendante. Cela me permet de garder le contrôle total sur ma musique, mes droits et mes choix artistiques. J’ai déjà eu des propositions de labels, mais cela ne me correspond pas. Être indépendante me permet d’apprendre tous les aspects du métier, du montage vidéo au graphisme en passant par l’administration. Cela demande beaucoup de travail, mais c’est une expérience enrichissante et qui me correspond pleinement.
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À travers ta musique et ton image, quel message ou quelles émotions cherches-tu à transmettre au public ?
J’essaie d’écrire des paroles qui me touchent personnellement, mais qui peuvent aussi résonner chez d’autres, pour que chacun puisse s’identifier. Longtemps, je me suis surtout intéressée à la musique et aux harmonies, mais aujourd’hui, je veux que mes textes aient du sens. Depuis que j’ai lancé phytocene, j’ai reçu de nombreux messages, surtout de femmes, qui se reconnaissent dans mes chansons et dans les thèmes que j’aborde, souvent peu présents dans la musique actuelle. Cela me touche beaucoup, car cela crée un espace d’expression et de partage autour d’expériences vécues.
Enfin, peux-tu me parler de ton prochain EP, de tes chansons préférées, des difficultés rencontrées et de ton processus créatif ?
Pour ce troisième EP, j’ai pris une direction plus électro et electronica dans la production, en produisant tout moi-même pour gagner en indépendance. J’ai utilisé des VST comme Serum pour trouver de nouveaux sons, plus analogiques. Le projet comportera six titres, ce qui a demandé plus de travail. J’ai déjà sorti quatre singles : only true friend, clarity, anemona et serpentine. serpentine est mon préféré, car il me ressemble le plus, et cet EP marque une étape importante en termes d’autonomie et de production.
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serpentine est disponible via Phytocene (autoproduit).
Les places pour la release party de Primary Blue au Petit Bain le 22 juin sont disponibles ici.
Texte Tiphaine Riant
Image de couverture Lila Redares