/

Paris, 21 juin. Ce devait être une fête. Ce fut un miroir de combats. Dans le cadre de la France Music Week, initiative présidentielle confiée au ministère de la Culture, la Fête de la Musique a opéré un virage inattendu. Un concert pensé comme une prise de parole collective.

 

 

Une scène monument

21 artistes. 4 heures. 25 000 personnes. Mise en scène signée Thierry Reboul, direction musicale confiée à Victor Le Masne, les deux hommes derrière l’organisation des cérémonies des JO 2024. Une seule idée en tête : que la musique pense, parle, et parfois dérange. Une sorte de résistance sonore face à un monde sous tension.

En préambule, les mots de Victor Hugo : « La musique, c’est du bruit qui pense ». C’est exactement ce qu’a livré la soirée. Dès les premières minutes, Abd Al Malik plante le décor avec un texte humaniste inédit Le monde d’après suivi de l’hymne pacifiste d’Edwin Star War. « On vit un moment grave, on vit un moment dangereux. La culture est le dernier lieu de résistance. Si on veut vraiment se battre pour la paix, je veux le faire par la musique », nous confie t-il à sa sortie de scène.

Le ton est donné : on chantera ici pour secouer les consciences. Chaque artiste a eu carte blanche sur son choix parmi une liste de titres proposés par Victor Le Masne avec pour objectif la diversité des points de vues sans jamais se départir du partage. Un format court, souvent frustrant – un seul morceau par artiste – mais une liberté éditoriale rare.

/

Camille © Marie Flament

/

Des titres choisis en pleine conscience

Camille choisit Résiste de France Gall. En équilibre entre révolte intime et appel politique, elle nous confie : « Il faut résister, il faut s’engager, il faut défricher, il faut éclairer. On peut changer les choses dans notre quotidien. Résister, c’est rester joyeux. Et libre ».

Bernard Lavilliers reprend son titre Noir et Blanc, devenu un classique contre l’oppression, les brutalités policières et notamment l’affaire Malik Oussekine : « Elle est toujours actuelle. Je pense que je l’ai réussie ce soir ».

Malik Djoudi, bouleversé, reprend Les émigrants de Charles Aznavour : « J’ai pensé à mes grands-parents. ma grand-mère vietnamienne et mon grand-père algérien. La première fois que je l’ai répétée, je chialais un peu. Il est important aujourd’hui qu’on ouvre nos gueules un peu, qu’on  défende des causes plutôt que d’être un peu consensuel et faire plaisir à tout le monde ».

Christine and the Queens nous offre deux titres Pride de U2 et What’s Going On de Marvin Gaye : « La musique ne doit pas seulement adoucir les mœurs, mais révéler les failles. La musique n’oublie pas, la musique se souvient, la musique exprime, la musique peut sauver des cœurs. Elle est un outil de communication tellement magnifique qu’on peut aussi communier sans trop souffrir, ce qui peut être un moment aussi de célébration, d’honneur de notre humanité. La fête de la musique, pour moi, c’est aussi la fête de tout ce que la musique peut permettre de faire y compris un regard sur le monde engagé qui puisse rester vivant aussi, sans mourir dans la honte d’abandonner nos frères et nos sœurs sur d’autres territoires ».

Le cœur politique du concert bat ici. Chaque artiste tente, à sa manière, de faire rimer plaisir et partage avec lucidité.

Sauver l’amour, faire monter la vasque

À 22h11, la vasque olympique s’élève au son de Sauver l’amour de Daniel Balavoine, dans de nouveaux arrangements signés par Le Masne. Un frisson traverse le public. Balavoine comme fantôme tutélaire de cette soirée : militant et poétique.

/

/

Autres voix, autres combats

Solann a choisi Les voleurs d’eau de Henri Salvador, texte écologiste et anticolonial : « Celle-là, c’était pour moi le bon choix. Faire la fête sans oublier ailleurs…  Gaza, mon pays l’Arménie. L’art, c’est transmettre ».

Alex Montembault reprend Un garçon pas comme les autres de Starmania dans une version tendre et nue : « Ca fait du bien de se réunir pour célébrer la musique, célébrer l’art. C’est fort et c’est important de le faire. C’est très très émouvant de se retrouver là devant autant de personnes et de se dire qu’on est tous là pour la même chose. Ce soir, c’était un grand saut. Une responsabilité ».

Thee Dian choisit Balance ton quoi d’Angèle et vit un rêve : « J’ai commencé la musique professionnellement il y a deux ans. C’est tout récent. Trois ans plus tard. C’est un très grand saut. C’est assez ouf. Je suis honorée. Vraiment, je n’aurais pas pu rêver mieux cette année ».

Max Baby re-politise Born in the USA de Bruce Springsteen : « C’est une chanson qu’on pense hyper patriotique, mais c’est plutôt un cri de rébellion. Et en fait, je trouvais ça important de lui redonner ce sens  protestataire et qui est d’autant plus actuel aujourd’hui avec ce qui se passe aux Etats-Unis ».

Et autour, les autres – La Femme, Lous and the Yakuza, Kalash, Keren Ann, Marco Prince, Sol Gabetta, Marine… – viendront confirmer une grande diversité d’approches.

/

/

Saluons ici la qualité incroyable des musiciens et choristes/solistes réunis par Victor Le Masne qui ont su envelopper merveilleusement les artistes.

After électro, dernier souffle

De 23h à 00h30, Miss Monique et Major Lazer Soundsystem transforment le Louvre en dancefloor chic. L’after-show joue la décompression, mais conserve le groove d’une soirée habitée.

Un concert résistant, une fête pas naïve

Cette officielle édition 2025 marque un tournant, elle fut l’espace d’une soirée une chambre d’écho des maux et des combats de l’humanité. Cette célébration musicale fut aussi la clôture de la France Music Week, un événement d’envergure internationale… monté en un temps record de cinq mois.

Pensée comme un rendez-vous majeur de l’industrie musicale mondiale, la France Music Week visait à faire rayonner la création française tout en attirant les regards des grands noms de la musique mondiale. Du château de Villers-Cotterêts aux ors du Palais Garnier, l’événement a enchaîné concerts, showcases, tables rondes, et networking intensif. Mais ce déploiement express a laissé certains sceptiques sur la profondeur réelle de l’initiative.

Une ambition XXL, un calendrier serré

Avec un budget de 7 millions d’euros et un plan de financement de 500 millions sur 5 ans annoncé en ouverture, la France Music Week a mobilisé un grand nombre de grands acteurs de l’industrie. Résidences artistiques francophones, journées d’échange avec des professionnels du monde entier, sommet au Palais Garnier, puis réception à l’Élysée : tout a été mené tambour battant. Pourtant, plusieurs acteurs de la filière dénoncent un événement « monté à la va-vite », laissant peu de place à la diversité des scènes locales ou à la réalité économique du secteur.

/

© FMW Florian Léger

/

L’innovation à l’honneur, les artistes en retrait

Moment fort de la semaine, l’Innovation & Tech Day a réuni plus de 300 professionnels et start-ups autour des défis de l’intelligence artificielle, de la découvrabilité et des nouveaux usages. Le 20 juin, le sommet international a vu défiler les PDGs de Spotify, YouTube, Deezer, Believe ou encore Warner, dans une série d’échanges valorisant les réussites du streaming et les marchés émergents. Mais peu de place a été accordée aux sujets qui fâchent : rémunération des artistes, concentration du marché, ou précarité du live.

Une vitrine brillante… et des zones d’ombre

Si la France Music Week a su offrir une vitrine spectaculaire, notamment avec la clôture présidentielle dans les jardins de l’Élysée, elle a aussi mis en lumière un certain déséquilibre. Louée pour sa capacité à réunir les géants de l’industrie en un temps record, elle a aussi été critiquée pour avoir négligé les enjeux sociaux et culturels du secteur. Un événement à la hauteur de ses ambitions ?  Le débat reste ouvert. Comme le demeure l’application du décret sur les nuisances sonores engendrées par les Festivals, impossible techniquement à respecter.

Si cette initiative du Chef de l’État fut plus démonstrative qu’active, cette Fête de la musique 2025 est redevenue ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un miroir tendu à la société.

 

Revoir le concert ici.

 

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing 

Image de couverture Marc Ausset