Natasha Alia est une jeune créatrice basée à New York. Artiste aux influences multiples, ses créations racontent une histoire et communiquent un message plus que jamais d’actualité : celui de l’impact de l’homme sur la nature. Récemment finaliste du concours Parsons x Kering Empowering Imagination, la jeune femme signe une première collection très réussie, inspirée par un voyage dans de lointains glaciers norvégiens… Rencontre avec un talent à suivre.

Tu es née en Californie, mais tu as passé ta jeunesse à voyager. L’Inde, Londres, New York… Est-ce que ces expériences ont une influence sur ton travail ?
Ces voyages m’ont donné une perspective aussi esthétique que culturelle et m’ont aidé à développer une réelle conscience sociale. Ces expériences s’infiltrent dans ma manière de travailler, de penser. J’ai eu la chance d’être confrontée très jeune aux différences, positives ou négatives, qui peuvent exister selon les cultures. Cela nourrit les voyages que je fais aujourd’hui, mes explorations et, finalement, mon travail.

Quand t’es-tu rendu compte que tu voulais être créatrice de mode ?
Mes séjours dans d’autres pays m’ont offert des vitrines sur la variété qu’il peut exister chez les hommes, qu’il s’agisse de façons de vivre, de penser ou d’esthétisme. J’aimais dessiner ce que je vivais et ce que je considérais comme réel, et de manière involontaire je faisais vivre ma perception de la réalité. La création a toujours été partie intégrante de ma vie et c’est ce qui m’a amené à Parsons.

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Ton projet de fin d’études « Ghosts of Svalbard » touche à des considérations environnementales et politiques. Comment l’idée de cette collection t’est-elle venue ? Tu as même été jusqu’à voyager à Svalbard, un archipel en Norvège, où tu as été confrontée aux dégâts causés par l’homme.
Svalbard est un très bel endroit. Je m’y suis d’abord rendue avec l’intention de confirmer un concept, celui d’habiter l’inhabitable, qui était alors le focus de ma collection. Cependant, j’ai réalisé assez rapidement que Svalbard est un endroit où plusieurs réalités cohabitent. Ces dégâts ne sont pas visibles immédiatement, ils sont une sorte de triste réalité, cachée sous une magnifique surface. Cette réalité, c’est le résultat de nos décisions, qui nous ont transformé en intrus, malgré nous. Même si peu de personnes voyagent jusqu’à Svalbard ou dans d’autres endroits lointains et isolés, notre influence s’y fait ressentir. Endommager l’environnement, modifier le terrain… Nos décisions deviennent des fantômes qui se manifestent même dans l’inhabitable. On peut vivre à New York, mais notre présence se fait ressentir à Svalbard. C’est cette double présence que ma collection aborde.

C’est important de partager un message à travers tes créations ? On sait que l’industrie de la mode est une des industries les plus polluantes, est-ce que tu ressens une certaine obligation à parler des problèmes qu’elle engendre ?
Oui. Une des opportunités offertes aux créateurs est la possibilité de matérialiser nos sentiments et de les transformer en messages. L’industrie de la mode est de plus en plus consciente de son impact à plusieurs niveaux : social, environnemental et politique, mais sans clients conscients de ces questions, notre portée est limitée. Nous avons la chance de pouvoir informer et inspirer les autres autant que nous-mêmes, de pouvoir faire partie d’un effort collectif qui nous amènera à prendre des décisions plus humaines et durables, sans pour autant mettre de côté des considérations esthétiques.

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« Ghosts of Svalbard » associe avec brio des lignes et des silhouettes féminines à des éléments sportswear. Est-ce que tu aimes explorer cette dualité ?
La dualité, les contradictions inspirent la complexité et encouragent la curiosité. Je suis enchantée à l’idée que des femmes puissent porter mes créations et qu’elles deviennent d’une certaine manière mes fantômes. Des créatures qui possèdent des qualités disparates et en sont fières. En mélangeant ces éléments contradictoires, je souhaite créer une femme libre de toute définition.

Y a-t-il des designers que tu admires, avec qui tu aimerais collaborer ?
Shayne Olivier, le fondateur d’Hood By Air, est fascinant par son aptitude à nous pousser à nous questionner sur des notions esthétiques préconçues. La façon de travailler d’Alexander Wang est aussi très intéressante, il crée des vêtements simples, mais réussit à en faire des pièces streetwear dont l’attrait est immédiat. Bien entendu, j’admire Stella McCartney. Son engagement va de pair avec son travail, son style et sa manière de créer. Ce serait un vrai honneur de pouvoir travailler pour une de ces marques.

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Sur ton site internet, on peut découvrir le projet Communication + Fashion. Tu peux nous en dire plus ?
À Parsons, je me suis spécialisée dans la mode, mais aussi la communication. Ma thèse était l’aboutissement de ces deux secteurs. J’ai développé un système de code-barres, ainsi que le prototype d’une interface virtuelle accessible grâce à un simple procédé de scanner. Ce système transforme mes vêtements et les font passer de simples pièces d’habillement à de vrais appareils électroniques, offrant aux clients des informations sur ce qu’ils portent, sur la marque ou sur Svalbard. C’est un projet qui en est encore à ses balbutiements et que je vais continuer à développer, je l’espère avec des ingénieurs pour qu’il puisse atteindre son plein potentiel.

Quelle a été ta réaction quand tu as appris que tu étais une des finalistes du concours Parsons x Kering Empowering Imagination ?
Kering est très investi dans les causes environnementales inhérentes à l’industrie de la mode. Avoir l’occasion d’en découvrir plus sur leur initiative était passionnant et excitant. Cela m’a permis d’implanter leurs idéaux au sein de ma propre marque.

Et la suite, c’est quoi ? Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ?
J’espère pouvoir travailler dans un environnement innovant et enthousiasment, pour un créateur que j’admire et pouvoir mettre à profit mes connaissances, tout en apprenant de nouvelles choses. J’aimerais aussi avoir la possibilité de développer ma propre marque et étendre sa portée. Ce que vous pouvez me souhaiter… ? Souhaitez-moi bonne chance, parce que je saute d’une falaise les deux pieds vers l’inconnu, et sans parachute !

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www.natashaalia.com

Crédit Images : Niki Asti