Miranda!, le duo argentin composé d’Ale Sergi et de Juliana Gattas, se produit pour la première fois à Paris avec son dernier album, Hotel Miranda!. Une occasion en or de voir sur scène ce groupe phare de la musique latino-américaine, qui fête plus de vingt ans de musique joyeuse, accrocheuse et décomplexée. Entretien.

 

Il était une fois l’Argentine, en décembre 2001. Le pays plongeait de nouveau dans une crise économique et politique, mais cette fois-ci avec une violence et un désespoir inédits. Les banques étaient fermées, barricadées, et la population descendait dans la rue, tandis que les présidents se succédaient, ne restant en poste que quelques jours. L’année 2002 s’annonçait désastreuse : le jour, les piétons de Buenos Aires traversaient les rues la tête baissée, le dos voûté, le regard perdu dans un abîme sans fin. Mais la nuit, c’était une autre histoire. Il fallait chasser la fatalité des jours en célébrant la vie.

Sans argent pour payer l’entrée des clubs, les fêtes continuaient malgré tout. Des concerts improvisés, des raves clandestines, des soirées en appartement s’organisaient. Dans ce contexte, un CD autoproduit circulait de main en main, proposant une musique pop, colorée, festive, teintée d’électro, mais imprégnée de sonorités latino-américaines et de paroles affranchies de la dure réalité politique. Il s’agissait de Es mentira, le premier album d’un groupe directement issu du circuit fêtard porteño. Ils s’appellent Miranda! et ne ressemblent à rien d’autre dans l’univers pop et rock de la capitale argentine de l’époque.

Avec une musique hybride, un sens du show affirmé et une esthétique qui fusionne les telenovelas avec la new wave, la pop et les histoires d’amour brisées des boléros, leur proposition devient un cocktail d’influences improbables mais ultra-efficace. Ils apparaissent au moment précis pour sauver les âmes condamnées grâce à leur irrésistible sens de la fête.

 

 

Votre premier album, Es mentira, sorti en 2002, a vu le jour en pleine crise argentine, juste après le crack bancaire de 2001. Pensez-vous que la dépression dans laquelle sombrait le pays à ce moment-là et le caractère festif et décomplexé de votre musique aient eu un lien de cause à effet ?

Ale : Avec le recul, je pense que ce que nous faisions était un reflet de l’époque, mais à ce moment-là, ce n’était pas quelque chose de conscient. Nous voulions simplement faire la musique qui nous plaisait et créer un groupe que nous aurions aimé voir en tant que spectateurs. Cela dit, il y a eu un élément clé, qui n’est peut-être pas très romantique mais qui a joué un rôle décisif : comme je travaillais en tant qu’ingénieur du son, j’en avais marre de transporter du matériel. Ce n’était pas pratique, et c’était cher. Je voulais un groupe « transportable », quelque chose de léger. Un ordinateur, une guitare et nous deux, c’était tout. Tout tenait dans un taxi ! Et puis, à la base, le groupe était surtout une excuse pour sortir. Nous jouions dans les mêmes lieux où nous avions l’habitude de danser avec nos amis, mais cette fois-ci, nous faisions de la musique. Notre seule ambition était de pouvoir obtenir quelques verres gratuits (rires)… Nous étions loin d’imaginer que nous ferions ça pendant vingt ans et que nous en vivrions.

Juliana : Je pense que nous aurions fait la même musique, peu importe l’époque ou la situation, car c’était notre caprice, le rêve de notre vie. Mais c’est vrai qu’à ce moment-là, ce qui a contribué à notre petit succès, c’est qu’il y avait moins de groupes étrangers qui venaient jouer en Argentine, que les gens sortaient moins en boîte et que les fêtes se déroulaient plutôt dans des maisons privées. Notre démo a énormément circulé dans ces soirées. Nous avons bénéficié d’une sorte d’élan humain, d’un bouche-à-oreille puissant qui a grandement contribué à la visibilité du groupe.

 

« Le mot d’ordre était de ne pas se répéter. Comme c’est un répertoire que nous jouons tous les week-ends depuis tant d’années, le risque était réel. »

 

Après un peu plus de vingt ans de carrière, ce dernier album est-il un regard vers le passé, une sorte de crise du milieu de vie ?

Ale : En réalité, c’est un album que tous les artistes finissent par faire à un moment de leur carrière. On n’a rien inventé en ce sens, mais on voulait avant tout célébrer nos vingt ans dans la musique. Et on s’est dit que le meilleur moyen de le faire était de sortir un album de reprises, en invitant des artistes que nous aimons et des producteurs avec lesquels nous n’avions jamais eu l’occasion de collaborer. L’idée était surtout d’éviter de retravailler les chansons nous-mêmes. Même si notre producteur historique, Cachorro López, apparaît sur cet album, il y réalise un morceau sur lequel il n’avait encore jamais travaillé. Le mot d’ordre était de ne pas se répéter. Comme c’est un répertoire que nous jouons tous les week-ends depuis des années, le risque était réel. Alors, dès le départ, nous avons donné carte blanche aux artistes invités, et nous avons été très surpris : toutes les propositions étaient en parfaite adéquation avec notre vision. C’est notre album, nous avons supervisé la production générale, mais c’est un projet qui s’est enrichi du talent de nombreux amis et collègues. Et ils ont relevé le défi avec amour, car en général, ils connaissaient déjà très bien ces chansons.

 

 

Les collaborations et les croisements ont beaucoup marqué l’histoire du groupe depuis ses débuts, et ce phénomène est encore plus présent sur cet album. Comment abordez-vous la collaboration ?

Juliana : Nous sommes des mélomanes très curieux. De plus, nous n’avons jamais cessé de sortir le soir pour aller voir des concerts. Et comme tu l’as dit, les collaborations font partie de notre histoire, quelque chose qui est aujourd’hui bien plus en vogue. Sur cet album, ce qui nous a beaucoup aidés, c’est le concept de l’hôtel autour duquel il a été conçu. À partir de là, de nombreuses idées se sont déclinées, tant sur le plan musical qu’esthétique. Nous, en tant que propriétaires de l’établissement, et les invités dans le rôle d’hôtes ou d’employés. Cela nous a permis de travailler sur des univers très divers tout en maintenant une ligne conceptuelle commune. L’idée d’un concept album nous trottait dans la tête depuis longtemps, mais c’est seulement maintenant que nous nous sommes retrouvés à un moment de notre carrière où nous avions la maturité nécessaire ainsi que tous les outils et ressources pour le faire de manière sérieuse et aboutie.

 

 

On retrouve des invités d’univers très différents, certains plus proches de vous, d’autres moins évidents. De Lali Espósito à Chano de Tan Biónica, jusqu’à Cristian Castro !

Juliana : Oui ! Avec Cristian Castro, nous nous sommes vraiment fait plaisir. C’était la touche surréaliste. Là encore, l’idée était de ne pas se répéter. Nous avons invité des artistes que nous connaissions bien, mais avec lesquels nous n’avions jamais eu l’occasion de travailler en studio.

 

Dans ce sens, et pour faire un peu d’histoire, vous avez apporté un souffle d’air frais à la scène musicale argentine, qui venait d’une décennie très influencée par une scène indie rock s’acharnant sur une certaine idée de « légitimité » rock, que vous avez dépassée avec votre proposition bien plus décomplexée.

Ale : On sentait qu’on voulait créer un groupe qui ne se prenne pas trop au sérieux. Nous voulions pouvoir rire de nous-mêmes. Es mentira!, le titre de notre premier album, joue un peu avec ce concept. Ce n’était pas une opposition à quoi que ce soit, c’était juste que nous prenions ce qui nous plaisait et le mélangions avec nos influences. Et aussi, à cette époque, il y avait à Buenos Aires une petite scène qui évoluait déjà dans ce sens. Je pense à Sergio Pángaro & Baccarat ou Leo García, par exemple. Une scène qui, à son tour, était une sorte de continuité de celle des années 80, avec Los Twists ou Viuda e hijas de Roque Enroll, qui étaient déjà accusés à l’époque de faire de la musique « frivole », mais pour moi, c’était une musique joyeuse qui m’a beaucoup marqué.

 

« Nous avons trouvé une certaine jouissance à repêcher quelque chose de très kitsch, à représenter le mélodrame exagéré des feuilletons. C’était une passion que nous partagions pour le passé. De la même manière qu’aujourd’hui les jeunes sont fascinés par les années 2000, nous, nous adorions les années 60 et 70. »

 

Vous avez été influencés par une énorme variété de genres, de l’électro des clubs, du folklore, des rythmiques latino-américaines, tout en les croisant avec le mélodrame des feuilletons télévisés ou la musique romantique de Pimpinela, par exemple.

Juliana : Ça a surgi naturellement de la culture latino-américaine dans laquelle nous évoluions. Nous avons trouvé une certaine jouissance à récupérer quelque chose de très kitsch, à représenter le mélodrame exagéré des feuilletons. C’était quelque chose que nous adorions du passé. De la même manière qu’aujourd’hui, les jeunes sont fascinés par les années 2000, nous, nous adorions les années 60 et 70.

 

J’imagine que c’était aussi une influence venant de l’univers LGBT…

Juliana : Absolument ! Ça vient de là. Mais c’est surtout quelque chose qui est venu inconsciemment de ce que nous entendions. Le mélodrame fait partie de nous depuis toujours…

Ale : Oui, et puis nous avons toujours aimé la pop, et il y a beaucoup de pop latino-américaine à laquelle nous n’avons pas voulu échapper, au contraire… Par exemple, dans nos paroles depuis le début, nous utilisons le « tú » au lieu du « vos » argentin. Nous ne voulions pas sonner trop ancrés quelque part, nous voulions être perçus comme plus globaux, que l’on ne sache pas trop d’où venait cette musique. D’ailleurs, des années plus tard, quand nous étions en tournée au Mexique, ils croyaient que nous étions un groupe espagnol.

 

Quels albums sont pour vous les plus importants et pourquoi ?

Ale : Je ne sais pas si ce sont les plus importants, car chaque album a eu son importance… Mais je dirais trois. Sin restricciones, car il nous a ouverts à de nouveaux territoires tout en nous faisant beaucoup grandir en Argentine. Safari, avec le hit  Fantasmas, qui nous a un peu plus tard aidés à nous consolider. Et maintenant Hotel Miranda!, qui présente notre répertoire le plus célèbre à une nouvelle génération et à tous ceux qui ne nous ont pas encore écoutés.

 

En Argentine, vous avez aussi participé à une émission de télé très regardée (La Voz Argentina), ce qui a fait tomber une partie du fossé entre la scène de la musique indé et la télé. Et ça a très bien marché pour vous. Comment avez-vous abordé ce défi ?

Juliana :

Au début, nous avions beaucoup de doutes. Les émissions de télé-réalité liées aux concours étaient souvent mal perçues, mais nous avons décidé de tenter notre chance pour essayer de faire évoluer les choses de l’intérieur. Nous étions deux jeunes parlant un langage plus familier, ce qui a attiré l’attention. Nous avons choisi de rester nous-mêmes, sans essayer de correspondre aux stéréotypes télévisuels habituels. Et finalement, cela nous a énormément apporté. On ne réalise pas vraiment l’impact de la télévision sur la société jusqu’à ce qu’on se retrouve, par exemple, à jouer en province devant un public bien plus nombreux que ce à quoi nous nous attendions.

Ale : Ça a fait tomber un préjugé chez nous aussi. Même si nous nous considérions dépourvus de préjugés dans ce cas, il nous a fallu franchir un pas. Mais aussi, avant ça, nous avons toujours accepté d’aller jouer à la télé, quelque chose qu’auparavant, surtout les groupes de l’école du rock, ne faisaient pas tellement, car ce n’était pas quelque chose de très bien vu. Nous, nous nous sommes dits que si on nous laissait jouer notre musique, avec un bon son et sans nous demander de faire des choses que nous ne voulions pas, pourquoi ne pas y aller ? Nous n’avions pas de problème avec ça. Et effectivement, cela nous a fait beaucoup grandir.

 

 

Et maintenant, c’est la première fois que vous jouez à Paris…

Juliana : Oui, je suis venue une fois avec ma fille, mais c’est la première fois qu’on joue ici.

Ale : Cette tournée, c’est un peu nouveau pour nous. À chaque fois qu’on est venus jouer en Europe, ça a toujours été en Espagne, et une seule fois à Londres.

Juliana : Oui, on est « nouvelle » (elle le dit en français).

 

Qu’est-ce que vous aimez de la musique française ?

Juliana : Ah ! Plein de choses ! Phoenix, Daft Punk… Ce groupe… Papooz.

Ale : Oui, Gainsbourg aussi… Moi, j’hallucine aussi avec la manière dont ils produisent, comment ils compriment…

Juliana : Et Les Rita Mitsouko !

 

Oui, je pensais que Les Rita Mitsouko seraient un bon exemple pour vous décrire face à un public français, comme une sorte de Rita Mitsouko argentin…

Juliana : Tout à fait ! On adore ! Tu peux tout à fait leur dire ça là-bas ! Après, ils jugeront eux-mêmes (rires).

 

Et que pourriez-vous nous recommander des artistes argentins du moment ?

Ale : Il y a un groupe très bon qui s’appelle Silvestre y La Naranja...Silvestre y La Naranja...

Juliana : 1915, c’est très bien aussi.

Ale : Dillom m’hallucine, on a collaboré avec lui et on est devenue fans.

Juliana : Ca7riel y Paco Amoroso, ils sont superbes. Il y a une nouvelle scène underground maintenant qui est en train de se développer énormément avec l’explosion de la musique en espagnol.

 

Vous avez toujours fait attention à votre style, vos mises en scène, comme avez-vous travaillé cet aspect ?

Juliana : u début, de manière très instinctive avec ce qu’on avait à portée de main. Mais toujours avec l’envie d’attirer l’attention. On achetait beaucoup au marché aux puces, du vintage. On travaillait autour de la fantaisie et du divertissement. Puis, avec le temps, ça s’est organisé davantage. L’esthétique est ma passion et Miranda! m’a permis d’exprimer ça sur scène et nos albums. Je prends tout ce que j’aime du cinéma, de la photo, de l’art. Et ce qui est génial, c’est que peu importe d’où vient l’inspiration, une fois que ça entre en jeu avec nos chansons, nos voix, ça devient toujours Miranda! Il y a quelque chose de très ludique, mais qui dit toujours beaucoup de qui nous sommes.

 

@Lulú Urdapilleta

 

Niveau mode, as-tu des designers favoris, des influences particulières ?

Juliana : En Espagne, j’adore Alejandro Gómez Palomo. J’ai aussi beaucoup apprécié les costumes du film Poor Things… En France, je dirais Galliano maintenant. J’ai adoré ce qu’il a fait pour Margiela, je n’en reviens toujours pas… Il y a plein de choses, que si tu regardes en détail, tu retrouves dans nos différentes productions.

Hotel Miranda! est une excellente manière de vous présenter devant un nouveau public. À quoi doit-on s’attendre de votre show au Pan Piper ?

Juliana : À une vraie fête !

Ale : En général, il se passe toujours la même chose : quand on sort sur scène le public est déjà mort de rire… Car on sort en personnage, on se protège un peu comme ça… En-tout-cas, ils ne vont pas rester indifférents. Et comme tu dis, avec ce nouvel album, ils auront une vue d’ensemble de notre meilleur répertoire.

Juliana : Et avec plusieurs changements de tenues !

 

Pour terminer, un  Hotel Miranda 2 est en production, pouvez-vous nous avancer quelque chose de ce que vous préparez ?

Ale : Oui, Hotel Miranda 2 suit le concept du premier volume, avec des collaborations avec plusieurs artistes et producteurs, mais dans ce cas ça sera pour des titres inédits. Et comme exclusivité, on peut déjà annoncer qu’il y aura une collaboration avec l’Espagnole Ana Mena et aussi une autre avec Conociendo Rusia.

 

Miranda! sera en concert à Paris ce vendredi 30 août au Pan Piper. Billetterie ici.

Hotel Miranda! est disponible via Sony Music Argentina.

 

 

Texte Esteban Ulrich