DIGITAL COVER

CRÉDITS MODE DIGITAL COVER
Estelle Perrault porte une robe bustier en cuir MAJE
SÉRIE MODE
CRÉDITS SÉRIE MODE
Photographe David Diaz – Styliste Charlotte Renard –
MUA & Hairstylist Sandra Parmentier assistée de Rose Belin
RHYTHM. LIVE SESSION
CRÉDITS MODE LIVE SESSION
Estelle Perrault porte une robe bustier en cuir MAJE
et des sandales multibrides compensées NOMASEI
CRÉDITS LIVE SESSION
Direction artistique Henrik Jessen & Modzik Connect! – Réalisation Bellanopolis –
Assistante Eloy Velaine – Montage Yuna Palfroy – Assistante réalisateur Clémence Lebras –
Ingénieur du son Jeanne Byl – Styliste Charlotte Renard – Assistante Sandy Polifroni –
Hair & Makeup Sandra Parmentier assistée de Rose Belin – Production Agence Modzik Connect! –
Remerciements label QUAI SON RECORDS et E-STUDIOS
L’INTERVIEW
Le jeudi 12 juin, à Paris, Estelle Perrault nous a accordé une rencontre, quelques heures seulement après avoir présenté son nouvel album, Promises, sur la scène du Studio de l’Ermitage la veille. Ce troisième opus marque une nouvelle étape dans le parcours de la chanteuse, qui y dévoile toute la richesse de sa voix de mezzo-soprano et son talent de compositrice, signant textes et musiques. Dans cet échange, l’artiste revient sur ses inspirations, son amour toujours grandissant pour le jazz, sa prise de confiance au fil des années et sa capacité à se révéler avec sincérité à son public.
Tu as souvent évoqué le fait de ne pas venir d’un parcours traditionnel de musicienne, et en particulier du milieu du jazz. Qu’est-ce qui t’a le plus aidée à tracer ta propre voie ?
J’ai grandi avec ma sœur entre Taïwan et la France. Lorsque j’avais six ans, mon père, que je ne connaissais pas vraiment, nous a ramenées en France. Nous avons alors été beaucoup ballotées entre les deux pays. À mon arrivée en France, je ne parlais pas français. Ce contexte, cette nécessité constante de s’adapter à différentes cultures, de préserver la mémoire de notre langue maternelle à chaque retour à Taïwan, a développé en moi une oreille particulièrement fine. Du côté français, il n’y avait aucun musicien dans ma famille, donc ce n’était pas un rêve envisageable enfant. C’est vers 18 ans que j’ai commencé à m’immerger dans la musique, de façon obsessionnelle, notamment en découvrant le jazz grâce à des disques chez des amis. Je passais beaucoup de temps à écouter ces albums, ce qui a nourri une nouvelle passion. Quand je suis retournée à Taïwan, j’ai rencontré des musiciens locaux. Là-bas, la musique live fait vraiment partie de la culture. J’ai commencé à jouer avec eux, car je connaissais déjà beaucoup de standards de jazz. Au départ, je voulais apprendre la trompette, mais on m’a encouragée à chanter sur scène, puisque je connaissais les morceaux. C’est ainsi que tout a commencé.
Il y a une dimension politique et engagée dans ton histoire personnelle. Ressens-tu aujourd’hui un besoin plus fort de t’exprimer sur ces sujets à travers ta musique ?
Je ne ressens pas nécessairement le besoin d’exprimer quelque chose de politique dans ma musique. Cependant, je considère que j’ai la chance d’avoir une visibilité qui me permet, à travers mon identité et les visuels que je choisis, de représenter davantage mon pays et de transmettre des informations sur notre situation politique, qui est grave et manque de reconnaissance internationale. Il existe une forme de statu quo, une violence passive que tout le monde accepte, forçant un peuple entier à vivre presque dans le déni face à une menace militaire constante. Il y a eu une colonisation extrêmement violente dans notre pays, et tout cela est assez peu connu à l’international. C’est ce que j’essaie de transmettre, même si ce n’est pas toujours facile à exprimer.
Ton tout dernier album, Promises est sorti ce 23 mai. Qu’est-ce qui a changé dans ta façon de travailler et de t’exprimer par rapport à tes précédents albums ?
Sur le précédent album, j’avais signé paroles et musique sur quelques titres, mais il y avait davantage de reprises. Cette fois, j’ai vraiment voulu penser ce disque comme un ensemble de chansons. Arrivée tardivement dans le jazz, j’ai d’abord été très intimidée en collaborant avec des musiciens talentueux. J’avais besoin de reconnaissance auprès de mes pairs, ce qui influençait ma démarche artistique. Pour Promises, j’ai gagné en confiance, notamment grâce au processus créatif. J’ai voulu écrire des chansons chantables, que mes proches et ceux qui m’ont soutenue puissent écouter et apprécier. Je me suis un peu détachée de la matrice du jazz dans laquelle j’étais plongée de façon obsessionnelle. Cette obsession m’a permis d’apprendre énormément, mais aujourd’hui, j’ai voulu aller vers quelque chose de plus personnel et accessible.
Ta voix a été décrite comme plus libre, plus aérienne sur cet album. As-tu entrepris un travail particulier pour atteindre cette sensation de liberté ? T’es-tu sentie plus libre, techniquement ou émotionnellement, en enregistrant ce disque ?
Oui, les textes de ce disque sont très intimes, je les ai écrits comme des pages de journal intime. C’étaient des choses que j’avais besoin d’exprimer et que je n’avais peut-être pas pu dire les années précédentes. Cette démarche a naturellement entraîné une forme de libération. Le travail autour de l’album m’a permis de me libérer énormément, c’était aussi un vrai travail sur moi-même. À chaque album, on apprend beaucoup sur soi : que ce soit à travers une composition ou un texte, ce sont des étapes qui font évoluer personnellement.
Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Rob Clearfield ? Y a-t-il un morceau dont l’arrangement t’a particulièrement surprise ?
Je n’ai pas vraiment eu de surprise, car je savais ce que je voulais pour les arrangements. Rob est l’arrangeur, mais il était important que je lui explique mes envies. Le morceau I Know You Wish a été un vrai processus de création collective, avec des propositions de Rob qui ont résonné chez tous les musiciens. Nous avons travaillé en résidence, chacun a apporté sa contribution, ce qui a donné un résultat très organique.
La pochette de l’album te montre dans un marché de Kaohsiung. Quelle est l’histoire derrière cette photo, et qu’est-ce qu’elle représente pour toi ?
Cette photo a été prise dans l’un des plus anciens marchés de Kaohsiung, à Taïwan, où travaille une couturière que je connais bien. Ma grand-mère était couturière aussi, donc l’endroit a une forte valeur symbolique pour moi. La dame qui tient la boutique est une personne incroyablement gentille et généreuse, et elle a gardé tous ses appareils d’origine, certains ont plus de 70 ans, comme le ventilateur qui était un cadeau de mariage pour sa mère.
Quelles sont tes influences aujourd’hui, au-delà d’Ella Fitzgerald et Billie Holiday ? Y a-t-il des artistes contemporains qui t’inspirent particulièrement en ce moment ?
En plus d’Ella Fitzgerald, Billie Holiday et Marlena Shaw, j’écoute aussi Minnie Riperton. Pour des artistes plus actuels, j’aime beaucoup Giveon, Roberta Flack, Dionne Warwick, Gabrielle Cavassa, et le groupe Hiatus Kaiyote. Je reste très attachée à l’esthétique des années 70, mais Gabrielle Cavassa, par exemple, incarne bien la scène jazz contemporaine.
Si tu devais composer une playlist de trois morceaux qui t’accompagnent en ce moment, quels titres choisirais-tu ?
Je choisirais Walk Softly de Marlena Shaw, Love’s in Need of Love Today de Stevie Wonder. Et pour terminer un morceau de Gabrielle Cavassa, Inside My Arms.
Enfin, parmi toutes tes expériences musicales, à Taïwan comme à Paris, y a-t-il un concert ou une rencontre qui t’a particulièrement marquée ?
La rencontre avec Hermon Mehari, trompettiste américain basé à Paris, a été déterminante. Il m’a présentée la majorité des musiciens qui participent à cet album et a beaucoup nourri ma culture musicale. Une autre rencontre importante a été celle d’une journaliste envoyée spéciale à Taïwan, qui m’a fait connaître là-bas en tant que musicienne de jazz. Grâce à elle, je retourne régulièrement à Taïwan et j’ai pu élargir mon horizon musical.
Texte Tiphaine Riant
Image en couverture David Diaz
