Quand deux étudiants du conservatoire Oberlin se rencontrent, partagent la même passion pour la house oldschool et techno, et qu’ils décident de faire de la musique «qui aille plus loin que les productions actuelles», cela donne Teengirl Fantasy.

Teengirl Fantasy est le combo formé de Nick Weiss et Logan Takahashi, qui a pour particula- rité entre autre de composer et jouer ses titres en live ! Effet saisissant garanti : il s’ensuit une sorte de jeu entre les deux comparses et leurs instru- ments, ce qui donne une musique très dansante, hautement mélodique avec des rythmes cha- leureux qui rappellent les grands moments des premières productions disco-house. Toutes les parties étaient jouées…« Nos inspirations sont variées, mais particulières », nous précise Logan. « Je peux citer pêle-mêle Art Of Noise, la techno groovy de Detroit, Ryuichi Sakamoto, The KLF, Orbital, Debussy ». Et Nick d’ajouter de manière plus enjouée et vaporeuse : « Le lever et le coucher du soleil, les sub-basses, la radio, tous nos talentueux amis artistes (Gatekeeper, Inc, Laurel Halo…), et danser tard dans la nuit dans des clubs sombres et moites… ». Et quand on leur demande innocemment , quel est le fil rouge de ce nouvel album, Nick nous rétorque avec amusement : « Dance not dance. Pop not pop ».

Décidément, nos deux têtes blondes aiment compliquer les choses. Alors que leur musique semble si simple, en apparence seulement. Après un premier album 7AM assez expérimen- tal avec une utilisation moderne des samples qui reçut de bons échos dans la presse spécialisée comme XLR8 ou Pitchfork en 2010, le duo a largement progressé et nous livre aujourd’hui un disque beaucoup plus maîtrisé, où la confusion de leurs débuts s’efface au profit d’une éton- nante fluidité, et où les samples n’ont plus leur place. Tracer balaie un large spectre musical, allant de l’electronica pointue, pop alanguie, morceaux club aux beats d’airain, le tout produit avec maestria. Ils ont d’ailleurs reçu la cau- tion d’artistes de renom, venus collaborer avec eux, comme Panda Bear (membre de l’éminent groupe Animal Collective) ou la légende house Romanthony (NDLR : la voix de « One More Time » et « Too Long » de Daft Punk, c’était lui !). Pas étonnant de retrouver cet album sur le mythique label R&S qui a construit un pan de l’histoire de la musique électronique et ce, au moment même, où celui-ci renaît de ses cendres.

Du crépusculaire « End », que ne renierait pas Ryuichi Sakamoto (période Heartbeat), à « Orbit » qui rappelle les grandes heures des grands maîtres trancey Sasha ou BT, en pas- sant par « Inca » où les effluves estivales d’un Tycho soufflent, ou encore le luxuriant «Floor tofloor»,chaquetitres’égrèneavecbonheur. Mais l’album ne se résume pas à une collection de morceaux, mais représente un ensemble qui se répond, se sous-tend les uns les autres, se ren- force. Tracer est loin de ressembler à l’œuvre de deux jeunes artistes, mais montre au contraire une maturité, une sensibilité qui forcent le respect ! Et Logan et Nick de préciser : « Notre premier était assez instantané. Ce second disque nous a demandé plus d’efforts, de temps, de recherches, d’expérimentations et de réflexion ». Nous sommes donc allés rencontrer ces deux gamins à la tête bien faite et aux oreilles affûtées dans leur fief de Brooklyn.

Si on les questionne sur l’influence même de leur quartier si dense artistiquement, Nick s’em- presse de nous rétorquer : « L’énergie de Brooklyn est définitivement pour nous une inspira- tion, un moteur. Il y a tellement d’artistes que l’on respecte et qui travaillent dur. Quand tu es artiste à New York, c’est très concurrentiel et tu dois travailler d’arrache-pied pour y arriver et te faire ta place ».

Et quand on les interroge sur leur mot de la fin, on n’est, forcément, pas déçu. Logan nous sert un «vivre ou mourir» des plus réjouissant, tandis que Nick nous lance un « on ne vit qu’une fois » qui laisse fort à penser… De vrais boute-en-train, on vous dit ! «Music is my life and my life is music» n’entonnait-il p.as Felix Da Hou- secat en son temps ? Preuve ici que d’autres en ont fait leur profession de foi.

Teengirl Fantasy, Tracer (R&S records/Modulor)

Propos recueillis par Joss Danjean
Photos Kevin Amato
Réalisation Robyn Victoria Fernandes