Le film du jeune réalisateur Djo Tunda Wa Munga déclenchera-t-il la naissance d’un cinéma congolais ? C’est un challenge que l’homme aux commandes de Viva Riva ! aimerait voir aboutir, une option qu’il estime possible et tente de faire émerger auprès des futurs cinéastes africains. Car si La vie est belle de Mweze Ngangura et Benoît Lamy, première production congolaise, avait ouvert la voie et connu un franc succès, sa sortie date d’il y a… vingt ans. 

Cela faisait un bail que personne ne s’était lancé dans la périlleuse aventure d’un tournage à Kinshasa, une ville complexe chargée d’une histoire lourde à porter et gangrénée par les inégalités sociales, la pauvreté, la corruption, la prostitution et la criminalité. Une ville où la majorité des habitants vit au jour le jour, et tente de sauver sa peau tant bien que mal. Une ville qui, malgré ses imperfections, reste on ne peut plus attachante : « tu ne peux pas être à Kinshasa sans l’aimer, explique le cinéaste Djo Tunda Wa Munga. Il y a ceux qui partent, ceux qui sont partis et ceux qui sont là. Ceux qui sont là aiment, souffrent, regrettent, peuvent être énervés et désolés, brassent une foule de choses et de sentiments, mais vivent d’abord une histoire d’amour avec cette ville ».

Et si l’art était une première réponse aux maux de Kinshasa, et, par extension, du Congo ? En tout cas, le film Viva Riva ! a réussi, grâce à la détermination et l’ambition du réalisateur et de toute son équipe, à mettre le doigt sur le potentiel artistique des Congolais, un potentiel qu’on déplore de ne pouvoir admirer davantage et plus souvent, faute de moyens et d’infrastructures. Un fait qui n’a pas arrêté la production, parvenue à ses fins par la mise en place d’ateliers de formation temporaires, destinés à aider les acteurs à développer leur jeu dans de bonnes conditions.

Mais quel est cet exploit, objet de nombreuses sélections dans de prestigieux festivals (Toronto, Berlin…), bénéficiant d’une sortie internationale qui compte une dizaine de pays africains et récompensé six fois aux AMAA Awards (les Oscars africains) ? 

Made in Kinshasa

Ce projet fou est authentique sous de nombreux aspects : un casting non-professionnel du cru (à l’exception de la comédienne parisienne Manie Malone qui interprète la danseuse Nora, objet de tous les fantasmes de Riva) ; un tournage en français et en lingala (langue la plus populaire du Congo) et une bande originale au cachet de là-bas. En effet, le jeune réalisateur Djo Tunda Wa Munga n’a pas lésiné sur ce dernier point, la musique constituant une des grandes forces de Kinshasa. Après un long travail de recherche, il a assemblé une B.O. vivante, riche et envoûtante, parsemée de hits populaires africains et portée par la présence d’artistes de culture congolaise comme le guitariste Flamme Kapaya, le chanteur Papy Mbavu ou le groupe traditionnel Mabele Elisi. 

Entre fiction et documentaire

Viva Riva ! raconte la tragédie du jeune Riva (Patsha Bay). Après avoir passé dix ans en Angola, il revient plein aux as au bercail avec la ferme intention de devenir le nouveau maître de la nuit. Sauf que son argent pue l’illusion de liberté et l’embrouille : il l’a volé à Cesar (Hoji Fortuna), son ancien patron angolais lésé et mécontent. Ce dernier aura d’ailleurs vite fait de rattraper le Kinois dans sa course à la belle vie, à l’insouciance, aux femmes, au sexe et à l’alcool. Si ce film résolument moderne relève de la fiction, le personnage de Riva a été inspiré de véritables rencontres avec des contrebandiers qui puisaient de l’essence en Angola pour la revendre à Kin et se remplir les poches, vidées aussitôt à tout bout de champ.

Peinture d’une société à la dérive

Avec Viva Riva !, Tunda Wa Munga délie les langues grâce à une franchise déconcertante. Il montre à l’écran certains dysfonctionnements de sa ville natale connus de tous, mais dont personne ne parle, déverrouille les tabous autour de la sexualité à travers des scènes impudiques (grande première en Afrique) et n’épargne pas les âmes sensibles de séquences dures à regarder. Des situations peu digestes et violentes à l’instar d’une certaine réalité congolaise, reflétée par le film qui devient le miroir de « la dégradation des rapports humains qui s’est produite depuis quinze ou vingt ans au Congo » et de « la dégradation de la ville où l’argent semble être au cœur de tout, laissant derrière lui une pauvreté et une misère noire toujours plus importante ». Alors « tant pis si la violence du film choque, réplique Tunda Wa Munga. C’est une réalité ». 

Message d’espoir

Ce n’est pas sans humour (les caricatures très réussies de personnages comme le parrain local, la militaire homosexuelle ou le prêtre véreux) que le réalisateur met en perspective l’histoire qui a marqué le pays, sous forme de polar aux allures de road-movie. Un genre qui, selon Djo, « offre un espace pour une critique de la société », par le biais de « codes simples comme l’argent, la trahison ou encore la vengeance ». Mais derrière ce portrait de ville brisée, il faut lire un autre message, plus optimiste : le film est avant tout le moyen choisi par Tunda Wa Munga pour « prouver (…) que nous avons toutes nos chances en tant que société, et que le cinéma peut jouer un rôle dans notre vie ». Viva Riva !, c’est en somme l’âme de Kinshasa brillamment capturée dans une ode à l’espérance.

Viva Riva !

De Djo Tunda Wa Munga

(Happiness Distribution)

Sortie le 18 avril 

 

Par Valentine Croughs