Il est quatre heures de l’après-midi, Thérèse vend ses vinyles devant le grillage qui protège les loges de la Fête de l’Huma. Son show sur la scène Nina Simone-Zebrock terminé, de jeunes fans se pressent autour d’elle pour échanger.
En 2019, sur cette même scène qui souffle aujourd’hui ses 20 ans, Thérèse, lauréate du grand Zebrock, performait pour la première fois. En ce dimanche de fin d’été pourtant, l’ambiance est un peu différente d’il y a cinq ans, plus familiale. Mais, ce changement de public n’empêche en rien Thérèse de détailler sa prose, parfois crue, bien au contraire. « Sur mon ancien show, j’arrivais en slip à paillettes et je balançais un Chinoise ? truffé de gros mots. »
Pour autant, si le spectacle a quelque peu évolué, ses textes restent inchangés. « Quelque part, j’adapte assez peu mon discours. Les enfants doivent être au courant. Je pense que c’est une mauvaise chose de vouloir les préserver des vraies problématiques du monde, parce qu’à l’adolescence ils se réveillent et se rendent compte qu’on leur a menti sur plein de choses. »
« Si on peut aider des gens à prendre quelques raccourcis, à atténuer quelques souffrances, j’aurai l’impression d’avoir fait mon job. »
Le rôle de « tata » ou de « grande soeur », la chanteuse de 38 ans l’endosse volontiers, considérant qu’il va de paire avec la profession « Là, ils sont avec leurs parents et ils peuvent leur demander “La dame elle a dit quoi, pourquoi elle a parlé de tel ou tel sujet, c’est quoi le racisme maman, qu’est-ce que ça veut dire d’être sexiste etc.” Si on peut aider des gens à prendre quelques raccourcis, à atténuer quelques souffrances, j’aurai l’impression d’avoir fait mon job ».
L’Attente, album d’engagement
Avec ces écrits engagés, Thérèse utilise son métier comme un levier de son militantisme, un porte-voix pour les causes qu’elle revendique. « Le travail des artistes c’est d’aller partout, prêcher des convaincus, faire du bien aux gens parce qu’ils sont safes, mais aussi d’aller dans des endroits où on ne nous attend pas, où potentiellement on a peur de nous, et montrer à quel point on est pareil. Je suis arrivée dans des patelins où je pense qu’ils ne voyaient jamais de personnes asiatiques. »
Outre le racisme anti-asiatique, elle expose de nouvelles thématiques dans son dernier album L’attente. « Tu n’es jamais à l’abri finalement de tomber amoureux d’une personne noire ou que ton enfant naisse handicapé. L’idée, c’est de faire de la place pour tout le monde. »
Sa musique lui permet ainsi de toucher aux causes qui lui tiennent à cœur tout en ajustant le curseur. « Il y a des sujets sur lesquels je me sens moins légitime, je les aborderais de façon un peu poétique et lointaine. Par exemple, Sirène parle des violences sexistes et sexuelles et des personnes violées, ce qui ne m’est jamais arrivé », raconte Thérèse qui se positionne alors comme témoin et choisit la métaphore. « Ce n’est pas mon histoire et à la fois, c’est l’histoire de mes proches, de mes amies, de mes sœurs. »
Artiste, elle souhaite que ses auditeur.ices puissent s’approprier son œuvre sans toujours être dans l’ultra-explicité de Chinoise ? « Parfois j’ai envie de rester en pointillés et que les gens se fassent leur propre avis. Dans le morceau No Right Time, on ne sait pas nécessairement que je parle de la mort au premier abord. Je laisse les gens interpréter ».
Thérèse, ADN militante
Avec un burn-out, une reconversion professionnelle et une greffe du foie, Thérèse a vu défiler des chapitres qui laissent des cicatrices. À partir de ces épreuves, elle a façonné un prisme teinté par l’activisme. Elle se rend d’ailleurs à un séminaire pour parler des femmes considérées « agées » par l’industrie. « En 2017, j’ai sorti mon premier EP sous un ancien projet, un peu plus rock, j’avais déjà 31 ans. Il y a très peu d’artistes – en France en tout cas – qui essayent d’entrer dans l’industrie à la trentaine. »
Un constat qui s’applique particulièrement aux femmes, relate-t-elle. « J’avais envie de militer pour qu’il y ait plus de femmes de plus de 30 ans. C’est là que je me suis rendue compte qu’elles n’étaient pas là, que rien n’était fait pour elles. » Plus qu’une absence de dynamique, Thérèse décrit ici un mur difficile à infiltrer. « Il y a des programmes pour entrer dans l’industrie et tu n’as pas le droit de postuler si tu as plus de 25 ou 30 ans. »
« La colère de Thérèse est un peu cynique. J’observe, je critique, tout en ayant conscience que j’en fais partie aussi. »
En tant que femme racisée qui a donc dépassé la trentaine, l’industrie musicale est un secteur sur lequel, lucide, elle a beaucoup à dire. « La colère de Thérèse est un peu cynique. J’observe, je critique, tout en ayant conscience que j’en fais partie aussi. » Dans BB, son feat avec Coeur, les deux artistes pointent l’opportunisme de leur milieu, dénonçant notamment l’usage du pinkwashing. « J’y vais pas de main morte dans la chanson, mais je le pense vraiment. On utilise les personnes LGBT, les personnes racisées pour se faire du fric, créer des événements qui parlent à la gen Z par exemple. On crée des marchés, des niches pour que les personnes consomment et je trouve ça assez hypocrite. »
Pourtant, petit pas par petit pas, grâce à des artistes militants à l’image de Thérèse, les tentatives pour désencrasser la machine de l’industrie prennent. « Quand j’étais gamine, il n’y avait pas de ‘moi’ dans l’industrie. Quand j’ai commencé, on parlait encore d’Anggun, alors qu’on n’a pas grand-chose en commun… Je suis française d’origines asiatiques avec un “s”, sino-lao-viêt née à Ivry-sur-Seine. »
« J’accepte complètement d’être une artiste indé qui fait de la musique “de niche”, et le niveau de notoriété qui va avec. Je sais que je ne serai pas une Angèle. »
Aujourd’hui, elle est devenue la référence et elle ne se prive pas d’utiliser de ce statut, comme lors de son apparition dans le documentaire Je ne suis pas chinetoque. « Avant on n’avait pas voix au chapitre, on était quasiment invisibles dans la société. Ça change un petit peu grâce à nos adelphes noirs, les personnes arabes, etc. Grâce aussi à nos alliés qui nous laissent plus d’espace et qui se rendent compte que… “Ben oui, c’est vrai, les Asiats ils-sont où?”. »
L’engagement de Thérèse s’entend bien au-delà de ses chansons. Elle ajoute ainsi une pierre au chemin des possibles, quitte à se caler sur un rythme qui diffère du mainstream. « J’accepte complètement d’être une artiste indé qui fait de la musique “de niche”, et le niveau de notoriété qui va avec. Je sais que je ne serai pas une Angèle. J’ai cette position dans l’industrie et, au-delà de kiffer ce que je fais, il y a l’enjeu de représentativité. »
« Notre industrie n’a de cesse de nous faire croire qu’il n’y a qu’une seule place pour une femme noire, asiat, arabe, grosse… Je suis persuadée que ce n’est pas vrai ! »
À travers sa carrière, Thérèse souhaite « dire aux plus jeunes, vous pouvez le faire aussi : regardez la grande sœur ou la tata peut le faire. Moi aussi je peux devenir chanteuse, musicienne, faire du cinéma, j’ai droit à la parole, à l’espace, let’s go quoi ! »
Se serrer les coudes
Plus que la représentation, le message de Thérèse est aussi celui de tisser du lien entre minorités. Militer serait aussi être l’allié de l’autre. « C’est important de s’entraider dans une société ultra capitaliste. Notre industrie n’a de cesse de nous monter les uns contre les autres – notamment les femmes – de nous faire croire qu’il n’y a qu’une seule place pour une femme noire, asiat, arabe, grosse… Je suis persuadée que ce n’est pas vrai ! » Convaincue que l’industrie musicale est suffisamment grande pour la diversité, « les auditeur.ices sont prêts à consommer plein de choses. Ce n’est pas parce qu’on écoute Rihanna qu’on écoute pas Beyoncé, c’est pareil. »
Or, fédératrice, Thérèse ne milite pas qu’auprès de son public. En effet, elle s’attelle à la tâche de l’intérieur et a récemment créé TigerBomb, un réseau de soutien. « Il faut se serrer les coudes. C’est plein d’artistes afro-descendants, qui s’entraident, se balancent des tips, font des tables rondes. J’ai pour objectif de faire des soirées pour promouvoir la diversité de nos cultures, de la musique qu’on peut offrir au monde. Du rock, de l’électro, de la pop, de la variété… c’est ultra riche et juste, on ne les voit pas », martèle-t-elle.
Alors, s’il y a un message que Thérèse veut adresser au public : « souvenez-vous que vous avez un pouvoir de ouf, votre pouvoir de consommation est presque supérieur à votre pouvoir de vote ».
L’attente est disponible via La Couveuse/X-Ray Production.
En tournée en France, notamment à Rambouillet (L’Usine à Chapeaux) le 23 novembre.
Texte Louise Pham Van
Photo couverture Sarah Jacquier