On oublie parfois que nos attentes musicales se portent sur une invocation à la nouveauté. Non pas à la redite, à la répétition qui nous enferme dans un triste cycle terne et insignifiant. On demande du neuf, pour contredire audacieusement le précepte du « c’était mieux avant ». Et ce neuf, on le reconnaît à l’autoroute expressive que va subir notre visage, de l’ahurissement à la joie coupable, presque pécheresse, de jouir d’un plaisir exquis.

Oh oui, les Jagwar Ma, ces Australiens de Sidney peuvent très rapidement passer en travers de votre journée et la retourner, la décontenancer, sans que vous ne sachiez plus par où la prendre. À écouter, ils seraient presque dangereux en te faisant prendre tes désirs pour des réalités. Mais n’en ayez cure, il n’est après tout pas si péché de se laisser prendre et entourlouper par ce genre de plaisir (innocent ?)  Toujours est-il que ces chers « Sydneysiders » viennent de sortir leur premier album, Howlin, le 11 juin dernier sur le pétillant & océanique label Future Classic pour l’Australie, et chez Marathon Artists pour l’Europe. D’un côté, Jono Ma s’est occupé de la production. De l’autre, Gabriel Winterfield a géré la partie chant. La complémentarité absolue. L’enregistrement s’est déroulé dans une vieille ferme, dans le sud de la France, et l’écrin pittoresque a donné naissance à un rock-disco gargantuesque. Sans exagérer, leur album est du type conquérant, et ne laisse pas indifférent. Les débuts de What Love, premier morceau de l’album, sont monopolisés par des voix qui scandent les paroles, la puissance allant croissante, l’envoûtement également, le rythme pesant fort dans la balance corporelle. The Throw, dans la même veine, te confond dans ta raison et te perturbe d’accumulations vocales. D’après les dires d’un ami, la montée sonore à laquelle les Jagwar Ma participent serait idéale pour venir en aide à la reconstruction matinale, un café en bouche. Le son s’affirme, les mélanges aussi, du disco au rock, de l’électro trendy aux variations prises de risques. Arrive Uncertainty qui, en plein dans le mille, réalise la symphonie avec gueule. Ca donne joie et euphorie. Hilare, on s’emporte sans peine et on délire, un coup de soleil à l’esprit, l’électro dominante. Electro qui « frénétise » ici, là, et agit parfois en concentré comme sur Four.

Puis, soudain, c’est le retour des guitares et le groupe devient résolument rock comme dans That Loneliness où la voix semble presque se gausser de cette nervosité rock, comme si rien ne se prenait finalement au sérieux. Pareil chez Let Her Go où la guitare se barre dans des pseudo-balades pop-folk-rock dans le genre habituel, jusqu’à ce que tout soit envoyé en l’air, le rythme prenant le dessus, un autre genre musical venant contrer l’ennui. Génial, exultation ! Néanmoins, quelques morceaux se perdent un peu dans un brouillard sonore, jusqu’à perdre l’identité première. La fin de l’album est pour ainsi dire brumeuse et l’endormissement n’est pas loin. À moins que la volonté soit à l’endormissement vaudou, l’ensorcellement ultime comme sur la fin d’Exercise où des bruits sauvages prennent le pas sur le rythme, jusqu’à te conduire dans tes rêves les plus profonds. Suivra Did You Have To, morceau aux vraies allures chillwave. La légèreté reprend sens et on se rend compte que la progression est inversée, l’agitation laissant place au repos. Dans la moiteur de l’air, on ferme un œil, puis deux, les herbes sont hautes, et c’est l’extase.

Par Emilie Jouan