Fashions, amateurs de vintage ou touristes de passage, est-il encore nécessaire de présenter les diverses personnalités qui se réunissent chaque samedi en friperies avec un seul et unique objectif : trouver la pièce parfaite à moindre coût ? Si l’essor de la seconde main a pris une ampleur considérable au cours de ces dernières années, ces pratiques ont également changé. Ce nouveau mode de consommation responsable est devenu pour certains synonyme de profit, tandis que pour d’autres, une manière d’être stylé au moindre coût.
Le marché de la seconde main date de plusieurs siècles, mais ce n’est que durant les années 60-70, au cours du mouvement hippie, que cette démarche de « vendre du vieux comme du neuf » a pris de l’ampleur. En effet, l’histoire de la seconde main remonte au Moyen Âge, mais l’on voit réellement son rôle lors de la Révolution Industrielle (XIXe siècle) quand la production de masse a entraîné une baisse des coûts neufs, rendant ainsi la seconde main plus courante parmi les classes les plus modestes. C’est à cette époque qu’on voit l’émergence de friperies dans les grandes villes pour répondre aux besoins des travailleurs urbains. C’est un phénomène qui a pris de l’ampleur après les deux guerres mondiales et la perte du pouvoir d’achat qui les a succédé, et le mouvement hippie qui prône l’achat des vêtements vintage au lieu de la consommation de masse.
De par son histoire, le marché du vintage a toujours essayé d’attirer les classes les plus modestes. En donnant ce qu’on ne veut plus et en achetant ce qui est d’occasion, on passe alors à une économie circulaire, c’est-à-dire minimiser le gaspillage. Cependant, avec l’essor de la seconde main sur TikTok et la popularisation des friperies parmi les jeunes, le marché du vintage est victime d’un effet d’engorgement, montant alors drastiquement les prix. C’est un problème de taille lorsque la cible du marché de la seconde main ne peut plus se permettre d’acheter des vêtements d’occasion.
De ce fait, nous avons interviewé un panel de personnes dans ce milieu : de consommateurs réguliers à commerçants ponctuels, de stylistes à organisateurs d’événements, pour qu’ils témoignent de leur relation avec la seconde main. Comme tout couple qui dure, ils nous ont aussi fait part des changements qu’ils ont remarqués dans celle-ci.
Ce qui fait la popularité d’un tel marché, c’est son originalité : trouver les belles pièces, des sacs uniques, des vêtements qui semblent n’aller qu’à nous. Le point fort du vintage, c’est la possibilité de trouver des pièces uniques et la satisfaction de les avoir trouvées. C’est la première raison qui fait que nombre de jeunes se ruent en friperie un mercredi ou samedi après-midi pour enfin trouver un ensemble qui leur va. Vinted est devenue une application de référence sur la recherche de vêtements d’occasion. Avec ça, cependant, on achète trop. « L’engorgement de la seconde-main reflète seulement que beaucoup ne sont pas prêts à laisser tomber leur manière capitaliste d’acheter », nous dit Marie, commerçante au Jardin 21, qui customise des pièces selon ses goûts personnels pour les revendre. Si on doit cumuler des sacs entiers de vêtements parce que c’est moins cher que la Fast Fashion, alors quelle est la différence ? La première chose que s’est réappropriée l’élite bourgeoise, malgré le passé modeste de la seconde-main, c’est la surconsommation. C’est un privilège d’acheter beaucoup, et encore plus sous forme de loisir et non de nécessité. C’est pourquoi la réparation ou la transformation de vêtements si on a des bases en couture (upcycling en anglais) est cruciale : changer un haut qu’on ne porte plus en une jupe peut nous faire retomber amoureux/se de ce vêtement, et si ce n’est pas le cas, on peut toujours le revendre, c’est ce que nous partage avec passion Marie (@marie.chanstyle sur Instagram).
De plus, on fait face au phénomène de la « cher-vente » : acheter à bas coût pour revendre plus cher. C’est un sujet qui tiraille. Quand certains y voient un profit égoïste et personnel, d’autres qualifient ça comme une « juste bataille ». Lorsqu’après tout, un commerçant parcourt le monde afin de trouver la bonne pièce, on peut le définir comme un travail à part entière. Si l’on voit l’identité d’un styliste à travers sa sélection de vêtements d’occasion, alors on peut le qualifier de travail rigoureux. Les pièces prennent justement de la valeur après ce travail de sélection, de réparation voire de transformation pour les plus passionnés. La hausse des prix permet aux personnes d’éviter de surconsommer et de se poser sur leur choix. En prenant un vêtement, malgré un prix qui frôle les prix en boutique, ils sont certains de la pièce qu’ils ont acquis et avec la certitude que ce soit confectionné d’une manière éthique. Cela permet également aux étudiants ou aux artistes d’avoir un revenu à côté de leur passion. C’est le cas d’Inès (@cozines sur Instagram) pour qui la sélection de vêtements qu’elle vend dans les marchés aux puces de Paris finance sa passion pour la musique. Il faut d’ailleurs mentionner que tous les commerçants interviewés mettent leur prix abordable car ils sont conscients que leur cible principale sont les étudiants. C’est donc une situation win-win pour les deux camps.
Malgré la hausse des prix dans le marché de la seconde main, on peut argumenter que cette popularité participe à la prise de conscience des plus riches et à la possibilité qu’on puisse rentrer dans une économie purement circulaire. L’élite bourgeoise s’est, en effet, réapproprié des codes de l’occasion, de par la revalorisation du luxe vintage ou de la consommation de masse dans les friperies. Cependant, c’est une étape de laquelle beaucoup de consommateurs finissent par sortir et choisissent d’acheter des vêtements avec sagesse. Les conseils que Fannie et Ninon nous ont donné se consacrent sur la création d’une tenue : si on hésite sur une pièce, on essaie de la mettre avec cinq tenues mentalement. Si on n’y arrive pas, cette pièce n’est pas pour nous. C’est donc un choix à tout-un-chacun de faire part de responsabilité dans ses achats.
Finalement, il y a tellement de vêtements produits chaque année qu’il faut les utiliser, les renouveler comme nous le dit Jules, créateur de la marque Burn the Void et organisateur du défilé vintage au Jardin 21. C’est une véritable rencontre entre cultures que d’aimer et de customiser la seconde main, jusqu’à parcourir le bout du monde pour une pièce chinée. Créateurs comme commerçants luttent contre la hausse des prix de la seconde main pour préserver cette alternative éthique, tout en récompensant leur travail. Modzik reconnaît d’ailleurs les inspirations musicales dans les sélections ou créations mode du Jardin 21 qui vont du rock, au métal, au jazz, à la pop.
Texte Jade Maurinier et Johanna Payet