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Nous devions rencontrer Blondshell fin mars, à l’occasion de son showcase aux Ballades Sonores. Une grippe tenace a mis à terre les premières intentions, puis les agendas se sont brouillés, comme souvent quand la réalité s’emmêle. L’interview ne s’en trouvera que reportée. Néanmoins, un disque comme If You Asked for a Picture ne se laisse pas ignorer.
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Fragmentée mais entière : l’âme trouble de If You Asked for a Picture
Ce nouvel opus est un disque d’entrelacs. On y croise désillusions intimes, féminité contemporaine, souffrance mentale, quête d’identité et critique sociale. Ce qui fait tenir ensemble ces fragments, c’est une tension constante entre le besoin de comprendre et la difficulté d’accepter. Comprendre ses relations, son corps, son passé, son genre, sa sexualité – et apprendre à ne pas tout maîtriser. « Chaque fois que j’écris une chanson, c’est juste pour moi, sur le moment. Ensuite, je l’enregistre et je réfléchis à la façon de la partager. J’écris parce que c’est quelque chose dont je ne voudrais parler autrement que dans une chanson. C’est presque impossible pour moi d’être plus discrète dans mes paroles, parce qu’elles ne viendraient tout simplement pas autrement. Un album n’est qu’un instantané de soi. Je dis en quelque sorte que je ne vais pas essayer de montrer à quelqu’un la totalité de moi-même ; je peux juste en montrer un petit bout, et c’est très bien. »

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Blondshell : renaissance et colère canalisée
Quand Sabrina Teitelbaum a sorti Blondshell en 2023, on aurait pu croire à un coup de sang passager, une parenthèse punk dans la vie d’une ancienne étudiante de Columbia. Avant cela, elle chantait de la pop sous le nom de BAUM, un projet R&B alternatif, et cultivait une image plutôt sage. Puis tout a implosé. Elle a 23 ans, des années de dépression, d’addictions et de désillusions sur le dos, et cette envie soudaine de dire les choses comme elles sont. Blondshell naît dans les cendres de cette ancienne version d’elle-même : une voix abrasive, des textes acides, des guitares au vitriol. Mais il ne s’agissait pas seulement de crier. Il s’agissait d’être entendue.
If You Asked for a Picture, son deuxième album, arrive comme un lendemain de colère. Moins frontal que le précédent, mais plus dense, plus trouble. Il explore ce qui reste quand la colère retombe, quand les plaies ne guérissent pas tout à fait. « Par le passé, j’avais toutes ces références masculines très dures et je tenais à ce que les gens sachent que ma musique était dure. » Le titre lui-même sonne comme une réponse ironique : « Si tu me demandais une image… » – voilà ce que tu verrais. Quelque chose de flou, d’ambigu, mais vrai. Le titre de l’album, tiré d’un poème de Mary Oliver, dit l’essentiel : « “Si tu me demandais une image…” Je me suis vraiment identifiée à ce poème (Dogfish, NDLR), car elle parle de l’impossibilité de montrer l’intégralité de sa vie. On ne peut jamais communiquer à quelqu’un tous les aspects et nuances de ses pensées, de ses sentiments et de sa personnalité. Un album n’est qu’un instantané de soi. »
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Une alchimie sonore au service de la vulnérabilité
La production d’Yves Rothman, déjà présent sur le premier album, creuse cette tension entre dépouillement et intensité. Chaque arrangement semble viser juste. Guitares écorchées, basse tendue, arpèges acoustiques : l’écrin est minimal, mais il suffit à faire exploser les silences.
Et au centre, toujours, la voix. Plus souple, plus modulée, mais toujours chargée. Sur T&A ou Two Times, Sabrina convoque sans l’imiter l’ombre tutélaire de Dolores O’Riordan (The Cranberries). Même vibrato tendu, même façon d’amener la douleur à la surface comme une arme. Elle le dit elle-même : O’Riordan est une figure d’admiration, une manière d’habiter la voix comme un espace de rébellion et de refuge.
Parmi les nouveaux alliés de cette quête, le guitariste Samuel Stewart – fils de Dave Stewart (Eurythmics) – joue un rôle discret mais déterminant. Présent sur quatre titres de l’album en tant que co-compositeur, il apporte une finesse mélodique et un sens de la progression qui contrastent avec les structures plus brutes du premier disque. Sa guitare n’est jamais démonstrative, mais elle trace des lignes d’horizon. Ce dialogue musical trouve sa pleine expression sur des titres plus apaisés comme Arms, 23’s A Baby ou He Wants Me, où la tension monte sans jamais exploser.

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Apprendre à se regarder en face
C’est dans cette dynamique de transition que s’inscrit Thumbtack, guitare acoustique en avant et intensité retenue, même si Stewart ne l’a pas co-écrit. Ce morceau fait figure de pont entre les deux disques. Il prolonge la faille ouverte en 2023, mais avec une forme de recul troublant. Blondshell y explore ce besoin paradoxal de s’attacher à quelqu’un de néfaste – non par masochisme romantique, mais comme une diversion émotionnelle. « Peut-être qu’une relation difficile peut aussi être une raison pour laquelle on ne se concentre pas sur des choses encore plus difficiles. Je luttais contre l’illusion du contrôle, car on n’a pas vraiment de contrôle sur grand-chose dans la vie. »
Avec 23’s A Baby, Blondshell délaisse un instant l’ironie mordante pour une tendresse désarmante. Elle y évoque la jeunesse, non pas comme une période dorée, mais comme un moment de confusion, où l’on croit devoir tout résoudre trop tôt. La chanson parle de compassion – envers soi-même, envers les autres, et envers celles qu’on juge à tort pour des décisions prises trop jeunes. Il y a dans ce morceau une douceur, mais sans illusion : on est des bébés qui élèvent d’autres bébés, dans un monde où la guérison prend du temps – souvent une vie entière. À 27 ans, Blondshell regarde en arrière avec lucidité, et comprend qu’elle est encore en chemin.
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Et c’est peut-être ça, la vraie transformation. Si le premier album était un exorcisme, celui-ci est une autopsie. Plus lent, plus adulte. Moins dans l’éclat immédiat, plus dans la persistance. Blondshell n’a pas perdu sa verve, mais elle a gagné en précision.
If You Asked for a Picture n’est pas l’album d’un cri, mais celui de la réconciliation avec soi-même. Là où la voix semble apaisée. Blondshell y affirme ce que peu de jeunes artistes osent : que la vulnérabilité n’est pas une pose, qu’elle demande du travail, de l’abandon.

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If You Asked for a Picture est disponible via Partisan Records. En concert à Paris (Trabendo) le 15 septembre 2025.
Texte Lionel-Fabrice Chassaing
Image de couverture Hannah Bon
Sources interviews : Paper mag/The Fader/Atwood Mag